Dar El Masrahi au Bardo, nouvellement restaurée, a accueilli récemment l’avant-première de la pièce «Ladies», libre adaptation du «Roi Lear» de William Shakespeare. Interprété par Ridha Boukadida, dans le rôle-titre, le metteur en scène a choisi de réduire le rôle de Lear et de mettre l’accent plutôt sur les trois filles de ce dernier d’où d’ailleurs le titre «Ladies».
Dans cette version librement adaptée, l’écriture moderne de cette tragédie familiale et politique traite de l’aveuglement d’un père et l’honnêteté d’une de ses filles. Durant 1h15, la pièce donne à voir les rivalités familiales exacerbées dans la transmission de l’héritage et les enjeux de pouvoir et d’influence.
Sur une scène nue meublée juste d’un accessoire lumineux que transportent les protagonistes, le texte se déploie dans plusieurs langues : arabe littéraire, arabe dialectal, français et anglais et les corps fiévreux s’engagent avec une énergie affolante pour une expérience humaine et ses errements.
Lear, père vieillissant, décide de partager ses biens entre ses trois filles, à condition qu’elles lui déclarent l’amour qu’elles lui portent. A des fins stratégiques, les deux aînées acceptent, tandis que la benjamine refuse de se prêter au jeu qu’elle considère hypocrite. Son père n’accepte pas sa rébellion et décide de la déshériter et la renie. Mais les aînées choisissent après coup de s’affranchir de son autorité et deviennent à leur tour tyranniques et corrompues.
Une version actualisée
Rejeté par ses filles, Lear en pyjama et robe de chambre, les pieds nus, les cheveux hirsutes et un verre à la main se livre à une folle solitude. Dans cette version actualisée, Lear ne meurt pas, il continue à entretenir un pouvoir qu’il ne veut jamais céder et garder son emprise sur une génération qui se débat dans des histoires intimes où les ambitions démesurées prennent le dessus dans ce drame sur fond de chaos politique à peine esquissé.
Pour faire entendre cette poignante tragédie, le metteur en scène a opté pour un spectacle dépouillé et sobre au centre duquel le jeu des acteurs est tout dans une scénographie a minima avec un plateau quasi nu, des lumières d’une splendide froideur, des costumes sombres. Une esthétique crépusculaire où se relâchent les tensions et s’écrit l’histoire d’un Lear maudit et lâche dont l’appétit du pouvoir est toujours intense.
Les comédiens ont mis toute leur énergie pour créer un jeu percutant.
Ridha Boukadida campe un Lear sénile, dépossédé, débraillé, ombre de lui-même, presque un fantôme d’un passé anéanti. Il est entouré par une troupe de comédiens au jeu vif et contrasté. «Ladies» ne prétend pas révolutionner le texte de Shakespeare, mais l’utilise comme prétexte pour évoquer ici et maintenant le désarroi d’un monde qui ressemble au nôtre.