En relisant l’essai de Dorra Mahfoudh sur certains rituels tunisiens anciens (*), je suis stupéfait de voir combien depuis vingt ans déjà, la société tunisienne demeure un conservatoire vivant de ses propres rites, malgré les coups de boutoir d’une certaine modernité, souvent galvaudée, ou des relents de religiosité extrême qui cherchent à les brimer, depuis la petite révolution.
Notre sociologue bien-aimée déclare à ce propos (*) : «Ce sont des rites de passage, d’initiation et de purification. Ils sont aussi magiques que religieux» et ils accompagnent «le quotidien et l’exceptionnel de la vie de l’individu et des groupes». Et d’ajouter : «Cette permanence des rites dans une société qui se modernise et s’uniformise (c’était au début des années 1990) n’exclue pas des changements dans leurs manifestations extérieures». Donc, les rites doivent évoluer et se métamorphoser au fil du temps, mais pas cesser d’exister pour autant.
L’auteure déclare en ce sens que «certains d’entre eux connaissent une lente mutation, d’autres faisant partie d’un ‘‘autrefois’’ [qui] s’éclipsent et d’autres encore qui ressurgissent d’un présent qui se réorganise».
Mais ces «conduites ritualisées» sous une autre forme ne disparaîtront jamais. «Elles se réadaptent encore aujourd’hui, comme on peut le voir, au goût du jour. A travers les réceptions de mariages ou autres — accompagnées de rites alimentaires, à travers les chaînes satellitaires qui s’en donnent à cœur joie…».
Dorra Mahfoudh est bien consciente des enjeux de ces rites et bien d’autres, comme ceux de la vie quotidienne et de l’imaginaire social.
Son essai est d’une étonnante actualité ! Et la preuve en est cet extraordinaire mouvement de masses populaires confondues (traditionnelles et modernistes), lors du décès et du cortège fuméraire du président de la République, l’honorable Béji Gaïd Essebsi. Que Dieu ait son âme!
Ces rituels religieux et magiques sont omniprésents de partout dans les lieux publics et ils se confondent.
C’est cela l’Islam tunisien confondu avec les couleurs de l’imaginaire maghrébin et méditerranéen.
Dorra Mahfoudh se réfère à M. Maffesoli (l’anthropologue de «La violence totalitaire» et de «conquête du présent» Puif 1979) qui dit en parlant de la ritualité : «C’est un conservatoire d’espèce du Soleil, sorte de trésor caché et inconscient qui, par une espèce de temps inversé — ce que les anthropologues appellent le non-temps du «rite», nie l’écoulement du temps, la dégradation qui lui est corollaire, et cathartise de ce fait l’angoisse propre à la situation mondaine» (dans le rituel matrimonial).
Mais, finalement, «le rituel est une forme de résistance. Résistance à l’emprise du temps, mais aussi au pouvoir qui, sous toutes ses formes, envahit la sphère de notre vie quotidienne».
* «Rites alimentaires et rites matrimoniaux dans la société tunisienne» in Ibla (Institut des belles lettres arabes) – 1992, L55 n°170. p.211 à 219
Fresque de Jellal Ben Abdallah