« Si rien n’est fait, le drame de la Rabta pourrait bien se reproduire »

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L’état critique du secteur de la santé ne fait plus de mystère depuis 2016 au point que tous les intervenants sont menacés dans le maintien de leur santé ou dans l’exercice de leur profession. Un secteur à sauver de toute urgence pour inverser la mauvaise spirale avant qu’il ne soit trop tard…
Le collectif de la société civile pour la défense du secteur public de la santé a organisé une conférence de presse, hier au siège du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux. Les organisateurs ont procédé à une lecture critique du programme de mesures urgentes décidées par le Conseil des ministres jeudi 28 mars 2019. Il s’agit d’examiner dans quelle mesure ce programme répond aux nécessités urgentes du secteur et son impact sur les difficultés quotidiennes des citoyens et des professionnels. Le drame des douze nourrissons dernièrement décédés à cause d’une infection nosocomiale à l’hôpital de La Rabta a été le signal d’alerte sur l’état de dégradation avancée que connaît le secteur de la santé publique en Tunisie. Mme Halifa Gharbi, présidente de l’Association tunisienne des infirmiers et trésorière du collectif, n’a pas manqué de relever certaines défaillances et les remèdes indispensables qu’il faut apporter. Elle dresse le bilan et l’état des lieux actuel : « Comme l’a souligné Dr Attayef, il y a un réel problème de salubrité dans les hôpitaux. L’infection causée est liée aux soins dans les hôpitaux par manque de moyens. Le secteur qui connaissait une hygiène de qualité dans les années 1980 s’est considérablement dégradé à cause de la mauvaise gouvernance, de l’absence de formation professionnelle. Il faut d’abord se donner les moyens avec une évaluation de la situation du secteur. Il y a des compétences à qui il faut donner des moyens conséquents pour que les choses s’améliorent. »

Un rythme à double vitesse
Toutefois, la santé ne semble pas représenter une priorité absolue, notamment avec la compression budgétaire d’année en année. Mme Gharbi s’insurge contre cet état de fait : « La prévention et la promotion de la santé ne sont pas une priorité. A croire qu’on attend que les choses se dégradent considérablement pour trouver des solutions provisoires. C’est le provisoire qui dure ! » Lesquelles solutions sont des mesures palliatives qui ne résolvent pas les problèmes de fond du secteur sanitaire. Le secteur de la santé, jadis le fleuron de la Tunisie depuis les années 1960 jusqu’aux années 1990, a connu une dégradation graduelle depuis. « Les hôpitaux végètent actuellement dans un état lamentable comme je n’ai jamais vu ! » Les conditions de travail sont devenues inhumaines selon elle. Ce qui explique les départs sous d’autres cieux des blouses blanches. Le scandale des nourrissons décédés pourrait se reproduire si rien n’est fait ! « Par manque de matériel, par manque d’hygiène, par manque de coordination… », clame-t-elle. Par manque des éléments fondamentaux au fonctionnement de base des services hospitaliers et de santé. Ainsi, de nombreux spécialistes partent ailleurs en France, en Allemagne jeunes et moins jeunes pour trouver de meilleures conditions de travail. D’autres se tournent vers les cliniques et les infirmeries privées pour des conditions plus favorables que celles du secteur public. Un rythme à deux vitesses qui lèse et entrave au plus haut point le fonctionnement du système public de santé à commencer par les hôpitaux. Il faut préconiser un travail de fond pour cibler les besoins à travers les études et les stratégies qui ont été faites. Pour autant ce secteur souffre mille maux et demeure sous perfusion.

Un secteur agonisant
Un nouveau scandale a ébranlé la sphère de la santé avec le décès de trente-deux enfants à cause de la rougeole dont dix à Kairouan, 12 à Kasserine et dix à Sfax. D’un autre côté, la baisse drastique des effectifs dans le secteur avec le cas de Tataouine qui compte désormais cinq médecins praticiens en 2019 contre dix en 2016 à cause de la démission des cadres médicaux a été évoquée. Les directeurs régionaux des centres de santé n’ont pas signalé les manquements à ce niveau. Ce qui constitue un des quatre axes des problèmes cités par le collectif de défense. A commencer par le financement des sociétés de santé, les cadres de santé, les médicaments et la gouvernance. L’affectation des médecins constamment sur le Grand-Tunis et les régions côtières et Sfax au détriment des villes et régions intérieures est un désastre qui cause des déséquilibres. Une absence de décentralisation. Les salaires modiques qu’ils perçoivent. Un million de malades s’approvisionnent en médicaments dans les hôpitaux et les centres de santé du secteur public. Les dates lointaines dans les prises de rendez-vous ont été pointées du doigt même si à Bizerte et Ras Jebel, la donne est différente avec un fonctionnement normal aux dires des membres du collectif présents au Ftdes. Dr Jawher Mzid, médecin généraliste a donné un aperçu global de ce qui a été dit durant la conférence de presse. Il a tenu ces propos : « Il y a beaucoup d’éléments importants. Le premier d’entre eux concerne les affectations et nominations avec certains cadres médicaux qui refusent de travailler dans les zones défavorisées et parfois même favorisées. Il faut avoir le courage d’agir à ce niveau en favorisant la mutation dans les régions intérieures non pas de façon singulière mais en équipe complète. Pour ne pas qu’ils soient démobilisés, fatigués et découragés. » Le problème des médicaments avec des sondages de l’INS et des recensements qui ont mis en lumière certaines défaillances. Le budget ministériel réservé aux médicaments ne couvre que 30% des besoins en médicaments de la population tunisienne. Les maladies chroniques se retrouvent affectées dans cette configuration posée avec des problèmes de financement. A travers la Caisse de compensation de santé, on peut allouer 100 milliards dont 30 milliards seront destinés aux malades chroniques qui ont des cartes de soins avec gratuité dans les hôpitaux tunisiens. » Il demande aussi à ce que les dettes des grands hôpitaux soient épongées envers les fournisseurs privés et les assureurs en matière de santé comme la Cnss. Elles sont estimées à plus de 500 milliards cumulés sur ces trois dernières années depuis 2017 notamment. Il stigmatise le fait que les fournisseurs ne participent plus aux appels d’offres pour les hôpitaux pour des raisons inconnues.
Un intervenant a insisté sur les rendez-vous octroyés aux malades atteints de cancer qui sont espacés jusqu’à une année, ce qui est intolérable.
La mauvaise gestion des déchets médicaux comme à Gafsa a été dénoncée à cause des pertes à coups de milliards. La corruption dans la santé publique a également été dénoncée avec l’impératif d’y mettre fin pour sauver le secteur qui sent le soufre. La tendance ne sera positivement inversée que s’il y a un traitement favorable et équitable pour maintenir les blouses blanches en Tunisie. D’ailleurs actuellement 70% des problèmes de santé sont résolus uniquement contre un meilleur taux auparavant, ce qui fait dire que 30% des problèmes ne le sont point.

Mohamed Salem KECHICHE

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