On n’entend plus parler des adeptes de l’art naïf et marginal. Certains nous ont quittés, d’autres se sont évaporés dans la nature et comme laissés pour compte après avoir suscité quelques heures de curiosité et même de petite gloire, vite dissipées dans les méandres de l’oubli.
Je me souviens de l’artiste peintre de la Médina Ali-Guermassi et de son atelier à la rue Tourbet El Bey, décédé en mai 1992. Il était un peu sur les traces de Yahia Turki, mais il avait son style particulier. Il était très adulé par les collectionneurs espagnols.
De Baghdadi Chniter qui trônait plutôt au bas de la Médina où les touristes, en ce temps-là, nombreux, allaient dans son capharnaüm lui acheter des peintures dignes de celles du Douanier Rousseau. Il avait même peint une œuvre métaphorique de Paris et Tunis, avec la Tour Eiffel et la Porte de France et les petits drapeaux des deux pays, œuvre offerte au Président Jacques Chirac qui l’en avait remercié.
Je me souviens de Meherzia Ghadhab et de Jtita et j’en oublie. Et puis de cet ouvrage de Jellal Kesraoui, consacré aux peintres naïfs tunisiens…
Les rares qui sont encore visibles et fonctionnels aujourd’hui sont Hamadi Ben Saâd apparu comme tel dans cette monographie d’artistes (classé plutôt comme «brutaliste», selon la formule consacrée de Dubuffet ou Jakowsky en France) et, bien sûr, Hayet Guesmi Meddeb. Cette artiste au long cours qui s’est toujours réclamée du terroir berbère et dont on vient de lui consacrer une rétrospective au Palais Kheireddine il y a quelques jours. Le patrimoine pictural accumulé de cette grande dame charismatique et combative est impressionnant. Hayet a toujours été fidèle à ses principes premiers : d’être en dehors des classifications artistiques comme l’était d’ailleurs Beya la Marocaine, dénichée par Picasso, au même titre que le Douanier Rousseau, parce qu’ils étaient des artistes très imaginatifs et rebelles à toute atteinte à leur personnalité.
Nous avions parlé la semaine dernière de Hayet Guesmi, de sa démarche et de la richesse de ses inspirations, qui ont été, depuis fort longtemps, comme un retour aux sources du patrimoine maghrébin, sans recours à un certain académisme. Du pur et du plus pur jus de cet art marginal qui est le sien. Même s’il y a eu, comme pour cette tribu d’artistes dont nous avons cité des noms, quelques hauts mais aussi des bas. Pourquoi ? Pas à cause de la richesse de son imaginaire d’artiste, mais aux règles établies par le système culturel et artistique lui-même qui veut que lorsqu’on lance une tendance bruyamment du silence, on doit, par la suite, la renvoyer à ce même silence. Or la cuisine picturale de cette artiste est toujours pleine de cette saveur première et même au goût du jour à l’heure où, dans tout le Maghreb on revient enfin au style berbère (Imazigh), longtemps occulté par les diktats politiques.
Cette rétrospective de l’art marginal possède en elle-même le monopole de la sensibilité et de l’authenticité. Et pourquoi ne pas la préserver de l’oubli en lui réservant une salle à part, avec les autres œuvres d’artistes disparus, pour créer un petit musée de l’art naïf et marginal dans l’enceinte de la Cité de la culture?
C’est ce que l’on fait en Europe actuellement, pour ces artistes d’un art populaire fragilisés par les tendances nouvelles et qui risquent de disparaître à jamais…