Que sont devenus tous ces scientifiques tunisiens qui tutoyaient les Canadiens, les Chinois, les Américains et bien d’autres…? Personne ne le sait. Ce qui est sûr, c’est qu’ils sont un peu partout dans le monde
A cette période de l’année, nous sommes bien tentés de faire ce que font nos camarades des pages sportives : une revue des performances de nos techniciens et joueurs expatriés qui, pour la majorité d’entre eux, brillent et effectuent convenablement leur travail. Leur valeur marchande est en nette progression. On commence à les solliciter surtout en reconnaissance de leur maturité et leur très bonne lecture du jeu. C’est ce qui se passe au niveau du reste de nos expatriés qui, dans les différentes spécialités, scientifiques, techniques ou autres, sont sollicités un peu partout. Mieux que cela, on les prend au berceau, en allant les contacter dans leurs universités, leurs écoles de formation ou dans les salons que l’on organise.
Les médias rendent régulièrement compte du mérite de ces jeunes. Des jeunes qui ont sans aucun doute besoin d’un milieu ambiant plus approprié, de moyens techniques et financiers plus conséquents et surtout d’un intérêt effectif pour leurs découvertes et inventions. Nous en avons relevé un certain nombre et recueilli quelques sentiments qui en disent long sur l’état d’esprit de ces jeunes expatriés, dont certains sont revenus pour passer leurs vacances dans le pays.
A l’occasion de la 8e édition du Salon international du livre, la Foire internationale de Sousse a organisé la seconde édition du Salon de l’invention dans les domaines des sciences médicales, de la robotique, de la technologie, de la mécanique…
De multiples ressources
L’objectif de ce Salon est d’offrir aux étudiants, aux jeunes et aux adultes de multiples ressources dans le domaine des sciences de l’éducation et de la recherche ainsi que dans le domaine des choix des carrières. Occasion rêvée pour voir ces nouvelles générations de tunisiennes et tunisiens rivaliser d’ardeur, d’esprit d’innovation et de maîtrise pour décrocher des prix.
Au stand du centre de biotechnologie de Sfax, Besma Hadj Kacem, enseignante et chercheuse au laboratoire de biotechnologie moléculaire, a décroché le 1er prix du concours mondial de l’innovation qui s’est déroulé à Tunis en septembre 2022, ainsi que le 2e prix du concours national de l’invention.
Son invention porte sur une préparation pharmaceutique à fort pouvoir anti-hémorragique qui contient une molécule pro-agrégante favorisant l’activation de l’agrégation des plaquettes et de la formation d’un caillot de dimension adéquate pour accélérer l’arrêt du saignement. L’apport de cette invention est de réduire le temps de saignement de 50% et le volume du sang écoulé de 45%. Cette préparation est plus efficace que les produits actuellement commercialisés. Elle a été déposée, à l’échelle internationale, à l’Office européen des brevets le 12 octobre 2022 pour mieux protéger son invention.
Au stand de l’Association tunisienne de la recherche scientifique de l’innovation et de la propriété intellectuelle (Atrsipi), créée en 2018, Imen Khanfir, docteur et ingénieur en traitement de l’information, a présenté une invention consistant en un dispositif électronique portable pour les non-voyants, afin de les aider à naviguer en toute sécurité et interagir avec leur environnement.
Des chasseurs de têtes
Autre mérite et non des moindres, Hatem Slimane, président de l’Association tunisienne pour l’avenir des sciences technologiques (Atast) et enseignant en génie mécanique, a présenté les robots vainqueurs des jeunes inventeurs tunisiens au championnat du monde de la robotique qui s’est déroulé aux USA du 29 avril au 4 mai 2022. Son invention consiste en un compteur d’eau intelligent qui se ferme automatiquement en cas de fuite. Soit un moyen d’économie d’eau sophistiqué.
Mais il n’y avait pas que cela. Nous avons rencontré un médecin tunisien en vacances, qui était venu pour vivre parmi cette jeunesse débordante d’activité, en dépit des difficultés que vit le pays. «Je suis en vacances. J’ai quitté le pays il y a exactement une année. J’ai été contacté à l’hôpital où je travaillais par une dame qui s’était présentée comme la secrétaire d’une agence de recrutement de personnel médical et paramédical. Comme par hasard, elle avait toutes mes coordonnées. J’ai tout de suite compris que mes conditions seraient acceptées sans trop de discussion». Il poursuit, «effectivement, mon visa m’a été accordé en un temps record. Bien accueilli, mon logement était prêt, mon poste m’attendait. Je ne souhaite pas parler des conditions et des moyens accordés, par respect pour mes confrères qui travaillent dans nos hôpitaux. Ce sont des… héros. Oui, des héros et ils méritent plus que ce qualificatif».
Toutes voiles dehors
Des milliers sont partis. «Pas seulement des médecins, mais aussi des ingénieurs, des informaticiens et dans bien d’autres spécialités. Je sais qu’actuellement le pays traverse un creux de la vague qui finira par le pousser vers le haut. Ce sera l’occasion pour revoir la situation et accorder plus d’attraits pour que les jeunes ne partent plus. En pensant à ce qu’ils coûtent pour leur formation, il y a de quoi avoir froid dans le dos, mais c’est la vie et personne ne peut reprocher à ceux qui sont partis quoi que ce soit», s’exprime le jeune médecin.
Il revient à souligner, «nous aimons tous notre pays, mais beaucoup d’entre nous ne se retrouvent plus dans ces hôpitaux mal équipés, face à un système de santé que l’on a sciemment visé depuis au moins dix ans, pour le désarticuler, pour le détruire. Ils ne réussiront jamais. Il y aura toujours des médecins tunisiens de valeur qui font honneur aux facultés tunisiennes». Selon des statistiques, la Tunisie occupait la 5e place mondiale, en termes de nombre d’étudiants membres de l’IEEE en 2020. Ce classement n’a pas été mis à jour, depuis lors.
Formés à bonne école
L’IEEE Tunisie est une section de l’Institute of Electrical and Electronics Engineers (IEEE) qui est la plus grande organisation professionnelle technique au monde dédiée à l’avancement de la technologie pour le bénéfice de l’humanité. «Elle inspire une communauté mondiale à innover pour un avenir meilleur grâce à des publications hautement citées, des conférences, des normes technologiques et des activités professionnelles et éducatives». Que sont devenus tous ces scientifiques tunisiens qui tutoyaient les Canadiens, les Chinois, les Américains et bien d’autres…? Personne ne le sait. Ce qui est sûr, c’est qu’ils sont un peu partout dans le monde. Ils gardent contact avec leurs familles et leur pays. L’importance des envois en devises fortes qu’ils assurent régulièrement est un témoin concret de leur bonne situation d’abord, de leur attachement à leurs familles et au pays ensuite.
Bien des pays ont un besoin urgent de jeunes formés à bonne école et pour lesquels ils ne dépensent pas même une obole. Les conditions qu’ils leur offrent sont sans commune mesure avec ce dont ils bénéficiaient. Une nouvelle carrière, une nouvelle vie, de nouvelles expériences. Les offres d’emploi que l’on voit régulièrement sur les réseaux sociaux, les entretiens que l’on arrange avec des recruteurs attitrés, démontrent que les «mercatos» n’ont pas lieu une ou deux fois par an, mais se succèdent à longueur d’année.
On en a besoin, mais…
La Tunisie a sans doute besoin de ces jeunes, mais il faut absolument que l’on en fasse un dossier à ouvrir, à résoudre une fois pour toutes. Pour qu’ils ne partent pas ailleurs, il y a des sacrifices à faire. «L’option sécuritaire ayant montré ses limites» : c’est la position officielle de la Tunisie. Cela a été clairement exprimé. Le message semble avoir été saisi. Il faut investir pour fixer, intéresser, motiver, donner de l’espoir et de l’espérance. L’espoir de ne pas être déçus et l’espérance en un avenir meilleur pour eux, pour leurs familles, pour leurs régions. Ce sera difficile avec ces lourdeurs administratives qui bloquent tout, avec des responsables qui se prennent pour des roitelets dirigeant une tribu de mangeurs d’hommes. Idem avec un enseignement public qui n’est plus un modèle du genre et que l’on déserte vers le privé pour se préserver de l’anarchie qui y règne.
Lundi 22 mai écoulé, le ministre de l’Enseignement supérieur a lancé des chantiers universitaires à Gafsa. Combien de futurs diplômés parviendra-t-on à intéresser avec un budget squelettique accordé à la recherche scientifique ?
Nos jeunes, avec leurs réussites que le monde entier leur reconnaît, ont réussi à faire voler des avions et des hélicoptères, à concevoir des robots qu’on s’arrache et bien d’autres découvertes que l’on s’approprie à bon compte parce que nous n’avons pas les moyens de les développer. Cela fait beaucoup de questions qui demandent de véritables réponses et non point des effets d’annonces creux, inutiles et sans lendemain.