Par Khaled TEBOURBI
Ce qui gène dans le procès Ben Youssef ce n’est pas qu’il y ait procès aujourd’hui. Soixante ans après. En 61, Il y eut bien meurtre «sur commande», et le pouvoir bourguibien, en observant et en imposant le silence, l’avait en quelque sorte reconnu.
Il y eut, aussi, en 2011, une révolution, puis l’élection d’une constituante et l’établissement d’une justice transitionnelle ainsi que l’élection de l’IVD (l’Instance de vérité et de dignité).
Partant, rien de plus normal, de plus moral, de plus légitime et de plus légal que suspects, responsables et coupables du temps de la dictature soient rattrapés et jugés. A fortiori les auteurs et les commanditaires d’un «crime d’Etat».
Les voix qui s’élèvent en ce moment, qui crient au scandale, qui invoquent la primauté de l’Histoire et l’œuvre du libérateur et fondateur, apparaissent, donc, plus passionnées que raisonnables. L’histoire a tous les droits sauf celui de passer outre les personnes. La Tunisie de l’indépendance avait ses urgences, ses nécessités, ses priorités. Le Zaim croyait sincèrement à l’édification du pays. Il n’empêche : la vie d’un homme, la vie de tout homme, est sacrée. «Héritiers de Dieu sur terre» : le précepte divin, humain, supplante tout. Ce n’est qu’après que l’on se consacre au devoir patriotique, au service de la nation.
Un procès Ben Youssef n’a pas eu lieu depuis 61. Ni au local, ni à l’international. Bizarre. La révolution, la justice transitionnelle, l’IVD (fût-ce aux dépens de nos idées, de nos convictions) nous offrait l’occasion de rétablir la vérité et le droit. C’est fait. Nous n’avons pas à crier au scandale. Ni à nous lamenter sur notre Histoire et le sort de nos dirigeants.
Ce procès honore, au contraire. Dans un certain sens, il réhabilite, il blanchit. Mieux pour nous : il dérangera sûrement ceux qui cherchent à en tirer profit. Ceux-là, on les a aperçus sur les bancs de la défense, ou «vautrés» parmi le public. Ils appartiennent tous à la même chapelle, au même clan. Voilà la vraie gêne. L’embarras d’un procès Ben Youssef que l’on «ranime» quelque soixante ans après. Un procès qui ne se réclamera pas forcément de la vérité et du droit. Qui n’entendra pas, nécessairement, rendre justice, rattraper des coupables, corriger des impunités. Le plus probable est que c’est un procès qui se «rouvre» à dessein, pour servir la cause de certains politiques. Les islamistes et leurs émules, avant tout. Pour que ces derniers prennent, encore, «revanche sur des années de prison».Pour qu’ils raflent plus de voix lors des prochains scrutins. Pour qu’ils élargissent leurs audiences et leurs horizons. Pour qu’ils mettent en difficulté la république et l’héritage laïque bourguibien.
Qui a connu Salah Ben Youssef sait que le défunt leader, moderniste et francophone à souhait, n’eût jamais frayé avec cette «caste». Son petit-fils, principal plaignant, et la famille qu’il représente, n’ont sûrement pas fait le meilleur choix.
Le sentiment, maintenant : il n’en résultera rien pour quiconque.
Les héritiers seront dédommagés, mais la mémoire de Salah Ben Youssef y gagnerait-elle pour autant ? Difficile à dire. Si ce n’est déjà vain. Bourguiba était le chef incontesté du Néo Destour. Il a eu, en plus, ses résultats. Pour Ben Youssef, à ce jour, on en compte peu. Très peu.
Les partis religieux et leurs émules peinent, pour leur part, à compromettre l’image du Zaim. On n’efface pas un libérateur, un héros de l’indépendance en trempant dans des intrigues. Bientôt 50 ans que les «comploteurs» s’y essayent. Bourguiba n’est plus. Restent le Bourguibisme, le modèle bourguibien, la Tunisie laïque, multiculturelle et progressiste de Bourguiba. Il faudra bien plus que des gourous et des confréries, des avocats «fanatiques» et des imams «véreux» pour en détourner les Tunisiens.
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