Méhirat (Douées) est une association féminine créée en mars 2019 pour promouvoir les compétences des femmes artisanes à travers le pays. A l’origine, l’idée a été inspirée aux membres qui constituent cette nouvelle ONG par le classement des poteries de Sejnane sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco le 29 novembre 2018.
A l’origine, il y a également une femme : Nozha Sekik. Anthropologue et chercheuse à l’Institut national du patrimoine (INP), elle a dédié une bonne partie de sa carrière à étudier, analyser, répertorier et protéger les collections de l’Etat des poteries de Sejnane. Nozha Sekik, est également co-auteure, avec l’archéologue Adnen Louhichi de l’ouvrage « Les potières de Sejnane ».
La première initiative que prend l’anthropologue après le classement de l’Unesco consiste dans la mise en place avec un groupe d’amis, le 18 décembre 2018, d’un collectif baptisé : « Sejnane : des trésors humains ». Le groupe tient un événement au cinéma Le Rio sous le titre : « Le classement et après ? ». Ce collectif donne lieu le 25 mars 2019 à l’Association Mehirat (Douées, en arabe) pour la promotion des savoir-faire des artisanes, que préside Nozha Sekik. Un cadre légal pour la valorisation et la promotion des savoir-faire féminins jalonnant le pays du Nord au Sud à travers des activités de sensibilisation, de formation et d’innovation ainsi que des projets de développement économique et social alternatif au profit des artisanes. C’est en fait une vision de développement durable, portée par l’artisanat féminin que cherche à mettre en œuvre Mehirat.
Des pièces qui reflètent l’environnement immédiat des potières
Ainsi, pour Nozha Sekik, les potières de Sejnane peuvent être à l’origine d’un pôle touristique écologique basé sur la réputation devenue internationale de leurs œuvres « à condition de préserver la qualité des produits », fait-elle remarquer, mais aussi sur le potentiel naturel de la région qu’elles habitent, où des randonnées peuvent être organisées jusqu’à la limite des magnifiques plages sauvages de Cap Serrat. Un lieu idéal avec ses forêts, ses montagnes et ses paysages magnifiques pouvant abriter des tables et des maisons d’hôte.
Car étonnant, comment ces artistes quasi anonymes de Sejnane ont pu faire transparaître dans leurs poupées, ustensiles de cuisine, outils pour le travail paysan, pièces de mobilier (tables et coffres), jouets et figurines animalières, toutes les particularités de leur environnement immédiat et même des signes et des symboles de la culture berbère remontant jusqu’à la protohistoire.
C’est cela qu’a voulu distinguer l’Unesco en plus de la dimension « de savoir-faire féminin, 100 % écologique et transmissible d’une génération à l’autre », ajoute Nozha Sekik.
Les signes, motifs et symboles d’une culture millénaire
L’ethno-anthropologue revient sur les spécificités de cette poterie modelée au colombin du nord-ouest du pays entièrement faite à la main à partir d’ustensiles rudimentaires récupérés dans la nature: « D’abord, le décor obtenu en appliquant avec une fine branche un liquide à base d’une poudre de feuilles de lentisques pilées, qui, au contact du feu, vire du vert au noir. Le rouge ocre, qui orne les plats, les poupées et les autres objets usuels, s’appelle moghra et provient d’une argile rouge extraite des montagnes environnantes. Les pièces sont polies à l’aide d’un simple coquillage. Ce qui a été classé, c’est aussi la technique de la cuisson à ciel ouvert ».
Les signes, motifs et symboles qui agrémentent les pièces sorties des mains des potières, sont pareils à ceux qui se déploient dans l’est algérien et jusqu’aux régions berbères marocaines. Des motifs géométriques, des scorpions, des cigognes, des chats, des chevaux, des tortues…On les retrouve également sur les tissages et les tatouages des femmes de toutes ces contrées. Plus loin encore dans l’histoire, les archéologues tombent sur ces mêmes symboles dans les grottes (houanet) remontant à la protohistoire. Profondeur de la transmission, continuité de la mémoire.
Un label de qualité pour assurer l’authenticité des poteries
Or, victimes de leurs succès, des innovations surgissent ici et là au niveau de la production. Une chose qui dérange beaucoup Nozha Sekik et qui a motivé entre autres la naissance de son association.
« La poterie noire, qui a le vent en poupe actuellement pour son côté design, fruit d’un accident chimique, une poterie chaude étant tombée sur la paille, est une innovation. Elle n’a rien à voir avec la tradition de Sejnane. D’autre part, de plus en plus d’artisanes utilisent l’encre de Chine pour décorer leurs poteries et ne respectent pas les bonnes conditions de cuisson ».
D’où l’idée de créer un label de qualité de ce produit par l’Association Mehirat. La transmission fait partie des soucis majeurs de l’association. Les plus vieilles des potières restant jalousement renfermées sur leurs procédés de fabrication à cause de la rude concurrence entre les unes et les autres, les membres de Mehirat promettent de trouver une solution à cette problématique, notamment en payant les meilleures pour qu’elles initient les jeunes à leur savoir-faire.
Mais pour améliorer la production et retrouver les normes qui ont fait la notoriété des pièces de Sejnane, il faut, selon Nozha Sekik, faciliter les conditions de travail des artisanes. Les sommes récoltées par l’association grâce à l’organisation de deux galas iront à la construction d’un préau dans un des douars entourant le village. Ce préau, au-dessous duquel les femmes aménageront leur foyer ouvert, protégera les potières du froid et de la pluie l’hiver et du soleil l’été. Un prototype, entièrement écologique dans ses matériaux, sera bientôt mis en place. Une des maires de la région dont la mère est potière a promis de démultiplier le prototype dans plusieurs douars connus pour leurs artisanes du feu.
Autre projet de Mehirat : l’installation d’une signalétique adaptée à travers des panneaux prenant place au niveau des deux entrées de Sejnane indiquant que ce site est classé par l’Unesco pour ses richesses immatérielles.
Mais les horizons de Méhirat ne s’arrêtent pas à Sejnane. D’autres artisanes dans le domaine de la broderie, du tapis, des savoir-faire liés à la distillation des eaux florales sont menacées par la modernisation galopante des modes de vie et par la rupture de la chaîne de transmission.
Avec un livre déjà prêt sur les tisseuses de Kairouan, Nozha Sekik a sous la main un document permettant à son association de faire le plaidoyer d’un autre artisanat à classer sur la liste du patrimoine immatériel de l’Unesco.