«Toute dépréciation monétaire présente des inconvénients notables : des importations plus chères, une hausse de l’inflation et une baisse du pouvoir d’achat des consommateurs, les obligeant à s’orienter vers la consommation de produits locaux. Elle peut également rendre les industries locales moins efficaces à moyen terme, surtout les plus importatrices des matières premières».
La dépréciation du dinar intervient dans une conjoncture économique et financière que subit le pays depuis des années. La monnaie nationale a subi une chute importante ces derniers mois. Quelles sont, selon vous, les raisons de cette dépréciation ?
Avant de répondre à votre question, nous devons commencer par comprendre la différence entre la dévaluation d’une monnaie et sa dépréciation.
En effet, la dévaluation n’est possible que dans un régime de changes fixes, c’est-à-dire la valeur de la monnaie est fixée par la banque centrale par rapport à un «étalon» de référence, à savoir un métal (l’or), une monnaie ou un panier de monnaies. Autrement dit, la dévaluation est un outil de politique monétaire exploité délibérément par la banque centrale. Si elle présente certains avantages pour le pays concerné, comme des exportations plus compétitives en matière de prix, elle n’est pas sans risque.
Alors que dans un régime de taux de change flexible ou flottant, aucun engagement n’est pris au sujet du taux de change. Celui-ci évolue librement en fonction de l’offre et de la demande sur le marché des changes, on parle alors de dépréciation de la monnaie et les interventions sont limitées.
Pour le cas de la Tunisie, on parle de «flottement dirigé», comme le classe le FMI, un régime de change où la Banque centrale de Tunisie (BCT) intervient d’une manière discrétionnaire, à chaque fois qu’elle le juge nécessaire (donc double effet, du marché, l’offre et la demande de devises et effet de la BCT). Alors, nous pouvons dire, et comme vous l’avez précisé, qu’il s’agit d’une dépréciation du dinar tunisien. Celui-ci a connu depuis des années une décroissance de sa valeur, reflétant tant la conjoncture économique que la politique monétaire du pays (puisque la force d’une monnaie est déterminée par l’interaction de divers facteurs locaux et internationaux, tels que la demande et l’offre sur les marchés des changes, les taux d’intérêt de la banque centrale, l’inflation et la croissance de l’économie nationale…).
En effet, et à titre d’exemple, depuis le début de l’année 2023, c’est-à-dire durant les 4 mois écoulés, le taux de change du dinar tunisien a enregistré, selon la BCT une dépréciation de 1,3% face à l’euro et une appréciation de 1,6% face au dollar américain.
Quelles sont alors les raisons de cette dépréciation ?
Il est certain que la dépréciation d’une monnaie peut se produire pour des raisons diverses : une instabilité politique, une hausse soudaine des importations (dépendance de l’économie tunisienne surtout en matières premières importées et en énergie, dont les prix ont connu une inflation galopante dans le monde, en raison des guerres et du changement climatique), et une baisse des recettes d’exportation (faible taux de croissance économique en Tunisie, donc faible excédent exportable, sécheresse répétitive, taux d’inflation dépassant les 11% cette année, donc faiblesse de la compétitivité extérieure), et d’autres facteurs économiques, comme la spéculation sur le marché des devises, en sont généralement la cause.
On constate bien que la dépréciation continue du dinar tunisien et cela est dû, en grande partie, à une évolution économique défavorable et résulte de phénomènes qui échappent tout simplement au contrôle de l’autorité monétaire concernée, qui ne cherche par sa politique de change qu’à maîtriser ce phénomène.
Quel est l’impact de cette dépréciation du dinar sur les entreprises tunisiennes et sur le marché de l’emploi ?
Tout d’abord, on peut affirmer que la dépréciation du dinar tunisien entraîne un «effet volume». En effet, elle influe sur les quantités importées (qui coûtent plus cher pour les biens et services, mais moins cher pour les capitaux étrangers) et sur les biens et services exportés (dans la mesure où les biens produits deviennent meilleur marché pour les entreprises tunisiennes exportatrices, ce qui les rend plus compétitives et élargit leurs marchés à l’étranger).
On voit bien que les consommateurs se retrouvent lésés car leurs salaires ou pouvoirs d’achat seront impactés par la cherté des importations (inflation importée). De même pour les entreprises nationales non exportatrices, surtout les plus dépendantes de l’importation de leurs matières premières, leurs profits seront affectés, puisqu’elles seront amenées à acheter moins de biens ou de services à l’étranger pour le même budget qu’avant.
Au travers de ces différents éléments, on voit bien que la dépréciation monétaire a, tout d’abord, un double impact sur la balance commerciale de la Tunisie, en affectant à la fois les importations et les exportations et, sur les entreprises exportatrices (positivement), mais négativement sur les autres entreprises et sur les salariés. Quant à son impact sur le marché de l’emploi, il dépend de multiples facteurs : de l’environnement socioéconomique, des Investissements directs étrangers (IDE), du tissu industriel existant, de l’évolution du pouvoir d’achat de la population.
Cette dévaluation ne risque-t-elle pas d’impacter l’économie en général et les consommateurs en particulier, qui devront payer plus cher tous les produits du marché ?
Pour répondre à votre question, nous devons préciser, tout d’abord, comme nous l’avons avancé, que toute dépréciation monétaire présente des inconvénients notables : des importations plus chères, une hausse de l’inflation et une baisse du pouvoir d’achat des consommateurs, les obligeant à s’orienter vers la consommation de produits locaux. Elle peut également rendre les industries locales moins efficaces à moyen terme, surtout les plus importatrices des matières premières.
Par contre, et malgré ces inconvénients, cette dépréciation pourra avoir l’avantage principal de rendre les exportations du pays plus compétitives, puisqu’elles deviennent moins chères à l’achat. Cela peut augmenter la demande extérieure et réduire le déficit commercial et, par conséquent, accroître les investissements tant nationaux qu’extérieurs, donc l’emploi dans le pays.
En conclusion, les effets ou les impacts de la dépréciation du dinar sur l’économie, en général, sont multiples et dépendent de multiples facteurs et paramètres tant économiques que financiers et sociaux.
Il est important d’avoir une réserve de devises étrangères qui permet à l’Etat de respecter ses engagements financiers envers les bailleurs de fonds et les institutions financières internationales. Qu’en pensez-vous ?
Certes, le niveau des avoirs en devises influence le taux de change du dinar, puisque la BCT cherche, suivant sa politique monétaire de «flottement dirigé», à partir de son intervention sur le marché de change, de stabiliser le prix du dinar, en utilisant les réserves disponibles. A côté de cela, comme vous l’avez affirmé, les réserves permettent au pays de respecter ses engagements financiers envers les créanciers étrangers (BM, FMI et autres).
Pour le cas de la Tunisie, les différentes sources de devises étrangères sont différemment impactées par la dépréciation du dinar. La première source, ce sont les transferts des Tunisiens résidant à l’étranger. Ces transferts ont dépassé les 8 milliards de dinars en 2022 (effet positif de la dépréciation, puisque leur épargne est valorisée en Tunisie). La deuxième source, ce sont les exportations qui évoluent à un rythme beaucoup moins important par rapport aux importations, ce qui a aggravé le déficit commercial (donc l’effet positif de la dépréciation du dinar était faible). La troisième source, c’est le tourisme, dont les recettes augmentent ces dernières années en dépit des pandémies et des crises de l’économie mondiale (effet positif de la dépréciation). La quatrième source, c’est l’investissement direct étranger, qui connaît une évolution timide, mais croissante (effet positif aussi)
Enfin, la cinquième source, c’est l’endettement étranger, qui ne cesse d’augmenter (effet négatif de la dépréciation, puisque la devise étrangère coûte plus cher pour la Tunisie).