C’est le recueil de «pleine terre» qui retrace la vie pleine ou le recueil vital, sorti de la terre mûre, la terre-«reine du temps» des peines, des émotions et des plaisirs et qui donne à rêver d’un monde de justice, de reconnaissance et de tendresse où «naître» ne serait plus «n’être rien» et où triompherait la beauté, celle des êtres, celle de la terre natale et celle du poème, que le poète, quelquefois satirique, souvent indigné mais profondément généreux, aurait en partage avec les autres.
D’entrée de jeu, voici quelques vers de diamant extraits du poème inaugural ouvrant la cinquième et ultime section de ce recueil de poèmes entre tous remarquable, intitulé «Des jours de pleine terre», publié à Paris aux éditions «Al Manar» et venant couronner superbement le très beau parcours littéraire du poète, romancier, essayiste et critique littéraire français, Pierre Perrin :
«Sur le chemin des syllabes, rocailleux, abrupt, un jour le vent/ se lève, la voix chante et le poète se découvre aussi à l’aise/ dans la langue qu’on peut l’être dans sa peau. Il n’écrit pas/ une leçon ni pour sauver quoi que ce soit ; l’oubli est partie/ intégrante de la vie; il écrit pour le plaisir de donner, quand/ même la communication poétique reste solitaire» (p. 53).
Pour le patient et passionné fabricant ou artisan du langage, compositeur doué ou même diamantaire qu’est l’éminent poète — («Poète» est issu du grec ancien «poiêtês» voulant dire aussi «fabricant», «artisan» et qui dérive de «poiéô» signifiant «faire», «composer») — de la française post modernité poétique, Pierre Perrin, le chemin de la poésie ne saurait être, en effet, que pénible et éprouvant. N’est pas poète qui veut ! Il faudrait souffrir pour être poète et être reconnu comme tel. A l’exemple de Baudelaire, c’est-à-dire du «Roi des poètes» (Rimbaud), il faudrait bien pétrir la matière langagière avant de l’ériger en ces difficiles, élégantes et étonnantes formes artistiques, faire preuve de rigueur, choisir la difficulté, les contraintes de la syntaxe et du vers long, afin de discipliner l’inspiration et écarter toute tentation d’effusion sentimentale et de facilité verbale, même si cela risque de condamner le poète à «rester solitaire» dans son sacerdoce.
Plus de 100 morceaux composés de 1969 à 2022 et s’étalant sur plus de 160 pages sont écrits rigoureusement, patiemment, passionnément, pour constituer une espèce de journal intime ou d’autobiographie où la traditionnelle frontière entre la prose et la poésie est effacée et où est délibérément évitée la facilité de la narration prosaïque qui fait place à une narration en strophes (souvent des quatrains) et en vers pour la plupart irréguliers et plus longs que le classique alexandrin, constamment marqués par les rejets favorisant l’impression de continuité et de rêverie qu’ils donnent aux lecteurs. Une narration en rythmes souvent lents, alourdis du poids de toute une vie, et dont sourdent de vagues échos de tristesse, de regret, d’amertume et une émotion sans cesse retenue. Un bel agencement de sonorités vocaliques et consonantiques, des asyndètes fréquentes, un écoulement fréquemment parataxique, une régulière alternance de phrases courtes avec des phrases longues et enfin un jeu savant sur la ponctuation participent tous à l’élaboration de ces rythmes cadençant les cinq sections qui structurent ce recueil et qui semblent correspondre aux cinq étapes de la trajectoire vitale du poète et où sont consignées, mais de manière très discrète, très allusive, avec des mots aux sens flottants, l’absente tendresse maternelle, les brûlures de l’absence, l’insurmontable nostalgie, l’enfance blessée, la violence et la mort. Sommairement, Pierre Perrin, en philosophe inquiet, semble s’interroger sur la vie, la sienne surtout, et son essence.
Les images issues des originales et belles combinaisons syntaxiques et qui sont particulièrement novatrices et frappantes, lancées comme des grains magiques dans ces lumineuses lignes d’encre, irriguent de leur sève vitale cette poésie pudique, nullement sentimentaliste, qui suggère, révèle, sans dire vraiment, entretenant savamment le flou, brouillant quelquefois les pistes, dissimulant un peu la pensée et cachant la vérité et la profondeur de l’énonciateur.
Trône aussi, partout dans cette poésie de Pierre Perrin, le présent de vérité générale, qui donne à ces vers supposés raconter l’intime, l’allure des proverbes et des maximes, un peu comme chez René Char.
C’est le recueil de «pleine terre» qui retrace la vie pleine ou le recueil vital, sorti de la terre mûre, la terre-«reine du temps» des peines, des émotions et des plaisirs et qui donne à rêver d’un monde de justice, de reconnaissance et de tendresse où «naître» ne serait plus «n’être rien» (p. 129) et où triompherait la beauté, celle des êtres, celle de la terre natale et celle du poème, que le poète, quelquefois satirique, souvent indigné mais profondément généreux, aurait en partage avec les autres (p. 135) :
«Terre des longs désirs, si tendre à la narine et douce/ Aux doigts, notre corps te presse en toutes saisons./(…) J’apprécie tes crues, ton encolure, tes averses/ De métamorphoses. Ta beauté plonge aux sources/ Où j’escalade tes torrents. Que la neige emporte/ Des Van Gogh sur pied, la tête rouille et grise affaissée/ Sur la hampe, ces tournesols à l’agonie, je les adore (…)/ Reine du temps, ma terre, joue sur nos lèvres,/ Berce nos jours. Seuls, serions-nous debout ?» (p. 159)
De nombreux poèmes d’amour meublent aussi ce livre. L’un des plus beaux en est celui qui apparaît à la clôture du recueil et dans lequel le poète évoque dénotativement sa mère, l’une des figures maîtresses de sa vie et de sa poésie :
«La nuit, parfois, tu viens, désolée, ombre de ton ombre maigre et sèche.
Je souffre encore de n’avoir pas cueilli ton dernier souffle sur mes lèvres»
(p. 166)
Douleur de lecture, certes, mais bonheur des plus purs à coup sûr !
Pierre Perrin, «Des jours de pleine terre», Paris, Al Manar, 4e trimestre 2022, 170 pages, ISBN 978-2-36426-306-2.
Pierre Perrin est poète, romancier et critique littéraire. Il est de Chassagne. Il a contribué au magazine “Poésie/Vagabondages” en 1997 et participe à “La Nouvelle Revue française” ainsi qu’ à plusieurs autres revues et périodiques. Il a été rédacteur en chef de la revue “La Bartavelle” de 1994 à 1997. Il dirige depuis 2015 la revue numérique “Possibles” et écrit régulièrement des articles de recension pour “La Cause Littéraire”. Il a contribué à différents ouvrages collectifs. En 1996, Pierre Perrin est lauréat du prix Kowalski de la ville de Lyon, pour son recueil “La Vie crépusculaire”. Il a publié aussi deux romans : «Une mère, le cri retenu» (2001) et «Le modèle oublié» (2019).