Le concept de «culture du viol»
Le concept de culture du viol, souvent mal compris, constitue un levier remarquable pour changer nos réflexes. La culture du viol, c’est quand on excuse les violeurs par une maladie mentale, quand on affirme que les hommes ont des besoins irrépressibles, et que les victimes l’auraient «cherché» — qu’on parle d’habillement, de consommation de substances ou de comportement. Les sociétés méditerranéennes demeurent souvent de culture machiste mais parfois faussement machiste. Le viol fait très souvent partie des sociétés où la promiscuité familiale est assez développée ou encore, où la ségrégation sexuelle entre hommes et femmes est imposée par la culture du pays. Le viol serait-il alors une pratique propre à ces pays ? Certainement pas. La perversion sexuelle est une conduite qui dévie la pulsion sexuelle soit de son objet naturel, soit de son but naturel. Il y a perversion quand il y a orientation permanente et exclusive.
Pour faire face à la gravité et à la diffusion de ce genre de problèmes, à partir du 26 juillet 2017, les violeurs en Tunisie ne peuvent plus éviter les sanctions légales en épousant leurs victimes mineures. «La nouvelle loi tunisienne fournit aux femmes les outils adéquats pour demander à être protégées contre des actes de violence de la part de leurs maris, de membres de leur famille ou autres». Concrètement, cette loi permet aux femmes de demander au tribunal la protection contre leurs agresseurs sans même passer par une plainte au pénal ou une requête en divorce s’il s’agit de leur mari. Ces ordonnances peuvent, entre autres, exiger que l’auteur présumé de violences quitte le domicile ou qu’il se tienne à distance de la victime et de leurs enfants, ou encore lui interdire de commettre de nouvelles violences, d’émettre des menaces, d’endommager les biens de la victime ou de la contacter.
Le texte prévoit une assistance juridique et psychologique aux victimes et instaure des programmes spécifiques pour ancrer «les principes des droits humains et de l’égalité entre les genres» dans l’enseignement. Il comprend aussi des dispositions sur le harcèlement dans l’espace public et la discrimination économique. Il modifie également le très controversé article 227 bis du Code pénal, supprimant la disposition qui prévoit l’abandon des poursuites contre l’auteur d’un acte sexuel «sans violences» avec une mineure de moins de 15 ans s’il se marie avec sa victime.
«Il s’agissait d’une disposition infâme dans le droit tunisien, d’une disposition qui laissait les jeunes filles victimes de viol dans une situation de danger, de vulnérabilité accrue. Avec l’abrogation de cet article, on retourne vers un droit moderne, un droit qui prend en considération le statut des victimes et leur bien-être psychologique, plutôt que des notions très vagues comme la protection de la famille ou l’honneur qui prévalaient auparavant». Souvenons-nous, qu’en matière d’inégalités hommes-femmes, il ne suffit pas de légiférer mais aussi éduquer.
«La seule chose, c’est l’éducation. Or l’éducation implique que les éducateurs soient eux-mêmes éduqués. C’est la raison pour laquelle ça prend du temps. On fait des générations nouvelles d’éducateurs dont quelques-uns auront modifié leur point de vue et sauront le transmettre. Et à force de transmission, génération après génération, d’un point de vue modifié, peut-être qu’un jour on arrivera à l’égalité de regard sur les hommes et sur les femmes».
Dans les pays voisins, de culture méditerranéenne comme l’Italie par exemple, une figure féminine, Franca Viola, a dit non à son violeur, et elle a été le premier véritable cas de rejet du mariage réparateur en Italie. Viola est devenue le symbole de la croissance civile de l’Italie et de l’émancipation des femmes italiennes après la Seconde Guerre mondiale. A l’époque, en 1965, en Italie, selon l’article 544 du code pénal, le crime de viol était considéré comme non établi si l’agresseur épousait sa victime. Grâce au refus et au courage de Franca Viola, l’article 544 sera abrogé en 1981, mais ce n’est qu’en 1996 que le viol sera finalement reconnu légalement, en Italie, non seulement comme un crime «contre la morale», mais aussi comme un crime «contre la personne».
L’Institut Italien de Culture de Tunis, section de l’ambassade d’Italie, à l’occasion des célébrations de la Journée mondiale contre la violence à l’égard des femmes, a mis en scène, le 28 novembre au 4e Art de Tunis, «La femme qui a dit non», une pièce écrite et mise en scène par Pierpaolo Saraceno, jouée par Mariapaola Tedesco, organisée par la Compagnie Onirika du Sud et basée sur l’histoire de Franca Viola.