Accueil A la une Polémique autour des archives de l’Instance Vérité et Dignité: La mémoire nationale en jeu !

Polémique autour des archives de l’Instance Vérité et Dignité: La mémoire nationale en jeu !

La présidente de l’Instance vérité et dignité, Sihem Ben Sedrine, se retrouve, de nouveau, sur le banc des accusés. Il s’agit cette fois d’un dossier sensible, celui des archives de l’Instance qui contiennent des documents, des témoignages et des enregistrements extrêmement précieux faisant partie de la mémoire nationale. Alors que d’anciens membres de l’IVD ont accusé Ben Sedrine d’avoir dissimulé une copie des archives dans un lieu inconnu, d’autres estiment qu’il s’agit d’une procédure légale portant sur la protection des données de l’instance. Mais entre les deux versions, des questions pèsent encore sur cette affaire, et en particulier le sort d’une copie numérique qui a été, selon nos informations, externalisée et pourrait se trouver actuellement en dehors du siège de l’IVD


Récemment, deux anciens membres de l’Instance vérité et dignité (IVD) ont accusé la présidente de l’instance Sihem  Ben Sedrine d’avoir dissimulé une copie de ces archives. Ben Sedrine est de nouveau au cœur d’une polémique portant sur la gestion de cette instance, dont l’activité a pris fin le 31 décembre dernier. En effet, les deux anciens membres de l’IVD, Salah Eddine Rached et Ibtihel Abdellatif, ont accusé Sihem Ben Sedrine d’avoir dissimulé une copie des archives de l’instance en dehors du siège. « Sihem Ben Sedrine avait informé un de ses agents les plus proches de l’IVD qu’elle disposait d’une copie des archives de l’Instance en dehors de son siège » a, dans ce sens, affirmé Salah Eddine Rached, dans des déclarations médiatiques. Pour lui, il s’agit d’un fait inquiétant, d’autant plus que ces archives constituent une mine d’or et font partie de la mémoire nationale.

Pour bien comprendre cette affaire, il faut savoir, tout d’abord, qu’il est question d’une copie numérique contenant une très grande quantité de données numériques, et qu’il ne s’agit pas d’archives physiques, placées toujours dans les locaux de l’instance. Mais une large partie de ces dernières ont été scannées et transformées en archives numériques et stockées également dans la copie en question, c’est-à-dire que pratiquement l’intégralité des archives de l’IVD sont comprises dans cette copie.

Selon nos informations, Ben Sedrine a bel et bien créé cette copie numérique et l’a placée dans un lieu inconnu, probablement dans ce qu’on appelle des «clouds», c’est-à-dire une sorte de nuages numériques, voire un espace consistant à exploiter la puissance de stockage de ses serveurs informatiques, au vu de la grande quantité d’informations, ou encore dans plusieurs disques durs à grande capacité de stockage.

Pour savoir plus d’informations sur cette copie, nous avons contacté Adel Maizi, ancien membre de l’IVD, mais notamment gestionnaire en chef des archives et des documents de l’instance, premier responsable, donc, de ces données. Pour lui, les accusations des deux membres précités sont infondées, dans la mesure où il ne s’agit pas d’une copie dissimulée illégalement, mais plutôt d’une copie numérique externalisée, qui est gardée dans un « endroit sûr » connu seulement par la présidente de l’IVD et ce pour des raisons de sécurité informatique.

« Il s’agit de mesures de sécurité ordinaires qui se font dans toutes les administrations disposant d’informations et d’archives sensibles, comme les banques et les ministères de souveraineté. Il ne s’agit guère d’une dissimulation de données ou d’archives. C’est une copie numérique qui est sauvegardée soit dans un cloud (espace de stockage en ligne), soit dans des disques durs », a-t-il encore confirmé.

Un sort inconnu !

Adel Maizi a rappelé que l’instance a fait face à une attaque électronique en janvier dernier ayant détruit les données de la commission « Réparation et réhabilitation » et que ces dernières ont été récupérées grâce à cette copie supplémentaire. « Des parties veulent que les archives de l’IVD ne soient pas protégées pour les attaquer », a-t-il encore dit. Quel sera le sort de cette copie alors que la mission de l’IVD a pris fin? Notre interlocuteur explique qu’elle sera transmise, ou du moins son emplacement sera indiqué, aux services des Archives nationales ou à la présidence du gouvernement, tout comme les archives physiques (documents en papier, photos, et autres).

Mais pour l’autre ancien membre Zouhaier Makhlouf, des inquiétudes planent autour de cette affaire. Pour lui, il n’est pas question que ces archives, qui contiennent une mine d’informations sur l’histoire et la mémoire nationales, soient mises entre les mains d’une seule personne. « Comment pourrait-on s’assurer que Ben Sedrine n’aura pas l’intention de les manipuler à des fins politiques ou personnelles ? » S’est-il posé la question, affirmant que cette copie a été externalisée sans l’accord des membres du conseil de l’Instance. « Nous avons une copie des archives au sein du siège de l’IVD et une autre, qui n’a pas quitté le territoire tunisien ». C’est par ces mots que les anciens membres de l’instance chargée de conduire le processus de la justice transitionnelle ont su l’existence de cette copie, indique, toujours, Makhlouf. Le membre exclu de l’instance a expliqué dans ce sens, que Ben Sedrine a commis plusieurs dépassements à cet effet, notamment le fait de ne pas avoir alerté l’Etat tunisien sur l’existence de cette copie. Il est même allé jusqu’à dire qu’elle « pourrait manipuler les informations contenues dans ces archives pour porter atteinte à l’ordre public, d’autant plus qu’il s’agit de données et d’informations sensibles ». Il a rappelé également que Ben Serdine a déjà créé une polémique en divulguant, il y a quelques mois, des informations sur les contrats pétroliers conclus avec des sociétés étrangères.

Il faut rappeler dans ce sens qu’en janvier 2018, l’Instance avait lancé un appel d’offres pour créer une plateforme web pour stocker ses archives. Les Archives nationales et certaines organisations de la société civile sont, alors, montées au créneau, accusant l’IVD de faire un choix qui « présente des risques de violation de la vie privée des témoins et pourrait nuire à la souveraineté nationale », étant donné que l’appel d’offres n’a pas exclu les prestataires étrangers.

Que contiennent ces archives ?

L’article 1 de la loi n°88-95 du 2 août 1988 relative aux archives définit ces dernières comme étant « l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur forme et leur support matériel, produits ou reçus par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité ». Pour le cas de l’IVD, il s’agit des différents documents et contenus, quels que soient leurs supports, créés ou récupérés par l’Instance, portant sur les affaires d’atteintes aux droits de l’homme depuis l’indépendance et jusqu’à fin 2013.

Plus de 62.000 dossiers ont été déposés à l’IVD à la clôture des dépôts, en juin 2016, ce qui constitue la large partie des archives de cette instance. Mais en dépit des informations peu nombreuses sur les contenus de ces archives, nous avons su qu’elles contiennent notamment les documents, les preuves et les témoignages des «victimes» de l’ancien régime, stockés dans 7.000 supports. Il est questions également des documents, rapports, preuves, correspondances, archives de différents organismes, ministères et administrations, dont notamment celles de la présidence de la République, auxquels a eu accès l’instance, constituant plus de 700 gigaoctets de données. Ces archives contiennent également d’innombrables contenus électroniques et audiovisuels : des enregistrements (vidéo et sonore), documents électroniques (mails, pages web…), des serveurs, des disques durs… Il est question de précieux documents diplomatiques contenant des données sur la période coloniale et postcoloniale.

L’IVD a eu accès à une partie des Archives nationales, et a également récupéré des archives de l’Instance nationale de lutte contre la corruption, de celles de la commission d’établissement des faits, de l’Union générale tunisienne du travail… En revanche, l’instance n’a pas pu accéder aux archives de certains ministères comme ceux de l’Intérieur et de la Défense nationale.

La loi organique du 24 décembre 2013 relative à l’instauration de la justice transitionnelle et à son organisation dispose que l’Instance vérité et dignité doit à la fin de son activité confier la totalité de ses documents et dossiers aux Archives nationales ou à une institution de préservation de la mémoire nationale créée à cet effet. Mais le sort de la copie externalisée reste inconnu.

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