Bras financier de l’Etat et “investisseur de long terme”, la CDC œuvre, tous azimuts, à soutenir l’écosystème des PME en Tunisie. A son actif, plusieurs mécanismes et programmes de financement ou de restructuration des PME, qui visent à donner une bouffée d’oxygène à des entreprises malmenées par les crises et par une conjoncture économique difficile. Dans le cadre de ces efforts continus, la caisse s’apprête aujourd’hui à lancer une nouvelle ligne de financement “ligne Relance” qui sera dédiée à la restructuration et à la relance des entreprises tunisiennes. Nejia Gharbi, DG de la CDC, nous apporte de plus amples informations sur les mécanismes phares mis en place par la caisse pour appuyer les PME. Entretien.
Tout d’abord, commençons par dresser un état des lieux des PME en Tunisie. Arrivent-elles à s’en sortir dans un contexte économique difficile ?
Les PME sont confrontées, en Tunisie, à des défis importants dans un contexte économique difficile, notamment après la crise du Covid. Les difficultés économiques, la concurrence accrue et les perturbations liées à la pandémie du Covid-19 ont impacté leur performance. Cependant, de nombreuses PME ont montré une résilience remarquable. La CDC, en tant qu’investisseur institutionnel de long terme, joue un rôle important et essaie d’apporter de la stabilité et de la profondeur à travers son soutien à ces entreprises. Qu’est-ce que la caisse peut leur apporter ? Surtout des mécanismes dédiés qui répondent à leurs besoins. C’est-à-dire qu’on ne peut pas leur offrir, par exemple, des financements de développement alors qu’elles souffrent de problèmes de restructuration ainsi que de difficultés structurelles. Maintenant, on se focalise beaucoup plus sur la restructuration des PME pour pouvoir sauver le plus grand nombre d’entreprises tunisiennes. Car, après la crise Covid-19, beaucoup de PME, en raison des conjonctures difficiles, ne font plus recette et leurs chiffres d’affaires ont été laminés et, du coup, certaines d’entre elles étaient dans l’obligation de signaler un défaut de paiement pour être, par la suite, classées. De ce fait, elles ne peuvent plus mobiliser le financement nécessaire à leur développement et notre rôle est d’intervenir pour essayer de revoir leurs schémas de financement et d’investir dans les fonds propres. En effet, la CDC, via les fonds d’investissement, cible beaucoup plus l’investissement par le haut du bilan dans l’objectif de renforcer les capitaux propres. Ceci renforce la solidité de leurs fonds propres, ce qui leur permet de résister dans les moments difficiles. L’injection d’argent au niveau des fonds propres leur donne du souffle, mais aussi leur permet de revenir et accéder au circuit bancaire.
Le manque de ressources de financement a toujours été un obstacle majeur pour les PME en Tunisie. Est-il possible de mettre en place de nouveaux mécanismes de financement dédiés aux PME ?
Avant de répondre à votre question, j’aimerais bien apporter une petite clarification. Les ressources n’ont jamais manqué pour permettre aux entreprises de passer le cap surtout dans des moments de crises, sauf que la méconnaissance de ces outils fait que peu d’acteurs en jouissent, la responsabilité est partagée, les investisseurs ne communiquent pas assez et les demandeurs d’investissement ne savent pas comment trouver leurs besoins. D’où l’utilité de recourir au digital qui facilite ce matching. Je fais un petit clin d’œil à notre plateforme digitale Joussour Invest. Revenons à votre question, Oui, il est possible de mettre en place de nouveaux mécanismes de financement dédiés aux PME en Tunisie, et c’est le rôle de la Caisse de proposer de nouvelles solutions mieux adaptées aux besoins. La CDC travaille en collaboration avec d’autres institutions et partenaires pour promouvoir des initiatives de financement spécifiques et plus adaptées aux besoins des PME. Parmi les mécanismes possibles, la création de fonds d’investissement généralistes ou spécifiques, des lignes de crédit ciblées par objectifs qui cherchent de l’impact, sans oublier le développement de partenariats stratégiques avec des acteurs du secteur financier. Mais encore, la CDC a pu mettre en place également de nouveaux mécanismes totalement méconnus dans l’environnement de l’investissement en Tunisie et je ne citerais que deux, la mise en place d’un fonds de fonds (Anava) et la promotion d’une ligne de financement patient mezzanine avec la BM en octroyant des OCA. Ces mécanismes permettent de mobiliser de nouvelles ressources financières pour soutenir les PME, et faire évoluer les mentalités et élargir le spectre de l’investissement en général et ne pas se focaliser sur le crédit et le système bancaire classique. Je parlais tout à l’heure de méconnaissance des offres existantes et de la nécessité de faire connaître les différentes actions proposées : la CDC, grâce à un partenariat avec l’Usaid et pendant la crise sanitaire Pandémie Covid, a monté de toutes pièces en un temps record une plateforme digitale appelée Joussour Invest qui offre un matching 100% digital et sans intervention quelconque entre les investisseurs et les demandeurs d’investissements. Cette plateforme est totalement gratuite, garantit la sécurité des transactions et assure la confidentialité, mais surtout elle fait éviter aux demandeurs de financement d’avoir un accès à toutes les offres existantes sur le marché ce qui facilite l’accès au financement pour les PME. Le crowdfunding est notamment un mode de financement innovant qui permet aux PME de lever des fonds auprès d’un grand nombre de contributeurs individuels via des plateformes en ligne. Il est encore à son début, essayant de trouver un chemin aux côtés des autres modes. La CDC avec ses partenaires apporterait de l’eau au moulin et contribuerait certes à faire évoluer ce mode.
Comment la CDC appuie-t-elle les PME?
L’appui aux PME figure parmi les axes annoncés par le décret-loi relatif à la création de la CDC. Cet appui est généralement possible via les fonds d’investissement ou des mécanismes de financement dédiés. La CDC apporte, en effet, un soutien significatif aux PME en Tunisie par le biais de plusieurs mécanismes. Elle participe activement à des fonds qui investissent dans des PME, ce qui permet de mobiliser des capitaux pour leur croissance. De plus, la CDC offre des lignes de financement aux PME plus adaptées à leurs besoins des lignes nouvelles et novatrices, sans oublier que la CDC est un investisseur stratégique de long terme, un investisseur en Capital. La CDC a lancé l’initiative Aspire d’une taille cible de 100 millions de dinars pour renforcer les capacités des fonds et opérationnaliser la restructuration des PMEs. Elle est dédiée au soutien des PMEs actives dans des secteurs à fort potentiel, ayant besoin d’un rééquilibrage de bilan et de ressources financières pour se développer. Ce soutien s’est concrétisé déjà par la souscription de la CDC dans deux fonds de restructuration «Fcpr Inkadh» et «Fcpr Mourafek», également, d’autres fonds de restructuration éligibles à cette initiative sont en cours d’étude pour d’éventuelles souscriptions. Par exemple, en 2015, on a lancé la ligne mezzanine qui a été financée par la Banque mondiale. Cela a permis d’introduire un nouveau mécanisme de financement qui permet de répondre aux besoins de financement de la PME sans pour autant passer par le financement capital. Il s’agit d’obligations convertibles en actions qui permettent de donner une facilité de financement pour ces PME et en même temps tout en leur accordant le temps nécessaire à l’étude de leur convertibilité. La mise en place de cette ligne mezzanine a, en effet, permis de tester ce mécanisme, qui a été repris, par la suite, par plusieurs fonds d’investissement qui, aujourd’hui, mettent à disposition des entreprises les deux mécanismes de financement , en l’occurrence “le financement par l’investissement Capital” et “le financement mezzanine”. La CDC intervient également, via les programmes de soutien : nous élaborons des programmes, en partenariat avec les bailleurs de fonds dont l’objectif est d’accompagner les PME. Et le volet le plus important dans notre appui, c’est le private equity via les fonds d’investissement. C’est un moyen pour atteindre les PME et leur offrir des mécanismes de financement en capital. Aussi, nous avons remarqué que, parfois, les fonds d’investissement et les sociétés de gestion disent qu’elles disposent de fonds sous-exploités par les PME au moment où ces entreprises déplorent un manque de mécanismes de financement dédiés. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place la plateforme Joussour Invest, qui met en lien la PME et l’investisseur en capital. C’est une porte qui ouvre les horizons aux PME, qui souhaitent solliciter les fonds d’investissement et accéder à des mécanismes de financement disponibles, et parfois sous-utilisés. Cette plateforme est même dotée d’un matching intelligent qui oriente la PME vers le fonds le plus adapté à son besoin en termes de tickets, secteurs ou stratégies. Dans le cadre du programme de financement des start-up et PME innovantes, nous avons lancé un fonds dédié aux PME innovantes “Innova Tech”.
Est-ce que ces mécanismes ont atteint leurs objectifs ?
Au 31 décembre 2022, la CDC compte dans son portefeuille 25 participations dans des Fonds d’investissement totalisant 187 millions de dinars, ces fonds sont gérés par 13 sociétés de gestion partenaires dont 21 fonds locaux souscrits de taille cible 876 millions de dinars et deux véhicules de financement, 188 projets financés dont 80 en ZDR et 6752 emplois créés ou maintenus dont 3480 en ZDR, elle a souscrit pour 15 millions d’euros et 10 millions de dollars (dans 3 fonds régionaux), et jusque-là 17 sorties des fonds réalisés.
Le fonds InnovaTECH, dédié aux PME innovantes porteuses de croissance, et qui a été officiellement lancé en février 2022. Il s’agit d’un fonds d’investissement spécialisé doté d’une taille de 125 millions de dinars, ciblant les PME ayant des programmes de développement incluant des investissements dans l’innovation et les technologies. Ce fonds se focalise sur des secteurs clés tels que l’éducation, la santé, la FinTech, l’énergie renouvelable, l’AgriTech, l’industrie 4.0, les TIC, l’électronique, le big data, l’intelligence artificielle, les médias, le commerce électronique et d’autres technologies favorisant la transformation digitale. Le fonds InnovaTECH, qui a investi jusqu’à maintenant dans 5 PME innovantes pour 11,8 millions d’euros, joue un rôle essentiel dans le soutien aux PME innovantes en offrant un accès au financement nécessaire à leur croissance et à leur développement. Les mécanismes mis en place par la CDC ont atteint leurs objectifs dans une certaine mesure. Ils ont contribué à renforcer le financement des PME, à créer des emplois et à favoriser l’innovation. La CDC a joué un rôle essentiel dans la dynamisation de l’écosystème des PME en Tunisie. Cependant, il subsiste des défis à relever, notamment en matière d’accès au financement pour un plus grand nombre de PME. La CDC continue de travailler sur de nouvelles initiatives pour renforcer davantage son soutien aux PME.
Une précision que je vous prie de bien mettre l’accent là-dessus, la CDC est un investisseur de long terme, donc pouvoir donner une réponse globale semble difficile, puisque les fonds dans lesquels nous souscrivons sont généralement sur une période de 10 + 2, les indicateurs sont dans une nette évolution positive, et certains fonds ont pu réaliser des sorties avec des TRI qui ont dépassé les scénarios les plus optimistes.
Actuellement, la CDC est en train de travailler sur de nouvelles lignes de financement au profit des PME, telle que celle financée par le Fades. Quels sont les nouveaux mécanismes que la CDC compte mettre sur pied au cours de la période à venir ?
La ligne Fades s’inscrit dans le cadre de la restructuration des PME. On a proposé dans le cadre du programme du gouvernement qui vise à apporter des solutions aux PME, de créer cette ligne qu’on a appelée “ligne relance”. Sa taille cible est de 100 millions de dinars dédiée à la restructuration mais aussi à la relance des PME. Cette ligne se décline donc en deux volets : on travaille sur la restructuration mais aussi sur les apports en capital qui permettent de financer la relance, l’extension de l’activité ou l’amélioration du mode de gestion de la PME. On a proposé cette ligne à plusieurs bailleurs de fonds et on a eu la réponse du Fades qui a souscrit dans cette ligne à raison de 60%, soit 40 millions de dollars. Elle vise à apporter un appui non seulement aux PME qui passent par des difficultés mais aussi à celles qui ont un potentiel important, et ce, afin de préserver et de créer des emplois. L’objectif, c’est surtout la création d’emplois et la stabilisation des PME. Nous travaillons aussi sur les mécanismes de financement vert. Actuellement, on s’est penché sur la création d’un fonds d’efficacité énergétique qui va permettre de lever des financements verts. La CDC se prépare, également, à la première sortie en green bonds pour financer des projets d’une certaine taille en Tunisie. On est en train de construire le pipe des projets qui nécessite une certaine maturité, notamment, au niveau des études.
Qu’en est-il des start-up ?
Le projet dédié aux start-up se décline en deux grandes composantes : la première composante c’est le financement capital. Et dans le financement capital, il y a le fonds de fonds Anava et le fonds InnovaTech. Anava est le premier fonds de fonds en son genre dans la région Mena et même en Afrique. Il permet de souscrire dans les “childfund” qui eux financent les start-up. Quant au fonds Innovatech, il est dédié aux PME innovantes. La composante 2 comporte tous les mécanismes d’appui et de soutien à l’écosystème, notamment, l’appui aux start-up et aux structures d’accompagnement. Cette composante est aussi importante car elle a permis de créer une dynamique au niveau de l’écosystème et de mettre en place des programmes d’accompagnement qui répondent aux besoins des start-up. Dans ce volet, plusieurs programmes gérés par Smart Capital ont été lancés. Mais le plus important c’est le programme Flywheel,qui a vu le jour grâce à la contribution de la GIZ en plus de la contribution de la Banque mondiale. Il a permis de mettre sur pied divers mécanismes tels que R, R2 mais il y a d’autres programmes qui ont été financés par d’autres bailleurs de fonds qui font actuellement l’objet de discussions. Nous gérons également d’autres programmes comme le programme Fast qui est financé par l’AFD, et qui est dédié comme son nom l’indique (Femmes et accélération pour les Start-up et TPE) au financement des structures d’accompagnement, des accélérateurs et des start-up initiés par des femmes ou co-fondés par des femmes dans les régions. Actuellement, nous avons pu financer 18 structures dans le cadre du programme Fast. Mais on pourra avoir aussi d’autres partenaires avec nous qui peuvent soutenir de la même manière l’écosystème des start-up.
Pour finir, comment évaluez-vous le travail effectué par la CDC en matière d’appui aux PME en Tunisie?
La CDC est un acteur incontournable dans le financement des PME. On est sollicité par toutes les parties prenantes, notamment les départements ministériels, tels que les ministères de la Femme, l’Environnement ou l’Industrie, étant donné qu’on est aussi présent dans les technopoles. La CDC est un tiers de confiance, donc on peut structurer des programmes avec les bailleurs de fonds. On a une flexibilité surtout dans la gestion qui nous permet de lever ces financements, de s’engager sur les programmes et de faire le reporting nécessaire. Pour ce faire, on est très outillé. Il y a toujours cette continuité dans le partenariat avec les bailleurs de fonds, en raison de la confiance qui s’installe entre la CDC et ses partenaires. Nous maîtrisons les besoins du marché: on observe un peu qu’est-ce qu’il y a comme demande et on essaie de structurer une fiche de projet qu’on soumet par la suite aux bailleurs de fonds avec lesquels nous travaillons, et à chaque fois nous obtenons une réponse. Des fois, on est sollicité directement par les bailleurs de fonds pour structurer ensemble un mécanisme de financement. Donc, les projets peuvent être lancés à notre demande ou à la demande du bailleur de fonds. Notre rôle aussi est de préserver et de fructifier les ressources qui nous ont été confiées sur des projets structurants qui doivent assurer une certaine rentabilité mais aussi générer un impact sur l’écosystème, les régions, l’emploi, bien sûr, en toute synergie avec les politiques de l’Etat. Les projets à impact social, qui créent des emplois et qui permettent d’accélérer la transition énergétique, sont dans notre viseur. Nos ressources sont gérées dans un cadre de gouvernance bien défini qui stipule qu’on soit minoritaire. Par exemple, notre participation dans les fonds d’investissement ne peut pas dépasser 20% mais elle peut atteindre 40% dans le cas où c’est la CDC qui initie le fonds puisqu’on est en totale synergie avec la politique de l’Etat.
On n fait pas dettes ni de subventions sur nos ressources, cependant la CDC intervient à travers les programmes financés par les bailleurs de fonds pour apporter des mécanismes de financement par subvention aux stratups et TPE. Notre mission est d’appuyer les PME par tous les mécanicanismes que nous pouvons mobiliser que ce soit sur nos ressources ou sur les fonds que nous pouvons lever auprès des bailleurs de fonds.