L’efficacité de l’action

Editorial La Presse

Aiguiser le sentiment identitaire a été pendant de longues décennies un filon porteur pour les leaders arabes. En opposition à l’envahisseur ottoman et au colonisateur occidental, un front savamment entretenu a mobilisé les foules, flatté le sentiment d’appartenance et une certaine fierté qui auraient pu devenir un catalyseur puissant pour l’édification des nations. Or, consommé à outrance par des régimes omnipotents, le nationalisme sert davantage à manipuler les peuples et détourner leur attention des échecs de leurs gouvernants. Incompétents, corrompus, dictatoriaux, dont on constate aujourd’hui les conséquences de leurs choix politiques, économiques et sociaux désastreux, ces chantres du nationalisme arabe ne quittent le pouvoir, pour la plupart, que renversés ou tués.

Autre question qui fédère et continue de le faire, cette fois-ci, les justes de l’humanité: la Palestine. Le peuple palestinien a droit à une vie digne dans un Etat libre. Mais qu’ont fait ses dirigeants pour ce faire ? L’actuel président, Mahmoud Abbas, 87 ans, est aux commandes depuis 2005.  17 ans au pouvoir ! La victoire électorale du mouvement islamiste Hamas une année plus tard change la donne. Les rivalités entre Fatah et Hamas tournent à la confrontation armée, causant la mort de plusieurs centaines de Palestiniens. A ce jour, la démocratie est à l’arrêt. Pas d’élections législatives ni présidentielle depuis 2006. Au lieu d’unir leurs forces, rencontrer les puissants de ce monde, nouer des alliances, négocier, défendre leur cause, les dirigeants palestiniens n’ont cessé de s’entretuer pour des bouts de terre et de pouvoir. Et  à l’image de leurs homologues arabes, ils s’accrochent à leurs fauteuils, sans oublier de prélever des marges importantes des aides fournies, notamment par les pays du Golfe, Etats et particuliers, et par les Européens. Les Palestiniens, eux, sont doublement condamnés par l’occupant israélien et par leurs dirigeants. L’autorité palestinienne autant que les chefs du Hamas ne tolèrent aucune voix critique et le font savoir. Les opposants politiques sont systématiquement réduits au silence. Si la solidarité avec le peuple palestinien doit être totale, comment est-il possible, en l’état, que le monde prenne au sérieux ses dirigeants ? Troisième fibre sensible qui agite aujourd’hui l’opinion arabe et l’occupe, «la normalisation». Faisant référence à l’établissement de relations diplomatiques avec Israël. Et pourtant, en ordre dispersé, plusieurs Etats arabes, et non des moindres, ont choisi un timing précis pour l’annoncer et leurs propres marches à suivre.

Depuis le mouvement de libération des pays arabes, lourd de promesses, et face aux rendez-vous manqués avec l’histoire qui s’enchaînaient, le nationalisme arabe, le rapport à la religion et la Palestine demeurent des sources de démagogie intarissables pour berner les populations et alimenter les clivages politiques. La Tunisie a pu échapper un moment de son histoire contemporaine à cette fatalité cyclique qui a impacté à des degrés divers tous les pays arabes. Mais cette vérité dérange tant que nous sommes passés maîtres dans l’art de rejeter nos fautes sur «les autres». Or, aux engagements trahis, aux projets inaboutis, aux errements politiques, aux discours grandiloquents, «ces autres» nous ont opposé l’efficacité de l’action.

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