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Analyse | A-t-on besoin de l’Etat ?

 

Par Dr Tahar EL ALMI, Prof Associé, Psd-Fondateur de l’Institut Africain d’Economie Financière (IAEF-ONG)

De Ibn Khaldoun à Milton Friedman, l’Etat a toujours fait peur. Une peur viscérale, inhibitrice.

Pour autant, l’Etat peut susciter de la peur ou de l’appréhension.

Pour les Khaldouniens, l’Etat peut être critiqué pour son inefficacité ou son incapacité à répondre aux besoins de la population de manière adéquate. La bureaucratie gouvernementale est perçue comme lourde, bureaucratique et peu réceptive aux problèmes réels des citoyens. De même, les décisions politiques arbitraires ou les actions gouvernementales controversées peuvent également générer de la peur et de la méfiance.

Pour les Friedmaniens, lorsque l’Etat intervient massivement dans l’économie, en imposant des réglementations strictes ou en nationalisant des industries, cela peut susciter des craintes quant aux conséquences économiques, telles que la stagnation économique, l’inflation ou la perte de liberté économique

Aujourd’hui, en Tunisie, à mi-chemin de l’année 2023, déjà, les créanciers internationaux pointent leur nez sur un arrière-fond de très fortes tensions, politiques, sociales et économiques, où les partenaires sociaux « essaient de tirer les draps » chacun de son côté.

Au niveau de la politique économique, sans couleur, sans odeur, accablante, elle tient le bas du pavé, même si les projecteurs médiatiques sont braqués sur un « ailleurs » insipide.

Une année 2023, où les urgences sont occultées au détriment de considérations partisanes à l’opposé de celles des ménages, de celles des entreprises.

Les tableaux de bord économiques et financiers de l’Institut tunisien de la compétitivité et des études quantitatives (Itceq), de la Banque centrale de Tunisie, de l’Institut national de la statistique, de l’Institut africain d’économie financière… et autres organismes nationaux et internationaux publiés mettent en exergue qu’une reprise est des plus aléatoires, pour un certain nombre de raisons dont notamment :

-L’inflation qui se stabilise au-delà des 10% n’est nullement le fruit d’une politique monétaire antiinflationniste mais la résultante d’une déficience de la demande privée (de consommation des ménages) réprimée par un pouvoir d’achat en forte régression.

-Les réserves de change en jours d’importations qui ont atteint 93 j au 26 mai 2023 ne sont nullement le résultat d’une excellente gestion de change et encore moins celui de l’augmentation des transferts de revenus du travail des Tunisiens résidents à l’étranger. En fait, ils sont le résultat d’une dépression économique et du collapsus financier qui en découle. Les entreprises en « panne » d’activité n’ont plus la possibilité d’importer des composants, ni les matières premières nécessaires. Il en est de même des ménages dont le pouvoir d’achat fond à vue d’œil et dont la consommation se réduit à l’essentiel.   

Résultat des courses, moins d’importations et, toutes choses égales par ailleurs, le déficit extérieur régresse.

-La stagnation effective des investissements privés et/ou publics n’est nullement la conséquence « évidente » de la crise venue « d’ailleurs » mais le résultat d’options de gouvernance économique obsolète et dénuée de fondements spécifiques, propres à un pays en transition « politique ». Les taux d’imposition prohibitifs, l’absence de programmes d’investissements publics d’infrastructure constituent autant de facteurs inhibiteurs au redressement de l’activité économique. 

La productivité s’effondre

L’amélioration du niveau de bien-être social d’un pays en dépend essentiellement.

Voici une nation dont l’implosion devrait permettre enfin de mettre en place de vraies réformes structurelles. Qui tardent à être implémentées.

Voici que ce nettoyage à sec, tant attendu, prend la forme d’une crise multiforme associée à un tremblement social récurrent, et dont la violence extrême serait rédemptrice.

Les bons réflexes ?

Les pouvoirs publics réagiraient-ils enfin en adoptant les bons réflexes au lieu de céder à la facilité en gonflant sa dette publique avec tous les effets de structure, créateurs de stagflation et de déviance sociale ?

Le résultat, est là ! Les économistes de la Banque centrale de Tunisie n’y vont pas avec le dos de la cuillère. Pourtant, le taux d’inflation reste solidement ancré au voisinage des 10%, en dépit de l’agressivité d’une Banque centrale, jalouse pour son indépendance, et incapable de contenir les anticipations inflationnistes qui se seraient pourtant révélées pernicieuses pour un redressement de l’activité.

Probablement que cette dernière répond à d’autres « stimuli » en dehors de la sphère macro-financière.

Pourtant, tout étudiant de première année d’économie sait que les profits d’aujourd’hui c’est l’investissement, l’emploi, la production et  les revenus de demain. 

D’aucuns se demandent comment « s’en sortir », pour « tirer leur épingle du jeu de la crise », alors que la crise transitionnelle sévit encore. Il conviendrait de contribuer à reformuler le problème, à la lumière des faits stylisés analysés par de  nombreuses études, essentiellement en Tunisie.

La croissance potentielle du secteur productif serait tirée par le niveau capital physique, par le niveau de capital humain et par le progrès technologique. En d’autres termes, pour améliorer le « pouvoir » de produire « plus » de richesses, il faudrait plus de machines (l’accumulation du capital et les investissements), plus de travailleurs (capital humain), qui, combinés, par un processus technique (l’innovation technologique), permettent de produire relativement plus qu’auparavant de richesses à partager entre l’ensemble des citoyens dont le nombre (comme les besoins) croissent d’une année à l’autre. C’est à cela que le système productif doit répondre. Ici et ailleurs.

Or, l’amélioration du niveau de bien-être social d’un pays est notamment liée à la productivité (rendement) de son système productif. Comme l’est l’amélioration de la productivité, qui ne doit pas être le seul fait des entreprises, mais de tous les agents et de toutes les composantes de la société.

Les niveaux de productivité en Tunisie ont fortement chuté par rapport à ceux d’autres pays concurrents au cours des 12 dernières années de transition démocratique. Cela présuppose moins de croissance de la productivité dans le pays. Ce qui a des implications négatives, à terme, sur le potentiel de compétitivité du système productif tunisien sur les marchés internationaux et sur le potentiel de croissance et de création d’emploi notamment qualifiés. 

Les urgences pour l’immédiat 

Ces faits stylisés nous amènent à reformuler un certain nombre d’urgences :

En premier lieu, le seul moyen durable à long terme d’accroître le revenu réel par habitant et d’améliorer le bien-être collectif consiste à doper, maintenant, la productivité du secteur productif et principalement à accroître le rendement du secteur productif (privé et public). Pour cela, les pouvoirs publics, qui ont la charge d’assurer une croissance durable de la productivité, ont aussi celle de stabiliser le cadre macroéconomique et microéconomique propice aux gains de productivité, en améliorant notamment la fluidité du marché des produits par un contrôle rigoureux des circuits de distribution.  Ce qui présuppose moins d’obstacles administratifs, moins de pression fiscale et plus de soutien à l’entreprise, d’une part, et, d’autre part, accroître les perspectives de Partenariat-Public-Privé.

En deuxième lieu, à la marge de « l’indépendance » de la BCT, la politique monétaire qui soutient le redressement (via le desserrement de la contrainte financière des entreprises) contribue à accroître la performance et l’efficience du secteur productif, via des taux d’intérêt relativement plus faibles, pour inciter les entreprises, notamment, à renouveler leurs équipements à des coûts financiers supportables.

Enfin, la question d’une politique macroéconomique adéquate suggère aussi que corrélativement à la politique monétaire « soutenable », il conviendrait de revoir les canons de la politique fiscale, pour réduire la pression fiscale et parafiscale, au niveau de son adéquation aux besoins des entreprises : un taux d’imposition en dessous des 20 % serait plus incitatif pour l’activité de l’entreprise. Au choc réel, il conviendrait de répondre par un protocole réel d’inversion de la tendance, autrement dit par une politique expansionniste « budgétaire et/ou fiscale », vigoureuse sans avoir « d’état d’âmes » quant au déficit public (de court terme) qui en résulterait et qui se résorberait quand l’activité reprendrait à l’échéance.

L’avantage d’un protocole réel contra-cyclique est qu’il incite les agents à percevoir les tensions de la demande et à y répondre par des gains de productivité, dans la mesure où la politique monétaire « appropriée » accompagne ce protocole, sans verser dans le sens d’une dérive des prix des biens et des services (inflation) et/ou des actifs (bulle spéculative).

La problématique de redressement est certes économique et sociale, mais elle implique un repositionnement social réel de l’Etat.

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