La Tunisie —par les temps qui courent— est devenue une histoire de l’œil. Mais pas forcément comme celle initiée par Georges Bataille (*) où cet organe, le plus important des cinq sens de l’homme, est empreint d’un voyeurisme sexuel exacerbé, et tout de même comparable à celui exercé dans les mariages «Orfi» ou un certain jihad que nous ne nommerons pas… Non, l’histoire de l’œil, à l’endroit de la Tunisie, est celle qui a été dévolue au citoyen tunisien —depuis les neuf derniers mois— à regarder, sans rien comprendre, à ce qui se passe dans le pays et que par progression —mais sur le tard— à atteindre à l’intelligence et aux manigances qui se tramaient contre lui. Il s’est aperçu alors à force de voir et de revoir qu’il s’était fait avoir tout le temps où l’on faisait miroiter les miracles de cette pseudo-révolution morte-née et pleine de désillusions.
Cette myopie du regard, générale, ne l’était pourtant pas pour ceux qui n’ont eu de cesse à jouer ce jeu macabre… Mais est-il trop tard vraiment? Certains analystes, d’ici comme d’ailleurs, disent qu’ils «voient» les choses changer dans le bon sens du terme. Ont-ils tort, ont-ils raison, il faudra voir, et revoir où nous en sommes. Wait and see…
Mais que nous reste-t-il de cet organe malade et ayant perdu tant d’énergie à essayer de voir les choses dans leur normalité de lointaine tradition?
Certains vous diront «Il ne nous reste que nos yeux pour pleurer !» D’autres plus observateurs et perspicaces, et voulant même en découdre avec ce qu’ils vivent et voient à longueur d’année, ont fini par installer (mentalement) une sorte d’alarme dans leurs yeux, comme celle électronique branchée sur une caméra, observant en permanence la rue, et prête à sonner l’alarme, à la moindre anomalie. L’ère du soupçon s’est installée, depuis, dans tous les recoins du pays. Alors l’œil du cyclone est devenu une arme en puissance et en permanence.
Un œil sur le qui-vive, de jour comme de nuit. Même s’il larmoie parfois, par désespoir de cause. Et si vous regardez bien les choses, chers lecteurs, les choses de la vie, celles que nous vivons au quotidien, vous verrez que les passants, que vous rencontrez au hasard des jours, clignent tout le temps des yeux, comme s’ils s’étaient aventurés dans une sorte de jungle dangereuse où le mal peut venir de n’importe où. Une marée humaine dans les villes tout en mouvement, pressée et oppressée tout le temps, s’attendant à un attentat ou à un drame inattendu (bien sûr) et sans créer gare.
Femmes, vieillards, enfants tous en état d’alerte et clignant des yeux.
Simples vues de l’esprit ? Oui et non à la fois, car tout peut arriver, comme on le signale quotidiennement dans nos régions ici et là.
Même les animaux domestiques, le chat et le chien possèdent l’arme à l’œil parce que par instinct et par ouï-dire entre eux (aboiements ou miaulements accentués), ont tout compris de la situation qui prévaut. Et quand vous les croisez, ils vous ont à l’œil parce qu’ils ne vous reconnaissent plus. Ils vous regarderont intensément dans les yeux et si vous insistez vraiment, ils peuvent vous sauter dessus. Ils se promènent dans les rues par petits groupes. Parfois c’est des meutes. Ils sont au courant de ce qu’il est advenu à leurs congénères fourgonnés en masse vers les abattoirs puis les chambres froides, avant de passer à la casserole dans certains fast-foods de la capitale ou ailleurs.
Oui, tout le monde a consciemment ou inconsciemment l’alarme et l’arme à l’œil qu’on se le dise…
Bon dimanche, chers lecteurs.
(*) Georges Bataille «Histoire de l’œil ou de l’œuf» (Ed. nrf)