Exode, fuite de cerveaux, dépression collective: L’incompétence du pouvoir ou la malédiction d’une résurrection ?

Dans un pays aux banqueroutes multiformes, les cris de détresse sont devenus le pain quotidien de gens malheureux.


«Il ne me reste plus rien à faire ici», «Le pays est devenu une grande prison», «Ici, je déprime, ici je suffoque», «Je crains pour l’avenir de mes enfants», bien des voix s’élèvent, ces derniers temps, dans le train, dans le métro, à bord d’un bus ou d’un taxi, et jusque dans les villages et bourgades du fin fond du pays. Cela est un signe.

La patrie est aujourd’hui à un tournant. C’est un pays pris à la gorge et c’est un euphémisme. Les plus pessimistes pour qui «le pays ne se relèvera jamais» ont fini par quitter le navire. Alors que ceux qui sont restés élisent pour bon nombre d’entre eux domicile chez les psychiatres.

Les chiffres esquissent, jusque-là, un camaïeu de gris. Si bien que 40% des Tunisiens qui ont émigré vers les pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (Ocde), ces dernières années, sont titulaires de diplômes universitaires, selon le Centre de Tunis des études stratégiques (Ctes). Le syndicat des médecins de la santé publique, lui, estimait à 800 le nombre de médecins qui auraient émigré, au cours des dernières années.

Pis encore. Plus de 4.000 ingénieurs ont quitté le pays, d’après des statistiques officielles. Et quelque 63% des résidents de la première promotion de médecine de famille (MF) à la faculté de Médecine de Tunis (FMT) planifient une carrière à l’étranger, selon une enquête interne. In globo, près de 78 % des compétences souhaitent quitter le pays, d’après un récent sondage du Ctes.

Un pays hamster ou un fief de sadisme ?

Le constat est on ne peut plus amer aujourd’hui. Les cabinets des psychiatres grouillent de monde. Et les dépressions et névroses conduisant à mettre fin à sa vie enregistrent une hausse inquiétante. En 2020 ont été enregistrés 235 cas de suicide déclarés : 174 hommes et 61 femmes, la pendaison venant en première position des modes d’agir. Au cours des 7 premiers mois de l’année écoulée ont été dénombrés 89 cas, selon l’Observatoire social du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (Ftdes).

Cette horrible descente aux enfers serait l’aboutissement de ce que nous vivons depuis bientôt une décennie et demie. Douze ans et des politiques à peu près identiques. Une école publique qui éduque mal et qui forme passablement. Un système de santé pour les riches et un autre pour les pauvres. Une justice boîteuse. Des gouvernants qui s’égarent en cherchant des explications à des événements chaotiques quand ils ne versent pas dans la paranoïa. Et des Tunisiens qui, novices en démocratie, font souvent preuve d’un cynisme aveugle et irrationnel, envers tout ce qu’on leur raconte.

Conjugués ensemble, ces facteurs suscitent déception, détresse et désespoir. Ceux qui ont peiné à prendre leur mal en patience sont partis chercher leur bonheur ailleurs.

Un bateau qui coule dans tous les sens

On est resté immobile des décennies durant et l’on s’est anéanti, on s’est enfoncé. On s’est insurgé et l’on est tombé plus profondément. Notre bateau coule ainsi dans tous les sens. La faute à qui alors ?  À l’incompétence du pouvoir? Au cynisme des masses ? Au cours de l’histoire ? À la banalité du mal ?

Une chose est sûre aujourd’hui. Bon nombre des Tunisiens qui continuent à vivre en Tunisie se comparent à des morts sans sépultures. «Des morts que même la mort a refusés», selon les propres termes d’un enseignant d’histoire.

Pour lui comme pour d’autres Tunisiens interrogés au gré d’un jeu de questions-réponses, les régimes qui réverbèrent la géographie des inégalités économiques, éducatives et culturelles sont toujours les mêmes.

Ce que se refuse cependant à admettre la raison c’est que tant de fracassants désastres puissent être attribués à la seule stupidité du pouvoir. Lequel pouvoir maintient le chaos et le statu quo au lieu de sauver la barque. Pis. Un pouvoir qui semble avoir bu l’eau des nouilles et qui fait la sourde oreille malgré le péril qu’il y a en la demeure.

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