Entre 1976 et 1986, l’Union Sportive Monastirienne pouvait compter sur un ailier droit déroutant dans la lignée des grands ailiers de l’époque. En fait, Kamel Haddad a anobli cette fonction sous la supervision de son entraîneur Faouzi Benzarti. «Si Faouzi m’astreignait à un supplément de labeur très très dur, mais qui a fini par porter ses fruits. Je lui criais après tout cet effort surhumain aux entraînements: Coach, je n’en peux plus. Et lui me répondait : Encore un effort, courage», se rappelle-t-il. De l’enfant de Khenis, les supporters usémistes gardent le souvenir de l’homme décisif du maintien en L1 en 1982 à l’occasion d’un match crispant face à El Makarem de Mahdia. Vainqueur (2-1), le club du Ribat condamna ce jour-là celui fatimide au purgatoire, Haddad inscrivant un but et offrant un assist.
Kamel Haddad, dites-nous : sous le règne du président Bourguiba, l’Union Sportive Monastirienne n’a-t-elle pas bénéficié de largesses ?
Contrairement à ce que beaucoup peuvent penser, personne ne nous a fait de cadeaux. Aucune faveur ne nous a été faite, y compris durant la présidence du Combattant Suprême. Tout ce que nous avions gagné alors, c’était une série de coupes du 3 août organisées à l’occasion de l’anniversaire du président. D’ailleurs, les arbitres nous traitaient comme tous les autres petits clubs de l’époque.
Par exemple ?
Le 24 mai 1981, nous étions allés à Sfax disputer la demi-finale de la coupe de Tunisie contre l’Etoile Sportive du Sahel, tout simplement parce que le gouverneur de Monastir, Mansour Skhiri n’a pas voulu assumer la responsabilité du volet sécuritaire. Nous avons perdu (1-0) après prolongations. L’arbitre Ali Ben Naceur nous a tout simplement privés d’une finale contre le Stade Tunisien. C’était flagrant…
Vous avez côtoyé plusieurs joueurs qui ont marqué l’histoire usémiste….
Trois générations de joueurs. En débarquant chez les seniors grâce à Ameur Hizem qui m’a lancé dans le grand bain, j’ai trouvé Salah Guediche, Mohamed et Abdelkader Bouzgarrou, Ridha Jaziri, Belhassen, Moncef Skhiri, Hamadi Mkada, Habib Bhouri… La deuxième génération se composait de Mohamed Salah Mhala, Moncef Ghandri, Habib Jaziri, Younès Horchani…
Enfin, dans la dernière, on pouvait trouver Tabka, Habib et Chokri Bouzgarrou, Nabil Kalboussi, Khaled Laâmiri, Naceur Sallem, Fethi Skhiri…
Quels furent vos entraîneurs ?
Chez les jeunes, Hedi Gdouda, un des tout meilleurs formateurs du pays, Ahmed et Khemais Chekir, Hedi Merchaoui. Avec les seniors, Ameur Hizem, Faouzi et Lotfi Benzarti, Amor Dhib, Manfred Hoener et Dieter Schulte. Il y eut également Zouheir Jaâfar et Todor en Ligue 2, en 1978-79.
Le meilleur parmi ceux-là ?
Ameur Hizem malgré notre relégation en D2 sous sa coupe durant cette maudite saison 1978-79. Nous jouions bien, mais on finissait souvent par perdre de justesse (1-0), (2-1)…, sans avoir le moins du monde démérité. Le bureau directeur ne savait pas encadrer un effectif démoralisé. Si Ameur s’occupait de tout. Nous avions de la peine pour lui. C’est incontestablement mon plus mauvais souvenir sportif.
Comment se comportaient les entraîneurs à l’endroit de leurs joueurs ?
Comme des frères. Par exemple, Faouzi Benzarti m’aimait énormément. Il me demandait de venir au stade une heure avant la séance d’entraînement. Devant les vestiaires du stade Ben Jannet se trouvait un petit carré de gazon d’à peine 8 mètres sur 4. Si Faouzi me prenait tout seul pour m’entraîner sur la conduite de balle, l’exécution des penalties… Et, croyez-moi, il n’y allait pas de main morte. Au contraire, il ne me lâchait plus. Mort de fatigue, je lui disais «Coach, je n’en peux plus». Il me répondait: «Allons, serre les dents, encore un effort». Il me remet après la séance 20 dinars à titre d’encouragement, ce qui constituait alors une petite fortune pour le jeune footballeur que j’étais.
Avez-vous encouragé vos enfants à pratiquer le sport ?
Je leur ai laissé un choix total. L’essentiel, c’est que mes enfants me fassent honneur. Je les ai éduqués sur ce principe.
Et vos parents, vous ont-ils encouragé dans le foot ?
Mon père Mohamed, un tisserand me prévenait régulièrement: «Tu vas rater tes études. Tu ne trouveras alors plus quelqu’un pour te donner un coup de main». Je m’adressais ainsi à ma mère, Kmar, pour la prier de demander à mon père de me laisser jouer. Pourtant, je dois avouer que les conditions étaient difficiles. Au collège moyen, les cours se terminaient à six heures du soir. Je devais être aux entraînements à six heures trente. Je rentrais chez moi à Khenis par bus vers 21H. Et qui pouvais-je trouver à cette heure-là dans le bus ? Des gens qui sortent des bars, saouls et sentant l’alcool. Quand j’ai arrêté les études en 6e année secondaire, j’ai par la suite été engagé par mon club dans une banque. J’étais tout fier d’aller dire à mes parents: «Voilà, le foot ne m’a pas largué. Mon club m’a trouvé un job». Il m’était en fait impossible de concilier sport et études. Mais je n’ai jamais regretté d’avoir arrêté mes études. Car je n’éprouve pas un complexe quelconque lorsqu’il s’agit de discuter de n’importe quel sujet.
A votre avis, quels sont les meilleurs joueurs de l’histoire de l’USM?
Nouri Hlila, Hedi Merchaoui, Frej Chaouch, Moncef Tabka, Mahfoudh Benzarti, Hamadi Mkada, Abdelkader Bouzgarrou, Ahmed Chekir…
Et les meilleurs à l’échelle nationale?
Hamadi Agrebi qui a la technique et la vision. Je citerais également Tarek.
Le défenseur latéral le plus accrocheur auquel vous avez eu à faire ?
Mohamed Ali Moussa. Quelle classe, et quelle élégance ! Ses tacles sont propres, comme du reste tout son foot qui reste un régal pour les puristes. Le Railwyste Nouri Hafsi est du même genre, tout aussi distingué et fringuant. Quant au défenseur de l’Etoile Sportive du Sahel, Dhaouadi, son côté agressif et teigneux rendait nos duels très durs. De toute évidence, il valait mieux l’éviter.
Avez-vous toujours été un ailier ?
Oui, ce qu’on appelait jadis un ailier de débordement. J’aime beaucoup évoluer sur la ligne de touche. En feignant de rentrer vers le centre, je prends un ou deux mètres d’avance sur mon vis-à-vis qui ne peut plus rattraper ce retard. J’ai figuré plusieurs fois aux premiers rangs du classement des meilleurs ailiers, droits ou gauches du pays. Le journal «Al Bayane» décernait des étoiles chaque journée par poste, alors que «L’Action» établissait le Soulier d’Or, le classement du meilleur joueur du championnat. Certes, je n’inscrivais qu’un ou deux buts par saison, mais j’en donnais un bon paquet à mes coéquipiers de l’attaque. Il en fut ainsi de Adnène Laâjili, arrivé de Sejoumi et qui allait partir au ST après avoir brillé à Monastir. Jemmali et moi-même lui servions des caviars.
Quelles sont les qualités d’un bon ailier ?
La technique de base, le changement de vitesse, la vision pour centrer à bon escient.
Vos modèles d’ailier ?
De Temime Lahzami, d’Abdelhamid Hergal et de Mustapha Sassi, j’ai appris de chacun quelque chose.
En quoi le football a-t-il changé ?
La technique et le placement étaient meilleurs. Avec Faouzi Benzarti, il nous arrivait d’attaquer avec deux ailiers côté droit afin de tirer au maximum profit de la faiblesse du latéral adverse. Je crois que si nous bénéficiions de tous les avantages matériels des joueurs d’aujourd’hui, nous aurions à coup sûr «bouffé» le gazon.
Quelle a été votre meilleure rencontre ?
En 1981-82, contre El Makarem de Mahdia dans un match décisif pour le maintien, du temps où nous étions coachés par Faouzi Benzarti. Un nul ou une défaite, et c’était la relégation qui nous guettait. L’USM l’a emporté (2-1). J’ai réussi un but, et donné une passe décisive. Finalement, ce furent El Makarem et l’Association Sportive de Mégrine qui furent relégués. Nous avons terminé un point devant les Mégrinois.
Nourrissez-vous des regrets pour n’avoir pas eu l’honneur de porter le maillot de l’équipe nationale ?
Pas le moins du monde, parce que je savais de quelle façon se faisaient les convocations et l’avantage non négligeable dont profitent les joueurs parfois les plus moyens et banals des grands clubs. En fait, la carrière internationale d’un joueur dépend pour beaucoup de la région d’où il vient et du nom du club auquel il appartient. Malgré tout, si je n’ai pas joué avec la sélection A, j’ai eu la chance de faire partie de la sélection cadets, et celle juniors conduite par Zouheir Karoui et Moncef Melliti.Celle-ci pouvait compter sur Slim Ben Othmane du CA, Aloulou du CSS, Latrach, Ben Yahia et Soula de l’EST, Berrabah du Kef, Mondher Mokrani du CAB, Lotfi Sanhaji du SS, CSS et CA, Kamel Gabsi de l’ESS, Harzallah, Moncef Belgaroui, Hafedh Soudani et Faouzi Chtara du SRS. Lorsque j’ai été convoqué chez les Espoirs, j’avais à mes côtés mes coéquipiers à l’USM Bouraoui Jemmali et Habib Jaziri, mais aussi Hsoumi (ESS), Naffati (SAMB), El Aid Youssefi (OCK), Abbès Abbès (CSS)…Jamel Bouabsa et Mokhtar Ben Nacef étaient les entraîneurs.
Pourquoi n’avez-vous pas suivi une carrière d’entraîneur ?
Parce que ce métier est très ingrat, une guerre des nerfs. Je m’y étais essayé un peu en amateur, et j’ai trouvé qu’il vous fait perdre le sommeil. A plus forte raison maintenant puisque nous comptons douze millions d’entraîneurs. Les gens jonglent avec la tactique, les systèmes, l’analyse du jeu…
Quel club avez-vous entraîné ?
Mon club d’origine, le CS Khenis, avec lequel nos avons terminé deuxièmes de la 3e division, en 1993 quand j’ai succédé à Abdelhamid Bouguila, «El Moujahid» de l’Etoile du Sahel.
Que représente l’USM pour vous ?
La famille qui m’a éduqué. C’est l’amour de ma vie. Elle m’a donné l’amour des gens. Nous n’y gagnions pas grand-chose. On nous motivait par exemple avant un match contre l’EST en nous promettant une prime de 50 dinars. Parfois, les gens que vous rencontrez dans la rue vous désarment par leur sympathie. Ils vous racontent tel match où vous avez brillé, le bonheur que cela a fait naître en eux…
J’aime également l’Etoile Sportive du Sahel parce que c’est l’association de tout le Sahel. Sans oublier le Club Sportif de Khenis, l’équipe de mes premières amours.
Parlez-nous de votre famille…
J’ai épousé en 1985 Naïma. Nous avons trois enfants: Moez, 32 ans, cadre dans une société pétrolière, Ziad, 29 ans, employé, et Dhouha, 25 ans.
Quels sont vos hobbies ?
Je continue de pratiquer le foot que ce soit dans le cadre du championnat Sport et Travail, ou avec les vétérans de l’USM. A la télé, je regarde les matches de l’USM et du Real. J’aime aussi rencontrer les amis au café. Pas de jeu de cartes, mais plutôt des discussions parfois très «chaudes».
Que diriez-vous de l’amitié ?
Elle n’est plus ce qu’elle était. Elle passe à présent pour une denrée rare. La vraie amitié, c’est quand vous trouvez un confident auquel vous êtes prêt à confier vos secrets, surtout dans les moments difficiles.
Enfin, vous considérez-vous un homme comblé ?
Dieu merci, tout ce dont je rêvais tout jeune s’est réalisé à 99%. J’ai rêvé de ballon rond, et j’ai été gâté. Le sport ne pouvait pas me décevoir.
Propos recueillis par Tarak GHARBI