« Apollinaire et le Pont Mirabeau », de Giovanni Dotoli : L’amour, le temps et la quête de soi

Intitulé «Apollinaire et le Pont Mirabeau», ce bel ouvrage du poète italien francophone Giovanni Dotoli, auteur lui-même d’une immense œuvre poétique et critique, en s’appliquant à nous faire découvrir avec son habileté magistrale l’horizon de lumière de la poésie appollinairienne qu’il connaît sur le bout du doigt, se consacre à l’étude notamment du poème emblématique de toute la production poétique de Guillaume Apollinaire dont il représente le centre autour duquel elle s’articule avec ses singulières modalités d’organisation et de fonctionnement et avec ses thèmes majeurs qui sont sommairement l’amour, le temps et la quête de soi.

« J’ai voulu émerveiller et m’émerveiller (p. 200).  Oui ! C’est clair ! car quand un grand poète écrit sur un grand poète, le résultat, comme on pourrait le deviner aisément,  ne saurait être que cette merveille de recherche, d’intelligence et de délicatesse qu’est ce livre que vient d’écrire et de publier dans de très bonnes conditions Giovanni Dotoli sur Guillaume Albert Vladimir Alexandre Apollinaire de Kostrowitzky, dit Guillaume Apollinaire (Rome, 1880- Paris, 1918), « l’une des figures les plus influentes de la poésie et de la modernité française du XX siècle » (Anja Ernest) et auteur surtout du célèbre recueil de poèmes « Alcools » que d’aucuns considèrent comme « le livre-clé » de la modernité artistique française.

Recueil incontournable qui est entré avec mérite à l’institution scolaire et universitaire et a fait l’objet de très importants travaux d’étude et de recherche académiques se comptant par centaines, même si son auteur n’avait pas usé longtemps ses pantalons sur les bancs des écoles et même si, à sa parution en 1913, après 15 ans d’élaboration et de difficultés, il n’a eu qu’un accueil plutôt défavorable (surtout le terrible compte rendu publié le 15 juin 1913 dans le périodique « Mercure de France » par Georges Duhamel qui comparait ce recueil, non sans quelque mépris,  à une « boutique de brocanteur » !).

Intitulé « Apollinaire et le Pont Mirabeau », ce bel ouvrage du poète italien francophone Giovanni Dotoli, auteur lui-même d’une immense œuvre poétique et critique, en s’appliquant à nous faire découvrir avec son habileté magistrale  l’horizon de lumière de la poésie appollinairienne qu’il connaît sur le bout du doigt, se consacre à l’étude notamment du poème emblématique de toute la production poétique de Guillaume Apollinaire dont il représente le centre autour duquel elle s’articule avec ses singulières modalités d’organisation et de fonctionnement et avec ses thèmes majeurs qui sont sommairement l’amour, le temps et la quête de soi. Le plus célèbre de tous, inépuisable et d’une force inouïe, traduit en plusieurs langues, déclamé partout par des milliers d’élèves et d’étudiants, figurant dans toutes les anthologies littéraires, publié pour la première fois le 1er février 1912 dans le numéro premier de la revue « Les soirées de Paris », puis placé, en 1913, dans « Alcools » en deuxième position, entre les non moins connus « Zone » et «La chanson du Mal-Aimé », « Sous le pont Mirabeau coule la Seine/ Et nos amours, faut-il qu’il m’en souvienne ?/ La joie venait toujours après la peine./ Vienne la nuit, sonne l’heure/ Les jours s’en vont, je demeure, etc. » est bien ce merveilleux poème qui émerveille encore Giovanni Dotoli et dont celui-ci fait le sujet principal de son livre issu d’une longue investigation et qui n’a rien à envier à une recherche doctorale de très haut niveau : « J’ai essayé de relire le poète d’Alcools, via Le pont Mirabeau (…). Ma lecture (…) pourrait être étendue à d’autres poèmes. (…) Apollinaire est une mine encore en partie inexploitée (…) J’ai essayé d’ouvrir la porte devant laquelle Guillaume Apollinaire  — dans son poème « Le Voyageur » — demande d’entrer : « Ouvrez-moi cette porte où je frappe en pleurant » » (p. 200-201). Entrer en pleurs dans le cœur de la dulcinée, la peintre  Marie Laurencin  dont l’image plane sur « Le Pont Mirabeau », ou une autre parmi ces femmes multiples que le poète a follement aimées ;  entrer dans l’arène littéraire où il se sentait repoussé, découragé, avant d’y être admiré, et enfin  entrer, pour Giovanni Dotoli, en plein dans « la raison vraie de la grandeur unique » de ce « Pont Mirabeau » auquel il désire « donner-redonner (…) la centralité qu’il mérite » dans « Alcools » et dans « l’œuvre totale » d’Apollinaire :  « Le Pont Mirabeau n’est au fond pas très étudié, face à son importance, ce qui m’a amené à écrire ce livre  et organiser en même temps et publier une édition d’artiste du poème lui-même, avec la participation de chercheurs, poètes, peintres, sculpteurs, musiciens et traducteurs et une photographe… ».

Giovanni n’a pas tort, il n’enfonce point une porte ouverte. Car, en effet, ce poème central d’Apollinaire demeure, malgré « les jours qui s’en vont », malgré toutes les études et analyses qui lui ont été réservées, malgré tous les efforts de recherche et de réflexions qui ont été déployés pour interpréter son sens et son contenu énigmatique, quelque peu obscur, parce que compact, polyphonique, polysémique, relevant tout à la fois de la tradition et de la modernité, mêlant éternel et transitoire, amalgamant des éléments de la vie amoureuse du poète avec des références intertextuelles à une série de textes que ne découvrent que les bons connaisseurs de sa poésie. « Passant des deux mondes », l’ancien et le moderne, ou « flâneur des deux rives », la vieille et la nouvelle, comme le baptise Pierre Brunel, Apollinaire multiplie dans ce poème les plans sémantiques et offre aux interprètes plusieurs entrées et pistes d’analyses qui sont restées jusqu’ici intarissables. C’est pour cela que Giovanni observe avec juste raison qu’ «Il faut lire et relire Le Pont Mirabeau », d’après toutes les voies critiques et méthodologiques possibles. Chaque fois, on découvrira une nouvelle piste, une nouvelle vision, une nouvelle joie offerte par le texte. » (p. 192).

Poème « thérapeutique » et « initiatique », comme l’a qualifié Lydia Blanc citée par  Giovanni, ce poème « nous invite à rester dans la vie » (p. 193), en dépit de la déception amoureuse qui y est implicitement exprimée et en dépit de la mélancolie qui suinte au long des vers. C’est un poème vivant et vital qui, malgré la mort (« Vienne la nuit sonne l’heure/ les jours s’en vont… »), tente de créer un passage vers la vie : vivre coûte que coûte (« je demeure » est le syntagme qui ferme le refrain circulaire et qui ferme  tout le poème). Giovanni Dotoli réussit à merveille à éclaircir ce profond désir de vivre et de triompher de la mort qui motive le poète et son entreprise poétique. Tel qu’il l’a voulu, il nous a émerveillés en s’émerveillant lui-même devant l’œuvre de ce précurseur du surréalisme et devant ce poème qu’il considère, à juste titre, comme l’un des plus beaux de la poésie universelle.

Outre l’écriture limpide et belle, quelquefois savoureusement poétisée, et la très grande connaissance des œuvres complètes d’Apollinaire mise à l’étude dans cet ouvrage, Giovanni, le grand érudit, montre qu’il connaît à merveille aussi presque tout ce qui a été écrit sur Apollinaire et qui n’est pas du tout mince. La bibliographie de son livre couvre une bonne vingtaine de pages (pp. 261-280). On y trouve entre autres les ouvrages de Michel Décaudin, l’un des plus grands spécialistes d’Apollinaire à qui ce livre de Giovanni est dédié « In memoriam » (p. 7). On y trouve aussi les ouvrages de Laurence Campa, Pierre Caizergues, Daniel Delbreil, Jean Burgos, Pierre Brunel, Marcel Maras, Michel Murat, Didier Alexandre, Claude Debon, Sergio Zoppi, Franca Bruera, Marie-Jeanne Durry, Jean-Claude Chevalier, Henri Meschonnic, et d’autres, plus nombreux encore.

L’ouvrage est émaillé de vieilles photos, de caricatures, de dessins et de brouillons du poème étudié écrits à la plume. Une partie dans le volume est réservée à l’iconographie qui n’est pas sans aider le lecteur à mieux comprendre l’univers apollinairien.

Professeur émérite de langue et de littérature françaises à l’Université de Bari Aldo Moro, en Italie, et ancien conférencier aux « Cours de civilisation française » de la Sorbonne, Giovanni Dotoli réalise ici l’un de ses meilleurs essais, après bien d’autres ouvrages importants dont entre autres les deux collectifs qu’il a dirigés  avec le grand Professeur de Paris IV, Pierre Brunel, et publiés coup sur coup : « Rimbaud. Le Bateau ivre a 150 ans » (2021) et « Baudelaire. Un moderne de 200 ans » (2022).

Trois grands livres, trois bonnes références pour les étudiants et les chercheurs, qui viennent marquer sans doute le parcours de ce chercheur et critique, brillant et prolixe, et enrichir encore le beau palmarès qu’il s’est déjà forgé : plus de 300 livres et beaucoup d’articles, de conférences et de colloques. Son recueil de poèmes majeur est « Je la Vie » qui remplit 5 tomes et couvre  plus de 1.600 pages en grand format. (Il est  commandeur dans l’ordre des Palmes académiques, officier de la Légion d’honneur et Grand prix de l’Académie française). Professeur Dotoli, chapeau bas !

 

Giovanni Dotoli, « Apollinaire et le pont Mirabeau », Paris et Arlberobello, L’Harmattan et Arti Grafiche Alberobello (AGA), collection « L’Orizzonte », 2023, 297 pages, grand format 14X 21. ISBN 978 2140320842 et 978 8893553407.

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