On vit dans une époque où on a tendance à fustiger les cafés, mais en même temps, des jeunes et des moins jeunes n’hésitent pas à se les approprier autrement que pour flâner. De plus en plus d’activités se font désormais dans des cafés mixtes. Les cafés dits culturels, destinés aux jeunes, ne sont jamais à court de clientèle. Pour beaucoup, ils sont devenus indispensables pour travailler, réviser et pratiquer des activités à vocation culturelle. Ces temples de la culture ont connu un essor considérable peu après la révolution mais depuis quelque temps, sur le Grand-Tunis, de nombreux lieux ont perdu leur identité, d’autres ont abandonné l’aspect culturel et quelques-uns ont même fermé. Constat mitigé !
Certains cafés sont devenus incontournables pour les jeunes. Mais est-ce le cas juste parce qu’ils ont la vocation de divertir ? On peut en douter une fois sur terrain : points communs entre les lieux ? Ils sont tous situés en plein centre de la capitale ou dans sa banlieue. 2e point commun, l’ambiance y est étonnement studieuse pendant la journée, conviviale quand on la vit au quotidien … et animée en fin de journée.
Un café culturel propose des formules de consommation à la portée pour les élèves et les jeunes étudiants, leur clientèle cible. Outre les cafés, les beignets, cakes, gâteaux, boissons gazeuses/ énergétiques et thé proposés, ces cafés sont généralement munis de prises électriques, suffisamment pour permettre à un grand nombre de clients de travailler sur P.C, lire, réviser ou faire leurs devoirs en solo ou en groupe. Oublié les bibliothèques trop silencieuses ou les bureaux classiques de chez soi, place au travail en communauté ! Et pour beaucoup, cela marche et explique le nombre de gens présents chaque jour. « Je ne peux pas travailler dans une bibliothèque. Je peux y aller pour chercher des documents ou des livres, faire une recherche et partir mais pas pour y travailler. Ici, je me sens comme apaisée en travaillant, j’échange, je consulte, je communique. Le silence assourdissant des bibliothèques me dérange», déclare Salma (23 ans), étudiante en lettres modernes et fidèle cliente de l’Agora à La Marsa. Le café de l’Agora fait partie d’un complexe composé d’au moins trois espaces : une salle d’exposition au premier, une salle de cinéma très prisée, et un café où on peut passer la journée entière à travailler ou à réviser. L’endroit propice à la concentration est muni d’une connexion internet, de tables et d’un nombre considérable de livres et de revues à consulter sur place. Il compte aussi un espace extérieur vaste. Achref (41 ans) préfère travailler de loin sur place, que de rester chez lui, ou il avoue ne pas pouvoir se concentrer aisément : « Ici, aussi, on a tout ce qu’il faut, on peut s’installer dehors, ou à l’intérieur, c’est comme on veut. Je pense que c’est plutôt cette ambiance studieuse en communauté ou en groupe, même avec des inconnus, qui nous rend productifs ».
L’art et la culture en bonus
Un café culturel n’a pas lieu d’être sans une programmation culturelle proposée. En effet, plus tard dans la journée, de nombreux endroits accordent un intérêt sans faille et parfois quotidien aux activités culturelles et s’ouvrent aux artistes, écrivains, activistes de la société civile ou autres citoyens désireux d’y organiser des tables rondes, de débattre de divers sujets sociaux, culturels ou même politiques. Quelques cafés emblématiques du centre de Tunis possèdent même une scène consacrée à la musique, au théâtre et même au cinéma. Une scène comme celle du « Café-théâtre l’Etoile du nord » accueille des concerts de musique, en tout genre, citons celui des «Carthagods», organisé il y a quelques mois, ou les festivités nocturnes des éditions des Journées cinématographiques de Carthage : pendant ces soirées, on peut voir différents groupes locaux de musique s’y produire. L’espace, vieux de plus de 15 ans, a vu défiler des générations entières et se consacre aussi au théâtre, notamment en s’ouvrant aux spectacles des Journées théâtrales de Carthage. L’endroit, dans la journée, est ouvert pour consommation de cafés, sandwichs et autres mets certes, mais il est propice au travail si besoin, et ce, même pendant le mois de Ramadan.
A deux pâtés de maisons, un autre endroit est devenu rapidement emblématique depuis 2015. Le « Café-théâtre le Mondial », situé au 2e étage du Mondial, contient une bibliothèque, des tables confortables et une scénette où il est écrit « Masra7 ». Depuis près de 4 ans, l’endroit a accueilli karaoké, conférences de presse, tables rondes et même festivals et a surtout connu une vague de jeunes lycéens passionnés d’arts scéniques. Ils se sont approprié la scène spontanément dans le cadre de séances d’«Open Mic» dans le but de se faire connaître en tant que chanteurs, comédiens, instrumentalistes, chorégraphes en herbe et même humoristes.
« Liberthé », café culturel célèbre du côté de Lafayette, s’est construit une réputation retentissante spontanément après la révolution : séances de dédicace de livres, projections de films et débats en tout genre ont germé. Ces endroits travaillent en général, pendant la saison scolaire ou universitaire, et se retrouvent naturellement désertés pendant l’été.
Par ailleurs, d’autres cafés ont fermé, faute de financement, de mauvaise gestion ou de clients partis dans d’autres endroits qui répondent mieux à leurs besoins. A l’heure actuelle, de nombreux cafés sont ouverts mais sans une programmation artistique ou culturelle précise. La plupart attendent le démarrage de la rentrée universitaire.
Les cafés culturels pullulent dans les régions
Ces coins existent du côté de la capitale et se banalisent, mais ils restent très prisés dans les régions et notamment dans les grandes villes : à Gabès, un café avait fait sensation en s’ouvrant sur une jeunesse avide de culture et de savoir. Hélas, très vite, il a perdu de sa vivacité et s’est transformé en café où on regarde des matchs de foot et où on organise des fiançailles : l’aspect culturel s’est dissipé. « C’était prévisible et attendu ! », déclare A, un jeune étudiant originaire de la région, qui dit que ce concept-là ne pouvait pas marcher dans sa ville natale : « La ville manque cruellement d’endroits où sortir, se divertir, donc quand un nouveau café ouvre, on peut se permettre de tout y faire sauf se cultiver». C’est le cas d’autres cafés culturels qui ont vu le jour dans les grandes villes tunisiennes, loin de la capitale, mais qui s’éternisent rapidement en culture, du moins faute de programmation culturelle bien établie, de contacts pour attirer les artistes et les spectacles ou tout simplement de moyens.
Un cas actuel, à part : celui de « Laranja », qui a été récemment ouvert … à Testour et qui est particulièrement fort fréquenté et dirigé par les jeunes de la ville. L’endroit est doté d’un espace extérieur vaste, riche de ses arbres et de ses plantations. L’endroit a tous les atouts nécessaires pour s’imposer comme étant le centre culturel de cette petite ville d’origine andalouse : spectacles de musique, débats, cinéma et expositions y sont organisés : pas plus tard qu’il y a quelques semaines, Wafa Ghorbel, chanteuse et écrivaine, et le jeune réalisateur Abdelhamid Bouchnak ont répondu présent sur place pour y animer des soirées chants et débats en tout genre. Ce projet est porteur d’épanouissement et d’espoir pour la jeunesse qui ne bénéficie d’aucun moyen de divertissement ou de culture. Les cafés culturels attirent les esprits créatifs et prolifèrent afin de contrer appauvrissement culturel et autres cafés pas mixtes pour chômeurs.