Il fait partie des rares footballeurs professionnels bien instruits avec un français irréprochable à l’oral. Pourtant, il n’a pas fait de grandes études universitaires et a dû quitter les bancs de l’école à l’âge de 15 ans. Mongi Ben Brahim est un autodidacte. Il a fait son apprentissage dans l’école de la ville, plus précisément en Suisse où il s’est imprégné de la culture locale. Reconverti en agent de joueurs après avoir raccroché les crampons, il a préféré retourner en Tunisie et investir dans un complexe sportif où des équipes étrangères de football peuvent effectuer des stages. Le football, c’est sa vie, le seul domaine dans lequel il excelle.
Mongi Ben Brahim a grandi à La Marsa où il a endossé le maillot du club de la ville depuis l’âge de six ans. A 15 ans, il a claqué la porte des vestiaires du Stade Abdelaziz-Chtioui, décidé à quitter à jamais ce monde du football qu’il pensait maudit. Avec du recul, notre interlocuteur estime être un homme chanceux quand il revient sur ses débuts, lui qui nous a confié que la vie ne l’a pas épargné dans sa jeunesse, s’excusant de ne pas entrer trop dans les détails privés qu’il préfère garder pour lui-même : « J’ai eu beaucoup de chance dans ma vie, d’abord d’avoir été formé à l’AS Marsa sous la férule de Béji Bouaachir, un éducateur et formateur extraordinaire. C’était en 1970. J’avais à peine 15 ans et nous nous entraînions dans des conditions précaires, avec seulement deux ballons pour toute l’équipe. Il s’occupait de nous à l’intérieur et à l’extérieur du terrain. Il suivait nos notes à l’école et gare à celui qui ne travaillait pas bien en classe. Il n’hésitait pas à nous punir si nous n’avions pas de bonnes notes. Il nous imposait d’allier études et football. Puis, j’ai dû arrêter le football. Ce n’était plus le bon encadrement comme du temps de Béji Bouaachir. J’ai dû changer de cap et aller travailler pendant trois ans dans un hôtel à Gammarth où la chance m’a à nouveau souri. J’y ai rencontré Francis Borelli qui est venu me voir avec le défunt Saâd Karmous, l’ancien joueur du CSHL. Monsieur Borelli m’a invité à aller tester au PSG. En 1973, j’ai débarqué à Paris où j’ai été recruté par le PSG. Comme c’était la première fois que je quittais ma Tunisie, je n’avais pas le sens de l’orientation. On m’a logé 11 rue Magellan derrière le fameux restaurant Le Fouquet’s pour que je ne me perde pas en prenant le RER afin de me rendre à Saint-Germain-en-Laye. Figurez-vous que tous les jours je prenais mon café le matin au Fouquet’s et je ne savais pas que c’était un lieu aussi célèbre. C’est dire ma naïveté de l’époque ».
Reconnaissant au journal La Presse
Mongi Ben Brahim n’est resté à Paris que pour une courte durée de six mois. Ayant le mal du pays, il a préféré rentrer en Tunisie. « J’ai failli signer au CA, mais mon père a exigé que je ne m’engage qu’au profit de l’ASM. J’ai préféré retrouver mon ancien métier de serveur à Gammarth. Mon grand frère résidait en Suisse. Il avait des relations dans le milieu du football et c’est ainsi que je suis parti là-bas. J’ai découvert un monde fabuleux ».
En Suisse, le jeune Ben Brahim s’est vite fait remarquer et y a fait l’essentiel de sa carrière où il a endossé, entre autres, les maillots des clubs de foot de Neuchâtel, des Young Boys et du FC Sion. A cette époque, personne ne le connaissait en Tunisie et c’est un article du journal La Presse qui l’a fait connaître au grand public tunisien : « Je dois mon passage en équipe nationale à un article paru au journal La Presse. J’étais en Suisse. On est venu me voir pour me dire qu’un journaliste tunisien voulait me rencontrer. C’était le défunt Hassen El Mekki. Il a écrit un article sur moi et, quelque temps après, feu Hmid Dhib, alors sélectionneur national, est venu me voir en Suisse et m’a ramené avec lui pour disputer un match amical contre Southampton. L’article paru sur La Presse a eu un si grand effet que le public était curieux de voir ce jeune prodige tunisien qui évolue en Suisse. Tout au long de la rencontre, j’ai été ovationné par un public déchaîné qui scandait mon nom. Je ne me suis pas préparé spécialement pour le match, mais je m’en souviens comme si c’était hier : le public m’a porté à bout de bras au point de me sentir me pousser des ailes », se souvient ému Mongi Ben Brahim qui ne regrette pas d’avoir fait une courte carrière en équipe nationale : « Je ne suis resté international que deux ans, de 1980 à 1982. A ce jour, je ne sais pas pourquoi du jour au lendemain, on a décidé de se passer de mes services. Mais vous savez, le souvenir du match amical disputé au Zouiten et le déchaînement du public me suffisent largement. Par ailleurs, je suis content de la carrière que j’ai faite en Suisse où j’ai tout appris… où le football a radicalement changé ma vie ».
Ovationné par les deux publics
En Suisse aussi, notre interlocuteur a fait des étincelles: «Je disputais un match de championnat. J’ai marqué un but et surprise : j’ai été ovationné par les deux publics. Je suis allé saluer le public des deux équipes et je ne savais pas pourquoi ça a déplu à un journaliste qui avait pourtant l’habitude d’écrire de bonnes choses sur moi. Deux jours après, je l’ai appelé, car j’entretenais de bonnes relations avec lui et je l’ai invité à prendre un café. J’ai fait une cinquantaine de kilomètres pour aller boire un café avec lui. Nous avons parlé de tout, sauf de l’article dans lequel il m’a descendu en fléchette. Pour moi, il faut savoir être ami avec un journaliste en ne dépassant jamais le fil qui touche à la déontologie du métier. Il faut savoir apprécier quand on écrit du bien de nous, footballeurs, et accepter la critique même si elle nous paraît infondée ou inappropriée. C’est un message que je passe aux jeunes footballeurs d’aujourd’hui ».
Garder la tête sur les épaules
En Suisse, Mongi Ben Brahim a appris la discipline, à être à l’heure et même arriver aux entraînements avant les autres. Un jour, il a marqué un but d’anthologie lors du derby Sion-Servette, et un journaliste local a titré sur lui au lendemain de la rencontre : « La perle tunisienne, Ben Brahim ». Notre interlocuteur s’est pris pour le nombril du monde et a dû payer une contravention pour avoir garé sa voiture sur le trottoir. Aux entraînements, la surprise était à l’image de la bourde : « J’ai débarqué aux entraînements en jouant à la vedette, étant donné que j’ai été l’homme du match. L’entraîneur a parlé de tout sauf de mon exploit. J’ai fait part de mon mécontentement. Il s’est alors adressé à moi et m’a dit : “Si tu n’es pas content, monsieur Ben Brahim, tu peux quitter les entraînements. Tu peux disposer, si tu veux’’. A mon retour à la maison, j’ai beaucoup réfléchi à mon comportement et, ce jour-là, j’ai compris que je n’étais pas le nombril du monde et que pour réussir dans la vie et dans le football, en particulier, il faut savoir rester humble à toute épreuve. Ce comportent me rappelle celui d’un ancien international qui joue encore. Il est parti en Suisse et, un samedi soir, il s’est adressé à une jeune Suisse : mais tu ne me reconnais pas ? Je suis un célèbre footballeur tunisien. Peut-être qu’elle ne sait même pas où se trouve la Tunisie sur une carte du monde. Ce joueur en question est passé à côté d’une grande carrière. En tout cas, il n’est pas là où il aurait dû être. Par ailleurs, si nos footballeurs ne percent pas dans les grands clubs européens, c’est parce qu’ils manquent de discipline, de savoir-être et, surtout, ils ne sont pas bien instruits. Or, il est primordial de s’instruire, peu importe si on fait de grandes études ou pas. C’est mon message à nos footballeurs ».