La quatrième session du Festival international du journalisme de Couthures-sur-Garonne (Sud-Ouest de la France) vient de se dérouler du 12 au 14 juillet. Une ambiance festive a réuni cent journalistes et un public attentif et intéressé par l’actualité qui agite le monde. La Tunisie, pays d’honneur de cette édition et seul pays rescapé des « Printemps arabes », a fait l’objet de plusieurs débats. Reportage
En quatre années seulement, le minuscule village de Couthures-sur-Garonne, de 380 habitants, situé dans la région du Lot-et-Garonne (Sud-ouest de la France), a vu sa réputation s’élargir. Il s’est en fait transformé en un rendez-vous incontournable des accros de l’actualité. Des habitants qui ouvrent leurs jardins et maisons en pierre de taille pour accueillir les festivaliers, 150 volontaires venus de toute la région, dont 75 de Couthures, pour organiser l’évènement, un village fermé à la circulation, entièrement dédié au festival et vivant au rythme du monde des médias, voilà ce qui fait le succès de cette manifestation. La quatrième session du Festival international du journalisme de Couthures-sur-Garonne (Fij) vient de se dérouler du 12 au 14 juillet. Parrainée par le Groupe le Monde, avec le soutien de l’Obs, de Télérama, du Courrier International, de La Vie et du Huffpost, cette dernière édition a drainé un très nombreux public, qui a investi les maisons d’hôtes et gîtes de cette région de la France connue pour la générosité de son agriculture et la beauté de ses paysages de campagne.
Débats baba cool au pied de la Garonne
Dans une ambiance baba cool, souvent en maillot, les pieds dans l’eau de la Garonne à l’heure où le soleil est au zénith, les festivaliers de tout âge se sont empressés pour suivre des débats décryptant les faits et gestes des politiques et de l’actualité qui agite le monde. Des débats installés dans une convivialité de bon aloi articulés cette année autour de sept thèmes, qui vont des interrogations autour de l’écologie, du genre, à la défiance envers les journalistes à la suite de l’affaire des gilets jaunes. Les panels ont exploré également la thématique des journalistes-écrivains et inversement, les journalistes et la justice et aussi celui de la « Tunisie, attention chantier ! ».
Tables rondes, témoignages, interviews, ateliers, éducation aux médias, projections de films, jogging avec des journalistes du Monde tels Fabrice Lhomme et Gérard Davet, dégustation des produits de la région…ont fait partie des divers formats d’offres de ce festival. Les enfants et les adolescents, accompagnés de leurs professeurs et de professionnels, ont couvert chaque jour le festival dans les colonnes du P’tit Monde, le quotidien du FIJ, ou via l’application Snapchat. Une manière de faire découvrir le métier aux 4 à 12 ans. Le festival, lui, a vu défiler les stars du journalisme, une centaine, notamment en France. Les grosses pointures de cet univers étaient pratiquement toutes là : Florence Aubenas, Ariane Chemin, Fabrice Lhomme, Elise Vincent du Monde, Pierre Haski, François Reynaert, Dominique Nora de l’Obs, Claude Askolovich, d’Arte et de France Inter, Céline Pigalle, directrice de la rédaction de BFM-TV, Audrey Pulvar, journaliste et présentatrice, Nathalie Crom de Télérama…
Tunisie : attention, chantier !
Organisées et animées par les deux journalistes d’origine tunisienne, Sana Sbouai (voir interview à côté) et Pierre Haski, les tables rondes sur la « Tunisie : attention chantier » ont invité une dizaine de journalistes, de militants associatifs et d’artistes pour explorer toutes les limites et possibilités d’un pays en transition démocratique. Et pour intervenir sur les médias, la justice transitionnelle, les transformations politiques, les libertés, les territoires de la marge, l’émigration…Beaucoup de questions ont surgi du public où des citoyens lambda se mêlent à des journalistes aguerris et connaisseurs du terrain tunisien.
Souvent dans leur bulle, ce festival permet aux prescripteurs de la « vérité » et de l’opinion de nouer des liens et de continuer à discuter avec le public en dehors des panels, dans les cafés, les bistrots, dans la rue ou encore au bord du fleuve où les soirées finissent très tard. Notamment avec un dernier débat nocturne dans les bottes de foin animé par Pierre Haski. Des hommes et des femmes politiques venus à Couthures, comme Jean-François Copé ou Najat Vallaud-Belkacem, se soumettent eux aussi à la règle du jeu : surtout pas de langue de bois dans les échanges.
« Ça n’intéresse pas les Français ! »
Les modérateurs des débats y veillent, en recadrant les politiques, pour rendre au métier de journaliste toute sa noblesse en ces temps de doute et de contre-vérité.
Ariane Chemin, journaliste au Monde, a révélé le scandale Benalla il y a une année. Elle est intervenue pour expliquer son travail et tout le plaisir qu’elle continue à y prendre au quotidien à l’ombre de l’illustre journal où elle a fait le plus gros de sa carrière, qui lui permet, avoue-t-elle, d’accéder à beaucoup de sources. Ariane Chemin, qui poursuit ses investigations sur cette affaire de violence sur citoyen exercée par un haut cadre chargé de la sécurité présidentielle, vient d’être auditionnée par la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure). Elle est souvent accusée d’«en faire trop alors que ça n’intéresse par les Français » par les cercles du pouvoir. « Des petites menaces pèsent sur notre secteur. Mais cela n’a rien à voir avec d’autres pays, qui affrontent une ingérence totale de l’exécutif dans le travail de la presse », relève Ariane Chemin. Revenant sur les trois choses qui ont changé ces dernières années dans la consommation des médias, la reporter du Monde pointe : « BFM TV, qui donne le ton aux politiques, les réseaux sociaux qui concurrencent la presse et la montée des pensées irrationnelles, qui font des journaux mainstream les ennemis de la vérité ».
Gilets jaunes : à la recherche de leaders
Avec le journaliste et écrivain Emmanuel Carrère, Florence Aubenas a proposé au public un regard croisé sur l’actualité, elle a également choisi d’animer un débat sur et avec les gilets jaunes, elle qui s’est installée dans un rond-point de la région pour couvrir ce fait marquant de l’actualité française enclenché depuis novembre 2018. « Il y a des gilets jaunes à Couthures et à Marmande comme dans toute la France. L’objectif est de savoir ce qu’il en est de ce sujet neuf mois après. Il était impossible de faire un festival de journalisme en occultant l’événement majeur de l’année et sans débattre avec eux directement », affirme le grand reporter du Monde. Le débat entre journalistes et gilets jaunes autour du traitement médiatique de ce sujet n’a pas manqué de zones de turbulences. Les leaders qu’ont cherché les journalistes pour expliquer le mouvement ont faussé la grille de lecture de l’événement, ont accusé des gilets jaunes présents.
Mais jusqu’au bout à Couthures, l’ambiance est restée festive, bon enfant, et conforme à un échange intelligent. Les découvertes par les festivaliers des meilleurs cépages de la région y était pour beaucoup…