Art contemporain : Le Chuchotement du chêne, une expérience avec le vivant

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Par Manel ROMDHANI

L’artiste-peintre tuniso-ukrainienne Nadia Kaabi-Linke participe à la biennale de Lyon, pendant sa 16e édition, sous le commissariat de Sam Bardaouil et Till Fellrath. L’événement se déroule de septembre 2022 jusqu’ à janvier 2023.

Si l’arbre est encore respecté, vénéré, et parfois même consulté…

Invitée par le biennale de Lyon, Nadia Kaâbi-Linke s’intéresse aux essences d’arbres dans la Communauté d’agglomération de l’Ouest Rhodanien. Si on parcourt la démarche de Nadia Kaabi-Linke, on constate que ses intuitions commencent par un constat du territoire visité ou/et vécu. Cette fois, le couple d’artistes se trouve à la Communauté d’agglomération de l’Ouest Rhodanien (COR) où la question de l’industrie forestière l’inquiète. Le processus de recherche commence…

Le Chuchotement du chêne est une installation immersive et sonore conçue entre les murs de l’usine Fagor, usine fermée depuis 2015. Il s’agit d’une réhabilitation de l’espace par un tronc, des branches de chêne ; un arbre qui aurait en partie disparu (ou remplacé) en raison de l’exploitation des sols dans la Communauté d’agglomération de l’Ouest Rhodanien. A travers la transposition des sons intérieurs du corps humain (battement du cœur, rythme respiratoire) et des vibrations humains dans l’arbre, Kaâbi-Linke cherche à faire cohabiter l’esprit humain et la nature (l’arbre)  dans un seul être.  On est face à des arbres, un processus, un territoire intime.

  Nadia Kaabi-Linke, le Chuchotement du chêne (détails), 2022, installation in situ aux usines Fagor, avec branches et feuilles de chêne et son, transducteurs, câbles et amplificateur, commande de la 16e biennale de Lyon, Court. l’artiste, avec le soutien du Goethe-Institut Lyon et de l’Office National des Forêts © Blaise Adilon.

Mémoire de l’arbre, arbre de mémoire

Nadia Kaabi-Linke montre un tronc de chêne récupéré, lors d’une tempête, d’une forêt à Lyon. A travers les feuilles, les vibrations sonores, elle redonne vie à cet arbre en disposant le tronc dans l’espace d’une manière à remplir la salle du sol au plafond. L’arbre qui disparaît dans la COR «repousse» dans un espace abandonné avec des vibrations recueillis par l’artiste à partir des récits de deuil des habitant de la région. De ce fait, on peut dire que ces vibrations deviennent la sève de la chêne. Faire surgir les souvenirs sous forme de vibrations nous permet de parler d’un temps mélangé: l’arbre qui risque d’être remplacé ou disparaître (le monde de cause) et les souvenirs. L’histoire des arbres et leurs différents états matériels se mélange avec celle des habitants pour donner à vivre une expérience de temps et d’espace principalement.

Référent observé, l’arbre présente déjà l’empreinte de la nature et devient porteuse des souvenirs des habitants de la région. En suivant le processus de la création, le couple d’artistes invite les habitants à fouiller dans leur mémoire de leur propre chair et leur propre pensée pour les transformer en vibration. C’est une approche singulière pour faire monter le temps. La mémoire devient ici un processus et non un résultat. A travers cette installation, l’artiste nous engage à vivre une relation interactive au végétal, une interaction entre le dedans et le hors. Le Chuchotement du chêne est une œuvre qui se vit. Le chêne pousse sans racines dans un coin d’une usine abandonnée. Solide, il porte son feuillage. Résultat d’une dépigmentation, l’aspect transparent et fragile des feuilles nous permet de voir son squelette et sa texture. L’arbre est repeuplé des feuilles mortes…

Cette démarche reflète la manière de pensée de l’artiste vis-à-vis de la notion de la vie et de la mort. Tous les éléments sont interconnectés pour donner vie à cette installation où l’homme et l’arbre communiquent et se reconnaissent à travers les bruitages entendus dans la salle habitée par les branches de chênes.


*(Artiste et critique d’art)

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