Dans le domaine du dessalement de l’eau de mer, la Tunisie est considérée très en retard. Les raisons de ce retard sont dues principalement à la valeur élevée des coûts d’investissement et de production d’eau.
Avec le soutien de la Banque mondiale, la Tunisie a lancé en juin 2022 son premier rapport sur l’état des lieux de l’économie bleue. Intitulé « L’économie bleue en Tunisie, opportunité pour un développement intégré et durable de la mer et des zones côtières : éléments de cadrage stratégique », le rapport préconise des orientations initiales pour une stratégie nationale en la matière.
Le chapitre V dudit document est consacré aux secteurs clés pour le développement de l’économie bleue en Tunisie, dont le dessalement de l’eau de mer de manière durable pour contribuer à des besoins en eau potable et d’irrigation.
Un manque d’eau chronique
Le constat n’est pas étonnant : en Tunisie, les précipitations sont marquées par une forte variabilité spatio-temporelle. La pluviométrie varie de 1.500 mm à l’extrême nord-ouest à moins de 100 mm au sud et la moyenne pluviométrique sur tout le pays est de l’ordre de 221 mm/an.
Face à cette situation, durant des années, le pays a déployé des efforts soutenus pour mobiliser ses ressources en eaux de surface et souterraines. Et malgré un taux de mobilisation de 92%, la Tunisie souffre toujours d’un manque d’eau chronique.
Aujourd’hui, la Tunisie est en situation de stress hydrique : la disponibilité moyenne en eau douce est de 430 m3/habitant/an, en deçà du seuil fixé par la FAO (1.000 m3/habitant/an). Cette situation a poussé les pouvoirs publics à agir sur cinq volets, dont le recours au dessalement des eaux saumâtres et de l’eau de mer. Étant donné son coût, le dessalement reste majoritairement utilisé pour l’eau potable.
L’étude indique aussi que l’agriculture (5,5% des eaux de dessalement) commence à emboîter le pas à l’industrie (33%) et au tourisme (13,3%) pour pallier le déficit d’eau. Le ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche met l’accent sur le dessalement des eaux saumâtres des nappes pour des raisons de coût. Le potentiel des eaux saumâtres des nappes souterraines est estimé à près de 614 millions de m3/an dont 340 millions m3/an à partir des nappes phréatiques et 274 millions de m3/an à partir des nappes profondes.
Toujours en retard
Ainsi, à l’heure où le manque d’eau douce se fait criant, certains souhaitent transformer l’eau de mer en eau potable. Mais dans le domaine du dessalement de l’eau de mer, la Tunisie est considérée très en retard. Les raisons de ce retard sont dues principalement à la valeur élevée des coûts d’investissement et de production d’eau (coût de l’énergie notamment).
L’usine de Djerba a démarré en mai 2018 avec une capacité de 50.000 m3/jour. À l’encontre de la quantité d’eau produite, environ 60.000 m3/j d’eau de rejet de plus de 70 g/l sont rechargés dans la mer à environ 2 Km du premier point de pompage de l’eau mer.
La Sonede a également programmé plusieurs unités de dessalement d’eau de mer de grandes et de petites capacités (Menzel Temime, Ksour Essef et Zarzis). La plupart de ces unités sont en phase d’étude dont la Station de Gabès : d’une capacité de 50.000 m3/J extensible à 100.000 m3/J, cette dernière est financée par l’Allemagne pour un coût d’investissement dépassant les 200 millions DT. Et en raison de la pollution maritime de la ville de Gabès et de ses banlieues, la ville de Zarate a été choisie pour l’implantation de la station.
Pour la Station Sfax, elle est d’une capacité de 100 000 m3/J et extensible à 200 000 m3/J. Le coût de réalisation de l’usine et ses accessoires (réservoirs, station de pompage, canaux d’adduction d’eau de mer et des eaux de rejet, acquisition et développement de dizaines de Km de canaux pour relier l’usine de dessalement aux canaux de distribution d’eau, étude d’impact à l’environnement, électrification de l’usine et de ses filiales…) se rapproche d’1 milliard DT.
Le rapport a aussi cité la Station de Sousse (d’une capacité de 50.000 m3/J et extensible à 100.000 m3/J, avec un coût d’investissement d’environ 150 millions DT) et celle de Kerkennah d’une capacité de 6.000 m3/J. Il convient de signaler que la première station de dessalement de l’eau de mer par la technologie osmose inverse, d’une capacité de 12.000 m3/J, est entrée en production en 2010. Elle a été réalisée par la société «Tunisian Indian Fertilizers Company (Tifert)» et construite par une entreprise tunisienne.
Des rejets peu polluants, mais…
Les rejets des stations de dessalement sont considérés peu polluants, s’ils sont comparés aux effluents industriels et aux eaux usées mal ou non traitées. Toutefois, il est indispensable de réaliser des travaux de recherche scientifique relatifs à l’impact des saumures de dessalement sur l’environnement à moyen et long terme.
Le rapport indique que le taux de rejet d’eau fortement salée se situe entre 30 et 150 % de la quantité d’eau produite par les procédés de dessalement. Le taux de conversion (quantité d’eau produite / quantité d’eau brute,) varie de 40 à 45 % pour le dessalement d’eau de mer. Ce qui signifie que pour chaque 1.000 m3 d’eau produite, 1.200 et 1.500 m3 d’eau sont ramenées à la mer avec une salinité comprise entre 70 et 75 g/l. La salinité de la mer Méditerranée est d’environ 40 g/l.
Bien que les pays méditerranéens dessalent environ 15 millions de m3/J, les études approfondies et les recherches scientifiques sur l’impact de ces rejets sur l’écosystème marin sont relativement réduites.
Une consommation importante d’énergie
Par ailleurs, le dessalement de l’eau de mer repose sur une consommation importante d’énergie. En effet, le dessalement d’un mètre cube d’eau de mer nécessite 3kWh/m3 d’énergie. À cet effet, le recours aux énergies renouvelables est appréciable notamment l’énergie solaire photovoltaïque.
Enfin, il faut souligner que le dessalement de l’eau de mer conduit à des conflits sociaux et que l’acceptation sociale des stations de dessalement est difficile.
En effet, les territoires littoraux et marins sont très convoités par différents opérateurs, d’où le climat de manque de confiance entre les acteurs en ce qui concerne l’utilisation de ces espaces. Les mouvements de contestation contre l’implantation des stations de dessalement par les habitants des territoires locaux sont dus, selon le rapport, à un manque d’implication des intéressés dans ce genre de projets et de choix et au manque de communication, sensibilisation et démonstration d’expériences internationales réussies dans le domaine et de bonnes pratiques.
Des actions prioritaires
À l’issue du diagnostic du secteur du dessalement de l’eau de mer, le rapport recommande de développer de manière durable le potentiel de dessalement de l’eau de mer en vue de contribuer à la couverture des besoins nationaux en eau potable et d’irrigation.
Parmi les actions prioritaires, il a cité l’urgence d’analyser et réviser, si besoin, le cadre réglementaire pour l’adapter aux besoins des activités de dessalement (extraction d’eau de sources publique/ maritime, utilisation à des fins d’usage privé, régulation environnementale y compris degré de salinité maximum des rejets…), encourager les projets PPP dans le domaine du dessalement de l’ eau de mer, favoriser l’utilisation des énergies renouvelables pour l’alimentation locale des installations de dessalement (panneaux solaires), respecter rigoureusement les évaluations d’impact sur l’environnement et les mesures préventives nécessaires pour protéger les écosystèmes et les personnes, notamment à travers la gestion appropriée des saumures, améliorer la planification et la gestion des ressources en eau visant à améliorer l’ efficacité de la prestation des services d’eau et à adopter de bonnes pratiques de gestion de la demande, pour garantir que l’augmentation de la disponibilité de l’ eau apportée par le dessalement ne se traduise pas par une exacerbation des niveaux de demande non durables, promouvoir les techniques d’économie de l’ eau dans les usages agricoles et domestiques de l’eau dessalée, dans le but de prolonger la durée de vie des installations, analyser l’opportunité de développer des projets de recherche-développement pour la valorisation économique future des sous-produits du dessalement.