Dans la Cité aghlabide, on n’a pas beaucoup de choix concernant les loisirs, d’autant plus que c’est la platitude et le désert culturel pour une jeunesse avide de divertissement.
En cette deuxième quinzaine du mois de juillet, il est grand temps pour ceux qui n’ont pas encore commencé à profiter des vacances d’été de chercher des idées pour distraire toute la famille…
Il va sans dire que la première chose à faire, si on a épuisé toutes les solutions possibles, est d’en parler en famille. Et surtout demander aux enfants ce qu’ils ont envie de faire. Un séjour forcé, aussi séduisant soit-il à nos yeux, n’a aucune chance d’être une réussite s’il n’y a pas concertations avec les jeunes vacanciers. A Kairouan, par exemple, où 40% de la population ont moins de 30 ans, beaucoup de familles, pour des raisons professionnelles ou matérielles, n’ont pu aller dans les villes sahéliennes et se trouvent donc obligés de supporter les grandes chaleurs estivales, vivant la journée dans un état semi-comateux.
En effet, dans la Cité aghlabide, on n’a pas beaucoup de choix concernant les loisirs, d’autant plus que c’est la platitude et le désert culturel pour une jeunesse avide de divertissement.
A part une vieille piscine municipale, fermée depuis cinq ans pour «cause de travaux», de trois espaces de loisirs où les prix sont excessifs, des salons de thé noyés dans la fumée des chichas, une maison des jeunes presque désertée, un complexe culturel souffrant de plusieurs lacunes, quelques terrains de quartier très modestes, les jeunes ne trouvent pas de lieux pour s’épanouir, décompresser et s’adonner à leurs hobbies préférés. C’est pourquoi on voit dans les quartiers populaires des écoliers et des collégiens jouer, en fin d’après-midi, au ballon, aux billes ou à la toupie, et ce, faute de moyens financiers. Par contre, dans les quartiers résidentiels, c’est le vide vu que les jeunes s’adonnent aux jeux-vidéo pendant de longues heures avec ce que cela comporte comme risque d’addiction, d’isolement et de manque de communication. Belgacem H., père de trois enfants, trouve que, durant les deux dernières décennies, on est passé de la démocratie culturelle à la culture d’élite : «Jusque dans les années 90 et 2000, la culture et les loisirs étaient accessibles à tous aussi bien en ville qu’à la campagne à travers les comités culturels locaux, les bibliothèques itinérantes, les clubs dans les maisons des jeunes, les excursions à l’étranger dans le cadre des activités de la jeunesse scolaire. Puis à partir des années 2000, les pratiques culturelles classiques ont cédé la place à la culture numérique.
De ce fait, les vieilles bibliothèques publiques, dont le contenu laisse à désirer et les maisons des jeunes, sont dépassées par les nouvelles technologies…».
Témoignages
Face à ce constat peu reluisant, beaucoup de jeunes intellectuels, n’ayant pas les moyens financiers pour voyager et échapper à la canicule, préfèrent ne pas traîner dans la monotonie des journées et ne pas rester en proie à la routine, s’adonnent à diverses activités liées, par exemple, aux Ntic (formatage d’ordinateurs à domicile, installation de systèmes d’exploitation, configuration de logiciels, traitement de textes, dépannages divers…)
D’autres s’adonnent au jardinage, au bricolage, à l’écriture, à la peinture, à la couture ou à la musique. Tel ce jeune dynamique enseignant Adel, professeur d’anglais, qui ignore les torpeurs et les bavardages inutiles. Il a toujours besoin d’agir, de se dépenser, d’écrire avec fougue des poèmes et de réaliser des tableaux de peinture : «Depuis l’enfance, la peinture et l’écriture représentent pour moi un passe-temps passionnant. Mais je n’éprouve jamais autant le besoin de peindre ou d’écrire que pendant les vacances d’été où l’absence d’activités intéressantes devient fatigante. Et c’est justement là que la peinture et l’écriture deviennent une échappatoire qui permet, d’une part, de meubler de façon intéressante mes vacances et, d’autre part, d’extérioriser mes émotions afin de mieux me maîtriser…», nous confie-t-il.
Enfin, certains citoyens s’adonnent à des activités sportives et participent aux différentes cérémonies de mariage et de fiançailles. D’autres savourent la fraîcheur des maisons traditionnelles, dont les vastes chambres, les sqifas et les caves sont «climatisées» naturellement, grâce à une architecture spécifique et des matériaux de construction adaptés au climat de la région, été comme hiver… Ali et Faouzi, deux élèves inscrits au lycée d’El Ala, nous parlent du vide vécu pendant les vacances d’été : «Ici, en milieu rural, on s’ennuie à mourir, on ne sait où aller, d’autant plus que les rares activités programmées au sein de la maison des jeunes sont banales. La routine de nos journées est synchronisée au rythme des saisons : le moindre écart nous jette dans l’extraordinaire. Il nous arrive de passer des heures sous un olivier à lire n’importe quoi tout en regardant s’allonger les ombres…».
Quant à Khalil, étudiant en sciences de l’informatique, il a choisi le freelance pour meubler ses vacances et pour gagner un peu d’argent : «Ainsi, j’exerce des travaux occasionnels, tels que la cueillette des fruits de saison, les transcriptions en ligne, les traductions pour des particuliers, la vente de pois chiche et de persil. Cela me fait oublier la platitude des vacances à El Ala qui sont synonymes d’oisiveté, d’errance et d’ennui car les activités culturelles sont défaillantes et les espaces infrastructurels manquent. Et la plupart des jeunes vacanciers sont contraints de supporter la routine des va-et-vient entre le vieux café et les prairies…».
Ali, 35 ans, cadre dans une entreprise, est obligé pour des raisons professionnelles de passer l’été chez lui, nous confie ses impressions : «Comme j’ai épuisé tous mes congés annuels, je me trouve contraint de supporter la chaleur torride de la cité aghlabide. C’est pourquoi je me réfugie des fois chez mes grands-parents dont la maison est située à la médina et ainsi je profite de la fraîcheur sans avoir recours à un climatiseur et cela grâce à une architecture et des matériaux traditionnels. Il m’arrive également d’aller passer quelques moments à Bir Barrouta et de flâner dans les vieux souks couverts et qui sont relativement frais. Alors passer l’été à Kairouan n’est pas si pénible qu’on le prétend. Il faut juste trouver le moyen d’échapper à la canicule qui concerne non seulement notre ville, mais tout le pays et même la plupart des continents…».