La Tunisie est l’un des premiers pays en Afrique à avoir bénéficié de l’appui de la Jica pour l’adoption du concept «Kaizen» dès 2006. Ce projet, qui vise à améliorer la qualité et la productivité de l’industrie tunisienne, figure parmi les projets phares de l’Agence japonaise de coopération internationale (Jica) en Tunisie. Après avoir été exécuté en Tunisie depuis plus de 10 ans, ce projet ouvre actuellement de nouvelles perspectives pour une coopération triangulaire Tunisie-Japon-Afrique dans le transfert du savoir-faire vers d’autres pays africains. Nous avons interviewé Shuhei Ueno, représentant résident de la Jica en Tunisie, pour en savoir plus sur l’origine du concept Kaizen, comment l’appliquer en Tunisie et les initiatives de la Jica pour sa dissémination.
C’est quoi le concept «Kaizen», quelle est son origine et quels sont ses objectifs ?
«Kaizen» est un concept japonais qui vise à améliorer la productivité grâce à de petites améliorations en continu pour l’élimination des problèmes rencontrés au quotidien, associés à une optimisation progressive des processus, ne nécessitant pas de gros investissements. Ce concept vise à améliorer la productivité et l’efficacité des équipes au travail, mais aussi de l’entreprise en général. En effet, Kaizen a été créé et a joué un rôle fondamental dans le développement de l’industrie manufacturière du Japon comme Toyota, qui a permis au Japon, grand pays manufacturier, de suivre un modèle unique de développement en soutenant la croissance économique rapide du pays au niveau de la production.
La Jica met en œuvre des projets d’amélioration de la qualité et la productivité de l’industrie manufacturière en Tunisie en introduisant, par exemple, l’approche 5S-Kaizen dérivée des termes japonais «Seiri», «Seiton», «Seiso», «Seiketsu», et «Shitsuke». En traduction française, ces mots signifient respectivement «trier», «ranger», «nettoyer», «standardiser», et «se discipliner». Cette approche met l’accent sur l’organisation effective de l’environnement physique du travail dans un premier temps, mais progressivement, sur les aspects fonctionnels aussi. Ce qui, par l’influence des 5S, simplifie l’environnement du travail, réduit les activités non productives et les pertes, tout en faisant la promotion d’un rendement de qualité et de la sécurité.
Quels sont les projets de «Kaizen» menés par la Jica en Afrique et en Tunisie ?
Depuis des années, la Jica promeut l’Initiative Kaizen Afrique (AKI) en collaboration avec l’Agence de développement de l’Union africaine (Auda-Nepad) dans le but de renforcer le secteur privé africain par la vulgarisation du Kaizen. Avec cette initiative, plus de 25 pays en Afrique exécutent des projets de dissémination de Kaizen avec la Jica et participent à des formations sur ce sujet. Un de ces pays est la Tunisie. Les projets de coopération de la Jica pour introduire le Kaizen en Tunisie ont débuté en 2006, faisant de la Tunisie un des premiers pays en Afrique à bénéficier de l’appui de la Jica. Le projet le plus récent en Tunisie s’est achevé en décembre 2021. La dernière phase de ce projet a permis le renforcement des capacités du ministère de l’Industrie, des Mines et de l’Energie ainsi que des différents centres techniques dans la dissémination du Kaizen.
Ainsi, 23 maîtres formateurs, 24 formateurs avancés et 16 formateurs de base issus de centres techniques ont été formés au Kaizen par les experts japonais de la Jica. L’objectif était de constituer un noyau d’experts tunisiens capables de prendre le relais et de continuer à diffuser le concept Kaizen aux entreprises tunisiennes.
Selon vous, quels sont les impacts réels du concept Kaizen sur les entreprises ?
A travers des projets Kaizen en Tunisie, nous avons déjà réussi à améliorer, d’une moyenne entre 60 et 80%, la productivité dans une centaine d’entreprises pilotes des secteurs électromécanique, chimique et de textile, grâce à l’intervention d’experts japonais et de maîtres formateurs tunisiens formés dans le cadre de ce projet.
L’application du concept Kaizen en Tunisie s’est illustrée par son excellence, même au niveau africain. L’entreprise tunisienne «Phoenix Mecano Elcom», spécialisée dans la fabrication et l’assemblage des composants électromécaniques, a remporté le «Prix Kaizen Africain» relatif à l’année 2022, et qui distingue les meilleures entreprises au niveau africain dans la mise en place du concept Kaizen. D’autres entreprises tunisiennes ont également été distinguées lors des éditions de 2020 et 2021, par ce même «Prix Kaizen Africain».
Nous avons entendu parler d’un nouveau projet Kaizen dans le domaine de la santé, qu’en est-il de cette expérience ?
Ces dernières années, les projets Kaizen ne se limitent plus à l’industrie manufacturière, mais s’étendent également au domaine de la santé et aux services publics. La Jica soutient l’introduction du Kaizen dans les hôpitaux dans plus de 20 pays africains.
A ce jour, près de 500 établissements médicaux dans ces pays ont adopté le Kaizen, ce qui leur a permis de réduire les infections et d’améliorer l’efficacité des travailleurs de la santé dans les établissements sanitaires.
Les hôpitaux publics tunisiens font face à une pénurie constante de personnel de santé et de matériel, ce qui rend difficile l’accès à des soins de qualité pour tous les citoyens. Pour répondre à ces problèmes, le gouvernement tunisien a élaboré la Politique nationale de santé à l’horizon 2030 avec pour objectif d’atteindre la Couverture sanitaire universelle et de renforcer les fonctions des hôpitaux publics. Dans ce contexte, l’hôpital Abderrahmane Mami à l’Ariana a expérimenté le concept de Kaizen, entre autres, avec la collaboration de l’Instance nationale de l’évaluation et de l’accréditation en santé (Ineas), ce qui a permis d’obtenir des résultats très encourageants en termes de qualité et de productivité.
La Jica a décidé d’envoyer des experts japonais pour soutenir cette initiative et la généraliser à d’autres hôpitaux. Ils vont commencer les activités de formation pour certains hôpitaux cibles avec le ministère de la Santé, dès ce printemps.
La Tunisie partage-t-elle son expérience du Kaizen avec les pays voisins ?
Grâce à l’appui de la Jica, la Tunisie est sur la voie de devenir un pôle de dissémination de ce concept japonais vers d’autres pays africains, notamment à travers les formations sur le concept Kaizen que les maîtres formateurs tunisiens ont fourni à huit experts de pays africains francophones ainsi qu’à des entrepreneurs et des fonctionnaires libyens.
En effet, dans le cadre de la dernière phase du projet Kaizen en Tunisie, le ministère de l’Industrie, des Mines et de l’Energie tunisien a assuré une formation en Kaizen au mois de septembre 2019 au profit de participants de 5 pays africains (Algérie, Maroc, Burkina Faso, Sénégal et République Démocratique du Congo). Aussi, en 2021 et 2022, les maîtres formateurs tunisiens ont assuré des formations au profit d’environ 60 entreprises libyennes, en collaboration avec la Jica, le Programme alimentaire mondial (PAM) et le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud).
Quelles sont vos perspectives pour l’avenir?
La Jica continuera à approfondir et à vulgariser le concept Kaizen afin de mettre en place des secteurs privés compétitifs et dynamiques en Afrique. En Tunisie, nous sommes en cours de discussions avec le ministère de l’Industrie, de l’Energie et des Mines lors d’une prochaine phase du projet Kaizen. La Jica contribue au développement du secteur privé tunisien, que ce soit pour les micro-entreprises, les petites ou grandes entreprises ainsi que pour d’autres secteurs. Nous espérons, également, que le Japon et la Tunisie continueront de travailler ensemble pour aider d’autres pays africains à travers le concept Kaizen.