Mes humeurs: La cigale et la fourmi

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Septembre. Retour à la double séance de travail, la cigale comme la fourmi ont quitté l’été, ses plages, les sorties nocturnes, les mariages, les chansons et les festivals. Les deux se mirent à la même table pour discuter bilan de l’été, économie et  scolarité des enfants ; l’heure est aux comptes. La bise n’a pas encore soufflé, mais la cigale est déjà pourvue, elle a chanté tout l’été, écumé les villes et les festivals, son cachet a grimpé jusqu’aux sommets, ses fans et ses admirateurs ont grossi. Pendant ce temps, de nuit comme de jour,  la fourmi vendait des photos et autres colifichets, criant  fort de sa petite voix aiguë et fluette.    

Ces jours-ci, partout, dans les villes et dans les campagnes, la rentrée scolaire est dans toutes les conversations. Dans les journaux, à la radio et à la  télé, tout le monde évoque les prix, non pas littéraires ou culturels (on y reviendra bientôt); les plaintes et complaintes sont monnaie courante. C’est à croire que cette saison se prête volontiers aux exercices de comptabilité. Il y a matière à se lamenter et à râler.

Attablées, nos deux amies ne font pas exception, la fourmi est fatiguée, elle continue tout de même à nourrir et élever ses enfants malgré les aléas de la vie. La cigale est dans une forme olympique, son portefeuille a gonflé, sa célébrité s’est étoffée, elle prépare scrupuleusement sa prochaine tournée dans les pays riches. La fourmi pleure ses difficultés actuelles et craint fort l’arrivée de la bise et l’avenir, elle pose naïvement la question «  comment donc, moi qui ai travaillé et  pris de la peine, me trouve à crier famine, toujours en train d’emprunter pour subsister et toi, cigale, qui chantes à tout venant, comment, donc, as-tu fais pour être si riche et heureuse ? » Quelques hésitations de convenances et, de sa voix de Mezzo-soprano, la cigale  répond « Mais, chère dame, pour arriver à ce point de gloire et de richesse, j’ai peiné longtemps,  mes parents aisés m’ont inscrite dans une école de chant en Europe, dix ans de vocalises, d’application, d’apprentissage rigoureux…en fin de parcours, j’ai entamé ma vie professionnelle ;  les remplacements, les premières parties de scènes et puis la renommée. Me voici devant toi riche et heureuse ».

La tête baissée, la fourmi confie : « Mes parents n’étaient ni  riches ni cultivés pour pousser mes études, je devais travailler pour vivre, j’ai travaillé, transpiré et contrairement à ce que dit la fable, je suis prêteuse, et en ces jours difficiles, je ne trouve pas de quoi payer les fournitures d’école et les autres besoins scolaires ; y a-t-il une  explication au contenu et à la morale de la fable ?» L’air compatissant, la cigale répond : « Des balivernes ma chère, à  l’époque, la sociologie n’existait pas, la lutte des classes n’était pas née ; aujourd’hui, partout dans le monde,  tenez-le pour argent comptant, le déterminisme social décide de tout.»

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