Professionnels de la plume, journalistes ou encore historiens de l’instant, hommes de culture et autres intellectuels fêtent aujourd’hui la Journée mondiale de la liberté de la presse. A travers le monde, comme en Tunisie, «tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes», alors que les derniers rapports de l’Unesco font état d’«une détérioration de la liberté de la presse qui a touché environ 85 pour cent de la population mondiale ces dernières années».
Le constat s’applique à la Tunisie. Si bien que de 2011 à 2020 —une décennie ou presque—, nos médias faisaient la part belle au sophisme, au cynisme. On a souvent rattaché nos trébuchements à une esquisse qui soit l’ébauche de quelque chose. Aujourd’hui que la traversée du désert semble perdurer, même esquisse semble loin d’être le mot juste. Nous, autres journalistes, peu innovants, peu créatifs, sommes largement dépassés par le cours d’un monde qui va à mille à l’heure. Et nous ne sommes en réalité que les tam-tam d’un monde déréglé chez nous. Une chose est sûre aujourd’hui : il y a un déficit de créativité, du moins dans les médias classiques où on a l’impression que le temps s’est arrêté depuis longtemps. Sur les écrans, le critique a cédé la place au chroniqueur, à l’attaché de presse, au porte-parole. Partout, l’œuvre devient produit, le public audience et le téléspectateur consommateur. Dans la
période de crise que nous vivons actuellement, avec ses incertitudes et l’absence de discours clair et responsable de la part des gouvernants, la voie est ouverte à toutes les dérives pour capter un public qu’on s’évertue à rendre crédule. Les sophistes sont là, omniprésents, et la manipulation des opinions est à son apogée. Dans le flot des paroles et des fausses interprétations, cela peut aller de la désinformation à des formes de propagande ou de diffamation sans souci d’éthique. Tout cela œuvre à perturber les références d’un public dans l’appropriation de son imaginaire. Car le sensationnel et l’émotionnel sont de l’ordre de l’immédiateté et ne peuvent pas donner à penser.
A court d’idées, freinés par leurs conditions précaires ou encore optant pour la facilité et la paresse, journalistes et managers ne font que perpétuer cynisme aveugle et irrationnel.
En l’absence d’une utile critique pour qu’il y ait doute, distance, médiation par le raisonnement, le fossé se creuse davantage entre le public et son environnement culturel. La culture des animateurs joue, du reste, en faveur d’une consommation passive, rendrait possibles toutes les mystifications et étendrait le royaume de la pensée conforme. En paye le lourd tribut le commun des mortels habitant ces contrées, donc la patrie.