La vraie mutation vécue par les arts et la culture se situe dans les années 1970-1980. C’était la montée des multinationales du spectacle en Amérique d’abord, puis à travers tout l’Occident.
Un véritable raz de marée, on s’en souvient. L’activité artistique se résumait alors à ce qu’elle représentait depuis deux à trois siècles déjà : à l’œuvre des créateurs, aux défis des promoteurs et, pour boucler la boucle, à la réponse du public et de la critique. Un cycle à quatre intervenants, fondé, en priorité, sur les valeurs d’art et de réceptivité, et, en second, sur les moyens dits de production, sur l’infrastructure et sur le financement. Jusqu’à ces années, l’art n’avait de sens et de durée qu’en rapport avec sa qualité propre et le jugement (public et critique) qu’il provoquait. Avec l’avènement des multinationales et l’extension à la culture des pouvoirs privés économiques, un monde a littéralement basculé. Vite, très vite, la valeur d’ART a décliné, cédant, irréversiblement, aux valeurs du néo-libéralisme, au capital et au marché, et, en lieu et place du public et de la critique, à la promotion publicitaire et à la communication. «Com» et «promo», c’est ce qui décide de l’art aujourd’hui. En Amérique et dans tout l’Occident. Oui ! Là où la création et le talent gardent, certes, des fiefs, des émules, des élites et des hauts lieux, mais où la prévalence médiatique et informatique détermine tout en fin de compte : les succès, les réputations, passe, mais encore, et de plus en plus, les réussites et les carrières. Les références et les traditions mêmes. Le rap et le slam explosent en ce moment, en Occident. Mais qu’y retient-on vraiment des valeureux anciens, de Barry White et de Ray Charles, de Brel et de Bécaud, de Ella Fiedgerald et de Sinatra ? Plutôt rien. On ne s’y risque même plus aux comparaisons. Les écoutes sont comme à l’arrêt. Il y a les chiffres you tube et les records de recettes. Au nombre de clics et aux amphis survoltés on décrète un passé de gloire et on conclut à l’émergence de (faux) «génies».
«Com» et «promo» : les nouveaux Dieux de la chanson.
Qu’en est-il dans nos pays ?
Même survenu tard, plus de deux décennies après, le phénomène est solidement installé. Ancré désormais. Les satellitaires arabes y ont d’abord pourvu. Elles en tiraient le meilleur profit. En fait, dès début 90 , tout partait et tout résultait de la télévision. Les chaînes libanaises et khalijis contrôlaient, en même temps, diffusion, production et édition. Maîtres absolus du marché. Puis, fortes de cette emprise, rejoignaient les nababs de la publicité. De sorte que l’œuvre et le parcours des artistes ne dépendent de nos jours ni du public, ni de l’appréciation critique, ni du talent, ni de la qualité. Mais du modèle imposé par les diffuseurs et les éditeurs, surtout de la promotion qu’ils en font.
Nos médias osent même plus depuis quelque temps. Après la simple «promo», ils s’essayent maintenant à «l’auto-promo». Ils deviennent partie prenante du produit artistique. Ils commandent, recrutent et financent. Mieux :ils se chargent, eux-mêmes, de leur publicité. Des chaînes font l’éloge de leurs propres émissions aujourd’hui. D’autres encore se lient à des joutes festivalières, «donnant-donnant», pour ne plus couvrir de programmes et de spectacles qu’en des propos flatteurs. Suivez les spéciales festivals, l’été : pas une critique, pas une évaluation, les témoignages de spectateurs sont triés.
Insupportables apologies. Et pour les artistes qui y obtempèrent, quelle perte, quel discrédit. On a vu défiler des exemples ce dernier Ramadan. Des sitcoms et des feuilletons tout à fait valables, des auteurs doués, aussi, mais auxquels des campagnes publicitaires démesurément favorables auront finalement causé le pire tort: empêcher de savoir ce que les œuvres valent au juste, en termes de parcours et où les artistes en sont vraiment.