Aucun virtuose du ballon rond n’échappe à la nostalgie et au constat, un jour ou l’autre, que les émotions qui avaient allumé sa passion se sont inéluctablement estompées.
Que cette passion s’est mâtinée de sentiments moins vifs en dehors du terrain, et, qu’entre-temps, le football a évolué, son club de cœur a changé, lui imposant d’ajuster ses goûts, pour conserver l’enthousiasme ou de s’en détacher tantôt. Sans verser dans le mélodrame, les jugements de valeur, ni d’ailleurs occulter ce qui était objectivement mieux avant, des artistes de la trempe de Mohamed Hedi Bayari, canonnier du Club Africain des années 80-90, nous parle du football d’antan avec nostalgie. Un sport-roi qu’il présente en ces temps-là comme une sorte d’âge d’or recelant une infinité de références: «Jadis, les tactiques défensives, axées sur le physique ou la malice, ne s’imposaient pas forcément avec efficacité comme maintenant. De nos jours, les solistes doivent ‘‘survivre’’ à des tacles qui pourraient être sponsorisés par la recherche en orthopédie! Bref, il fut un temps où l’émulation sur le terrain découlait souvent de l’expression d’un talent. Maintenant, actuellement, « la justice sportive » est souvent vaincue par la malice et les simulations. Vous savez, trop d’ajustements dénaturent le football. En clair, enclencher un train de réformes n’est pas toujours salutaire. Aujourd’hui, les tares du sport-roi n’ont pas disparu pour autant. Pire, elles prennent d’autres formes et se déclinent différemment. A cet effet, la responsabilité des techniciens est engagée, qu’ils soient formateurs, éducateurs ou timoniers en chef. C’est à eux de veiller au respect des préceptes inculqués, comme cela a été le cas pour ma génération sous l’œil de l’expert André Nagy. Pour moi, ce ponte est une sommité en la matière. Les joueurs, tels que Lassaâd Abdelli, Métoui, Touati, Boushih, et j’en passe, se délectaient de son enseignement.
Le football n’est pas seulement une question de finesse ou de vitesse. Le volet mental est tout aussi important. Sérénité, lucidité, simplicité… Bref, tout est question de maîtrise de ces émotions.
Ce faisant, bien avant mon arrivée au CA, j’ai eu la chance de faire mes classes à l’AS Ariana, un vivier de talents, une pépinière d’artistes en devenir, comme Tarak Dhiab. Sous la houlette des Skander Medelgi et Slah Guiza, j’y ai acquis une formation aboutie grâce à une approche féconde. Et c’est bien grâce à l’ASA que j’ai pu envisager un plan de carrière au plus haut niveau. Passé au CA, une école de la vie, tout a radicalement changé. Au club de Bab Jedid, ce fut le cycle de la gloire et de la notoriété. Avec Kamel Chebli, Abderrazak Chahat & co, ce fut l’époque de la détermination, et surtout de la discipline et de la rigueur.
Il faut dire aussi que j’ai eu la chance de côtoyer des joueurs racés.
En clair, évoluer aux côtés d’une génération de cette trempe est une invitation à l’épanouissement».
«Du côté du concassage de Souk Qdim à l’Ariana »
« Du point de vue personnel maintenant, les distinctions sont nombreuses. J’ai ainsi remporté trois fois le titre de meilleur buteur du championnat de Tunisie et marqué avec le CA la bagatelle de 110 buts en championnat et 17 en Coupe de Tunisie. J’ai ainsi atteint un pic en 1978-79 où j’ai quasiment pris mon envol. J’ai d’ailleurs achevé l’exercice en tête du classement des buteurs, raflant le soulier d’or au passage. Cependant, j’étais amer lors de la saison 83-84, car le CA a raté le coche. Il nous manquait ce coup de rein supplémentaire pour supplanter la concurrence et déloger le leader. C’était rageant mais c’est comme ça !
Durant ma carrière, il y a eu aussi une période où je me suis expatrié. C’était tout d’abord en 1981 du côté de Ittihad Dubaï.
Me constituer un bas de laine pour mes vieux jours coulait de source. J’y ai achevé la saison avec 11 buts dans l’escarcelle et j’ai de nouveau mis le cap sur le Parc A. Comme d’habitude, il fallait en découdre pour la suprématie entre nous et le rival «sang et or». L’EST regorgeait de talents, à l’instar de Nabil Maâloul, Ben Mahmoud, Feddou, Ben Yahia, Tarak, Bassam Jeridi, feu Kamel Karia, Chouchane et autre Ben Mahmoud.
Croiser le fer avec des joueurs de cette trempe est toujours festif, d’autant plus que, durant ma jeunesse, nos matchs de quartier étaient tout autant disputés avec le Bardolais Abelkader Rakbaoui et le «Sang et Or» Tarak Dhiab sur le concassage de Souk Qdim de l’Ariana. C’était d’ailleurs à cette époque que j’ai eu le déclic. Le rêve d’intégrer un grand club, tout comme l’avaient fait Tarak et Taoufik Belghith, a muri dans ma tête. Dès la saison 1972-1973, le rêve est devenu réalité. Le challenge était excitant, mais le défi pas évident. Je devais ni plus ni moins relever l’immense Abderrahmane Nasri. Ameur Hizem m’a lancé contre le CSHL et j’ai réussi mon baptême du feu. J’enchaîne ensuite contre Mahdia et je marque ! A 20 ans accomplis, une semaine plus tard, je découvre les fastes du derby avec une ambiance colorée et un public surchauffé.
Le derby est un moment captivant et fascinant. Lors de l’explication de 1975, Hassan Bayou met le feu et on gagne. Cela n’a pas empêché l’EST de s’adjuger le titre grâce à son endurance et sa rigueur. Par la suite, j’ai pris du galon aux côtés d’un certain Nejib Ghommidh. La concurrence était rude avec des équipes solides et coriaces, telles que le grand CSS de Dhouib, Akid et Hamadi Agrebi.
C’était une équipe qui régalait par son jeu raffiné et offensif.
Il n’empêche que le CA était toujours aussi clinquant.
Lors du derby de 1978, je marque et Ameur Hizem fait appel à moi en équipe nationale. Cependant, j’ai joué les éliminatoires de la CAN 1982 face au Sénégal, mais je n’ai pas participé à la phase finale. J’ai toutefois pris ma revanche sur un destin capricieux en 1983 face au Rwanda. Je signe un triplé qui me hisse aux côtés de solistes, tels que Mohieddine Habita et Mohamed Ali Akid.
En équipe nationale, j’ai marqué contre le Sénégal, le Rwanda, l’Algérie, la Côte d’Ivoire, le Maroc et le Gabon. J’étais au sommet vers la fin des années 80. En 1989, j’opte pour le club Essouk de Oman. Cela m’a permis entre autres de penser à l’après-football.
Mais, quand on rallie le monde du ballon rond, on ne le quitte plus jamais ! »