Les feuilletons tunisiens dans leur format actuel vont bientôt changer. « Macha3ir », le feuilleton du germano-turc Muhammet Gök avec un casting composé d’acteurs tunisiens et algériens, a créé la surprise. En effet, personne ne s’attendait à ce que ce feuilleton atteint des taux d’audience spectaculaires. Diffusé sur quatre chaînes à la fois : Carthage+, El Hiwar Ettounsi, Ennahar (Algérie) et El Wassat (Libye), « Macha3ir » s’est imposé grâce à un scénario bien ficelé jouant sur l’émotion et les surprises, la réalisation d’une grande maîtrise mettant en valeur les décors naturels de la Tunisie, le jeu et la beauté des acteurs.
« Macha3ir » a détrôné tous les autres feuilletons tunisiens « Awled Moufida » saison 4 de Sami Fehri sur El Hiwar Ettounsi, « Chouereb » saison 2 de Madih Belaid sur Attessia , « Nouba » de Abdelhamid Bouchnak sur Nessma TV, « L’affaire 460 » de Majdi Smiri sur Attessia et « El Maestro »de Lassaâd Oueslati sur Wataniya 1. Sans nier les efforts non négligeables des producteurs, des réalisateurs et des acteurs ainsi que de toutes les équipes techniques pour proposer des produits artistiques d’une certaine qualité, néanmoins, ces fast feuilletons au scénario simpliste et à l’écriture prémâchée manquent de rigueur et de maîtrise d’autant plus qu’ils sont produits dans la précipitation et avec des budgets étriqués.
Il a fallu un réalisateur germano-turc Muhammet Gök (un nom à retenir) pour renverser la donne et proposer un feuilleton fleuve (plus de 100 épisodes) avec la Tunisie comme décor et un casting tuniso-algérien. Un challenge pour ce roman familial dont l’aura particulière l’a imposé comme étant le meilleur feuilleton ramadanesque de cette année. Les audiences n’ont cessé de grimper d’un épisode à l’autre. Quels sont les éléments de ce succès ? L’écriture dramatique d’un scénario proche d’un conte contemporain multipliant les intrigues et les rebondissements et tenant en haleine les spectateurs d’un épisode à l’autre.
L’intrigue : Zahra (Sara Laâlama), jeune Algérienne, refuse un mariage forcé et prend la fuite le jour de ses noces vers la Tunisie. Vêtue de sa robe de mariée blanche, elle quitte l’Algérie et se retrouve à Tunis où une voiture la percute. Celui qui l’a heurté est un puissant homme d’affaires Tahar Yahia (Hacen Kechach), marié et père de trois enfants, toujours flanqué de son chauffeur et homme de main (Ahmed Landolsi). Sa femme Meriem (Meriem Ben Chaâbane) apprend le jour même qu’elle souffre d’un cancer du cerveau et qu’il ne lui reste que quelques jours à vivre. Elle ne révèle sa maladie qu’à ses copines et décide de quitter le domicile conjugal dans la discrétion la plus totale…
Un souffle épique
Zahra, poursuivie par Ammar (Nabil Asli) le prétendant qu’elle a délaissé et qui la hante, est désemparée. Elle finit par accepter l’offre de Meriem : être la nounou de son jeune fils Youssef. Zahra va devoir prendre, en somme, le cœur de Tahar et donc le pouvoir face à la mère de Tahar (Samia Rhaiem), magouilleuse qui veut à tout prix marier son fils à une parente (Rym Ben Messaoud)… Au cœur de cette tourmente que vit Tahar, un mari dévoué, un père exemplaire mais un redoutable homme d’affaires, que va évoluer le personnage beau et angélique de Zahra. Zahra, qui porte bien son nom, semble s’extraire du réel et puiser sa force et son existence à un niveau symbolique qui la place au-delà de l’histoire.
Pas étonnant pour le réalisateur germano-turc bercé par une double culture qui lui permet de penser son feuilleton comme une chronique réaliste teintée de merveilleux. « Macha3ir » mêle au réalisme de la narration des éléments de l’ordre du fabuleux non pas tant pour les concilier que pour en exagérer l’apparente discordance. Tahar se rend chez un cheikh (Hichem Rostom), tandis que son rival Ammar visite une voyante (Dalila Meftahi) pour l’aider à retrouver Zahra.
Les qualités scénaristiques ne seraient rien sans l’intelligence et la subtilité de la réalisation qui caractérisent le travail de Muhammet Gök. Sa caméra trouve à chaque fois le mouvement adéquat et une cohérence entre ce qu’il dit et comment il le dit. Le montage joue la carte du suspense pour mieux en extraire les lignes de fuite, privilégiant cette part de non-dit qui autorise le spectateur à découvrir par lui-même les enjeux de ce drame familial, accentuant de la sorte cette part d’inconnu que masque le banal du quotidien, abandonnant la garantie du récit linéaire pour le risque de l’envers du récit.
Ce qui fait de « Macha3ir » une réussite à tous les niveaux tient à plusieurs éléments narratifs. Le décor naturel, des paysages de Tunisie d’une beauté époustouflante jamais vue dans aucun autre feuilleton. Le travail du directeur photo a sublimé les différents lieux de Tunis, de la médina à Sidi Bou Said en passant par les Berges du Lac, la Place Barcelone sans oublier les différentes autres régions du nord au sud du pays magnifiés par une lumière et des mouvements de caméra avec des plans aériens tout à fait sublimes. Les décors d’intérieur des villas cossues et luxueuses sont d’un goût raffiné et subtil. La musique joue un rôle primordial et alimente savamment les séquences et les raccords entre les scènes.
Enfin le choix du casting et la direction d’acteurs est impeccable. Chaque personnage existe par lui-même et dans son contexte créant par son jeu une impression de réalité et d’imaginaire où les frontières entre les deux se diluent. Costumes, maquillage sont étudiés avec précision pour rendre la présence des acteurs des plus agréables. « Macha3ir », une œuvre réalisée avec rigueur et professionnalisme malgré les barrières de la langue et des cultures.