Comme le chantait Léo Ferré, en ce temps-là, «pour tout bagage, on a vingt ans…», Lisa Séror n’avait qu’une vingtaine de printemps et des pincements au cœur, quand elle s’apprêta à quitter son pays, sa tendre Tunisie.
Ce fut dur de partir et de laisser un ciel si bleu, un soleil aussi radieux les trois quarts de l’année, et cette Méditerranée chère à son cœur du côté de La Goulette et des étés magiques, les rares fois qu’elle y allait en famille…
Même les chaises en cet instant fatidique, chaises vides, maigres et chétives (comme les statuettes de Giacometti) devant la maison de la Hara(*) pour les soirées nocturnes, étaient devenues muettes. Elles ne feraient plus entendre les palabres et les rires, et les chansons anciennes qui rythmaient cette vie de famille comme tant d’autres dans ce no man’s land de la pauvreté et du dénuement.
Une famille, quand même, et qui remettait, quotidiennement son cœur à l’ouvrage pour élever ses enfants dignement, malgré les vicissitudes de la vie.
Oui, des chaises vides et muettes, tout à coup…
Et serrant sa petite valise où elle avait, pêle-mêle, fourré son linge de rien, elle entendit soudain une voix, comme un ordre irrévocable et sans appel : «Alors, tu viens Lisa? On s’en va…». Ce «Viens… on s’en va», elle l’entendra durant longtemps à Paris, Ville Lumière mais, pour elle, celle de la grisaille et de l’intranquillité, jusque dans ses rêves car Lisa Séror est une «étéiste» (oui, inventons ce vocable) qui a dû s’adapter aux frimas du nord, devenant ainsi la Lisa d’«Enfrance»…
Sauf qu’un jour, grâce à la peinture, au don de soi, et à la recherche effrénée du temps passé dans ses moindres souvenirs, elle échafaudera et matérialisera son imaginaire d’artiste en tout pour accompli.
Ses peintures, entre le thème des chaises vides (symboles de son désarroi des débuts en France) travaillées comme «textes» puis comme «prétextes» à une écriture plastique, puis les scènes de la vie de famille, scènes traditionnelles et comme «tatouées» de signes et de symboles magiques sont, en des sortes des schèmes bergsoniens distillés au compte-gouttes. Ceux-là mêmes qui ont grandement influencé Marcel Proust, dans A la recherche du Temps Perdu.
Les toiles de grand format, notamment, sont des œuvres qui suscitent des interrogations et des lectures à tous les niveaux ayant trait à l’identité humaine bafouée, aux problèmes de la migration catastrophique, aux guerres fratricides et à l’avenir de cette planète qui n’en finit pas de subir des dommages collatéraux de toute part.
Une œuvre (acrylique sur papier).
«L’appel du Nord» représente d’ailleurs de petites barques en papier peint sur fond rouge-sang, symbole de la migration catastrophique en Méditerranée qui s’élèverait à un million de noyés. Cette peinture illustre bien les préoccupations essentielles de Lisa Séror et comme affiche à cette «mémorable» exposition qui intéressera assurément des publics les plus variés.
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(*) Quartier pauvre de la communauté juive dans la Médina de Tunis.
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