Tourisme | Ahmed Obbaia, Président par intérim de la Fi2t à La Presse : «Nous nous réjouissons d’être dans le peloton des destinations convoitées malgré une conjoncture géopolitique défavorable »

 

«Nous avons réussi à recouvrir, à des niveaux différents, la plupart des principaux marchés émetteurs, hors Ukraine et Russie en raison de la guerre, et celui de la Chine qui vient tout juste de donner le feu vert aux TO à revenir en Tunisie. Le marché des touristes de croisière a également marqué son retour».

La saison estivale 2023 devrait être un peu meilleure qu’en 2022. 5,4 millions de touristes ont visité la Tunisie, au 10 août 2023, ce qui a permis d’augmenter les recettes touristiques. Quelle est votre évaluation de la situation ?

Après les deux saisons 20 et 21 nettement affectées par les restrictions des voyages dues au Covid-19 et une saison 2022 de timide reprise, la saison en cours semble être en bonne voie pour retrouver nos réalisations d’avant la pandémie. En effet, nous avons réussi à recouvrir, à des niveaux différents, la plupart des principaux marchés émetteurs, hors Ukraine et Russie en raison de la guerre, et celui de la Chine qui vient tout juste de donner le feu vert aux TO à revenir en Tunisie. Le marché des touristes de croisière a également marqué son retour avec MSC en début d’année et sera consolidé par l’imminent retour du géant COSTA. Le tourisme saharien s’est particulièrement illustré cette saison par des événements de sport mécanique (Moto-Auto), souvent de grande renommée internationale.

La reprise du tourisme international semble donc bien réelle et nous nous réjouissons d’être dans le peloton des destinations convoitées, et ce, malgré une conjoncture géopolitique défavorable et une situation socio-économique et financière difficile. Toutefois, nous sommes malheureusement contraints de constater que malgré les efforts accomplis par les professionnels, hôteliers et agents de voyages et le travail soutenu du ministère de tutelle et de l’Ontt, pour restaurer l’image et la qualité de notre tourisme d’avant pandémie, certaines séquelles persistent et devraient nous interpeller. Outre les problèmes structurels que vit le secteur depuis quelques années, la crise du Covid-19 nous a légué deux nouveaux soucis majeurs : le désintéressement des jeunes de l’emploi dans le tourisme vu sa précarité et la difficulté d’accès aux crédits d’investissements désormais vital pour le secteur.

Qu’en est-il du tourisme interne ? Quelles sont vos prévisions pour la suite de l’année ?

Le tourisme interne a longuement constitué un sujet fâcheux entre professionnels et consommateurs tunisiens qui se voyaient mal servis et considérés comme «roue de secours» chaque fois que les hôtels sont vides. Pourtant, tous les professionnels et les acteurs du tourisme s’accordent sur l’importance de ce segment de marché qui a et continuera à contribuer pleinement dans le développement du secteur. Je crois que le compromis a enfin été trouvé dès lors que tous les hôtels et agents de voyages accordent désormais aux Tunisiens les mêmes principes commerciaux appliqués aux touristes étrangers, tels que Early Booking, Promotions et autres formules donnant accès à des tarifs préférentiels, réductions spéciales aux enfants, seniors, voyages de noces etc… Cela a profité au client en mieux gérant son budget et au professionnel en mieux gérant aussi l’occupation et les contingents alloués aux divers marchés. Toutefois, je pense qu’il est nécessaire d’accomplir encore un travail de sensibilisation pour assurer la bonne cohabitation dans nos hôtels entre touristes locaux et étrangers.

Les mesures prises en pleine crise du Covid-19 pour aider les professionnels à résister et à travailler sur le redémarrage de l’activité du secteur. Où en est-on aujourd’hui ?

Pour les professionnels du tourisme, la crise du Covid-19 fut l’une des crises les plus meurtrières de leur histoire. Hôtels, restaurants, agences de voyages, guides, artisans et bien d’autres acteurs ont vu leurs revenus réduits à zéro et leurs projets anéantis. Les maigres aides promises par l’Etat pour les soutenir ont été entourées de conditions drastiques et souvent décourageantes et n’ont profité qu’à une infime minorité. Nous sommes aujourd’hui encore au stade de l’évaluation des dégâts car beaucoup ne s’en sont pas remis. Au sein de notre fédération Fi2T nous estimons à 20/25% le nombre d’agences de voyages qui auraient disparu, plusieurs gîtes et maisons d’hôtes fermés, etc.

Quelle est votre appréciation sur les principales orientations de la stratégie touristique à l’horizon 2035?

La Fi2t a effectivement pris part aux travaux de l’élaboration de la stratégie nationale du tourisme à l’horizon 2035 et s’en réjouit particulièrement car cette initiative répond parfaitement aux objectifs et aux principes fondateurs de notre fédération qui, depuis sa création, œuvre à mettre en place les synergies nécessaires entre les différents acteurs  privés , l’administration et les fédérations professionnelles pour repenser un tourisme alternatif , durable , inclusif et surtout profitable à une large frange de la population. A cet effet, nous pensons que les principaux axes ayant été retenus comme base de travail pour le développement et la modernisation de notre tourisme sont d’une importance cruciale, nous soulignons particulièrement l’urgence des mesures suivantes : le renforcement des capacités aériennes et aéroportuaires, c’est-à-dire désormais le touriste viendra sur des vols pas chers, qu’il réservera sur son téléphone portable quelques jours voire quelques heures avant, parmi des offres low cost alléchantes les unes plus que les autres qui l’emmènent dans le monde entier. A cet égard, l’ouverture du ciel «Open Sky» voire la création d’une compagnie low cost aux côtés de Tunisair seront une affaire de survie pour notre tourisme. La desserte internationale aussi bien qu’interne devrait inclure tous nos aéroports pour permettre au touriste de visiter plus qu’une région pendant son voyage.

Le développement et la modernisation des infrastructures

Vétustes, certaines même en ruine, la plupart de nos infrastructures, touristiques, hôtelières et routières constituent un facteur rétrogradant de notre tourisme. Il est impératif de renforcer et développer un réseau de transport routier et ferroviaire moderne qui permettra aux touristes de se déplacer facilement dans tout le pays. La sauvegarde de l’environnement, du patrimoine et de l’écosystème. Le touriste de demain ne voyagera plus que pour se baigner, il recherchera le dépaysement, la découverte de la nature, de la culture et des expériences de vie. Notre pays pourrait être une destination de rêve pour vivre ces expériences si l’on préserve les richesses naturelles et l’immense patrimoine culturel qui nous sont offerts. Inciter à l’investissement dans nos zones rurales et faciliter l’accès aux crédits aux jeunes promoteurs, notamment à travers le partenariat public-privé (PPP) pourraient contribuer au développement rapide des zones rurales et l’émergence de nouveaux pôles d’attractions touristiques en plus de réduire le chômage des diplômés. Malgré les efforts louables fournis par l’Etat depuis la création des écoles et instituts de tourisme renforcés par les établissements de formation privés, la crise du Covid-19 a engendré un grand déficit du personnel qualifié qui a déserté le secteur devenu trop précaire et saisonnier. La stratégie 2035 devra impérativement mettre en œuvre les moyens nécessaires d’une politique de formation continue et d’intégration de grands diplômes de gestion hôtelière et touristique. Toutes ces mesures et bien d’autres évoquées par la stratégie nationale 2035 permettent au tourisme de devenir un vrai moteur de développement économique, social et environnemental sur l’ensemble du territoire national.

-Un Conseil supérieur du tourisme sera créé prochainement pour développer le secteur.

Quelles seront vos attentes en tant que Fédération interprofessionnelle du tourisme tunisien à l’égard de cette nouvelle structure ?

Nous avons longtemps réclamé la création d’un haut conseil national du tourisme, et maintes tentatives avaient échoué. Aujourd’hui et devant l’urgence de la situation, nous ne pouvons que nous réjouir d’une telle entreprise qui regroupe tous les acteurs et conjugue leurs visions et en stratégies de croissance et de développement.

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