Fin avril, prochain round des négociations sur l’ALECA : Faire valoir l’approche du cas par cas

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Toutes les parties prenantes, l’UE comprise, s’accordent sur la nécessité d’adopter une approche prudente pour se prémunir contre les risques pouvant impacter négativement un secteur désormais en difficulté. La Tunisie tient à appliquer une approche basée sur la liste négative des produits exempts de toute libéralisation et un traitement au cas par cas. Le ministère de l’Agriculture propose une phase transitoire de quinze ans, au lieu de douze.
Le quatrième round des pourparlers sur un Accord de libre-échange approfondi (Aleca) aura lieu à la fin du mois en cours. Sachant que les négociations n’ont porté jusque-là que sur les principes de base du traité, à savoir l’asymétrie, la rentabilité, la progressivité et le temps accordé pour la transition, le quatrième round sera consacré à la discussion du secteur agricole.
Tout d’abord, il est à rappeler que l’Aleca s’inscrit dans la même veine de l’Accord d’association AA conclu en 1995, qui a acté la levée des barrières douanières pour le commerce des produits industriels. Comme son nom l’indique, l’Aleca entérine, en effet, l’extension des domaines à libéraliser, en l’occurrence l’agriculture, le commerce, les services, l’investissement et l’accès aux marchés publics, outre l’alignement des législations et des cadres réglementaires. À vrai dire, depuis l’amorçage en 2015 des négociations sur le traité de libre-échange dans une approche de voisinage sud adoptée par l’UE, l’Aleca n’a jamais fait l’unanimité des divers acteurs socioéconomiques. Et à mesure que les études d’impact, notamment sur l’économie nationale, se multiplient, il devient difficile aux experts de trancher définitivement sur les conséquences tous azimuts de la conclusion d’un tel accord, surtout que les négociations ont été entamées dans un contexte politique, social, économique et régional assez particulier. Néanmoins, dans ce tumulte d’avis, seul le secteur agricole ne fait pas l’objet de controverse : toutes les parties prenantes, l’UE compris, se sont accordées sur la nécessité d’adopter une approche prudente pour se prémunir des risques pouvant impacter négativement un secteur désormais en difficulté. Partant, le fait de mettre tous les secteurs à libéraliser dans le même sac, empêche de démêler les opportunités des risques d’un Aleca pour la Tunisie.

Bilan mitigé de l’impact sur le tissu économique 
Au sujet de la levée des barrières tarifaires, il est notoire qu’à l’exception des produits agricoles dont la plupart sont protégés par des droits de douane assez élevés aux alentours de 30% imposés par la partie tunisienne, la libéralisation du commerce est désormais située à un niveau très avancé, avec des impositions pondérées aux alentours de 1,7% pour la Tunisie et de 0,6% pour l’UE. Sans omettre que l’huile d’olive est particulièrement protégée par l’Union européenne à travers des contingents tarifaires. Pour la libéralisation des services, des opérateurs de certains secteurs compétitifs, à l’instar des TIC, aspirent à travers l’Aleca à un meilleur accès au marché européen. En effet, une étude réalisée en 2018 par le think-tank Solidar Tunisie a mis en exergue les opportunités offertes par l’Aleca, notamment en termes d’internationalisation pour les entreprises tunisiennes opérant dans le secteur des TIC, et ce, dans le cas où certains préalables, en l’occurrence la mobilité et l’accompagnement au financement à l’étranger, seraient satisfaits. Le secteur des TIC étant un secteur compétitif, naturellement libre, surtout avec le droit de mobilité accordé à titre exceptionnel aux professionnels tunisiens, fait l’objet d’un exemple réussi de libéralisation des services, contrairement à d’autres secteurs tels que les services postaux et de courrier jusque-là fortement protégés. Il est à noter que l’ouverture des secteurs des services nécessite l’harmonisation des réglementations sectorielles. Au sujet des marchés publics, le libre accès des entreprises européennes favoriserait la concurrence et par conséquent une meilleure offre, à moindre coût. Cependant, la concurrence entre les entreprises tunisiennes et européennes ne peut être loyale que dans une optique de compétitivité comparable.
Une récente étude réalisée par deux experts de la fondation autrichienne pour la recherche en développement (OeFSE), M. Werner Raza et M. Bernhard TrÖster, a établi les éventualités et les scénarios possibles suite à la conclusion d’un Aleca et dresse le bilan des résultats qui en découlent. En se basant sur des modèles de simulation, l’étude estime une baisse d’environ 0,52% du PIB national dans le cas où la libéralisation des droits de douane s’effectue d’une manière simultanée et complète entre les deux parties. Elle démontre une forte concurrence qui peut menacer les filières des céréales, des aliments et des boissons en Tunisie. Elle soulève que seulement certaines filières tunisiennes peuvent bénéficier de la levée des obstacles douaniers et pénétrer le marché européen, à savoir les huiles végétales, les légumes et les fruits. Cette baisse peut désormais s’accentuer en se situant à – 0,8% si on y ajoute l’alignement des réglementations phytosanitaires, surtout qu’elles représentent pour le marché européen un rempart contre l’affluence des produits, notamment agricoles. La partie européenne s’engage à adopter un processus de libéralisation progressif tout en tenant compte des asymétries, dont le degré varie d’un secteur à l’autre. Pour l’agriculture, l’UE a déclaré qu’elle accordera à la Tunisie une période de transition allant jusqu’à 12 ans.

La subvention interne : un élément à prendre en compte
De son côté, la Tunisie tient à appliquer une approche basée sur la liste négative des produits exempts de toute libéralisation et un traitement au cas par cas. Le département de l’agriculture, quant à lui, a demandé d’étendre la phase transitoire à 15 ans. Les experts économiques considèrent que cette approche constitue un point positif dans les négociations. Cependant, ils appellent à intégrer un autre élément, celui du dumping par le biais des subventions dans les négociations. En effet, l’économiste Chafik Ben Rouin a démontré dans son étude effectuée sur la libéralisation du commerce des produits agricoles dans le cadre d’un Aleca, qui a été financée par l’Utap, que la partie européenne se sert de subventions agricoles octroyées aux agriculteurs européens pour protéger leur marché interne. Cette politique de subvention est à l’origine des prix biaisés sur le marché, notamment international, estime l’expert. À titre d’exemple le taux moyen de dumping des produits céréaliers est aux alentours de 30%. C’est ainsi qu’il souligne la nécessité de suspendre le démantèlement tarifaire, spécifiquement des produits bénéficiant du soutien interne de l’UE, notamment les produits céréaliers, les produits laitiers, les viandes rouges et blanches et les œufs, et ce, jusqu’à ce que la question du soutien interne de l’UE soit clarifiée.
Par ailleurs et d’une manière générale, l’Aleca doit être évalué en se basant sur une approche qui met les objectifs de soutien à la Tunisie, en tant que pays voisin du Sud, démocratique et économiquement prospère, au centre de son architecture, mentionnent les économistes autrichiens dans leur étude. Des recommandations qui ont été définies à cet effet impliquent essentiellement l’élaboration des listes restrictives exemptant les secteurs sensibles tels que les filières céréalières outre les marchés publics où il est question d’intégrer des dispositions spécifiques privilégiant les opérateurs nationaux et de surcroît l’accompagnement à la modernisation industrielle au profit de la Tunisie.

Marwa Saidi

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