La manifestation nationale contre la violence faite aux femmes a mobilisé hier un millier d’hommes et de femmes sur l’avenue Bourguiba, au centre-ville de Tunis. Reportage.
Dès 13h, elles sont venues armées de leurs balais et bardées de leurs casseroles. Non pas pour confirmer un cliché, confinant leur genre dans l’espace privé, elles dites «les fées du logis». Mais plutôt pour assainir, grâce à cet ustensile de nettoyage, le monde de la violence visant les femmes et pour faire du bruit en frappant fort sur leurs casseroles. Echo de leur colère et métaphore d’un cri, d’une parole longtemps tenue en laisse. Celle qui dénonce viol, harcèlement sexuel, violences de tous types, sexisme…
La manifestation nationale contre la violence faite aux femmes a mobilisé hier un millier d’hommes et de femmes sur l’avenue Bourguiba, au centre-ville de Tunis. Beaucoup plus qu’à Sfax, Sousse et Kairouan où la semaine passée la rue a connu des événements comparables. Organisée par l’Association tunisienne des femmes démocrates (Atfd), en résonance à un mouvement mondial contre la violence exercée sur la gent féminine, a vu la participation d’une cinquantaine d’ONG tunisiennes et internationales, dont l’Afturd, la Ligue tunisienne des droits de l’homme, la Ligue des électrices tunisiennes, l’Association tunisienne des libertés individuelles, le Snjt, l’Association Beity, Avocats sans frontières, l’Union nationale des femmes tunisiennes, Amnesty international.
Des organisations Lgbt, visibles à leurs couleurs arc-en-ciel, y ont également pris part, dont Shouf, Damj et Mawjoudoun. Dans la foule, des hommes politiques de gauche, Hamma Hammami et Zied Lakhdhar.
«Non à l’impunité des agresseurs et des violeurs!»
Colorée, bruyante, chantante, festive, inclusive, multi-générationnelle, la manifestation avait tout l’air d’un moment de complicité et d’émancipation collectives.
Accrochés aux balais ou tenus à la main, les slogans inscrits sur des pancartes dénoncent des violences souvent banalisées, scandées à hauteur des réseaux sociaux et des médias et que la justice peine à prendre en charge. Ils disent le retard dans la mise en œuvre de la loi organique sur l’élimination de la violence faite aux femmes votée par le parlement en juillet 2017. Ici et là, des inquiétudes s’expriment quant au courant conservateur qui domine aujourd’hui l’Assemblée des représentants du peuple.
«Un système disparaît, un autre s’installe et la violence ne fait que progresser !», «Des lois, encore des lois. Mais l’application se fait attendre !», «Non à l’impunité des agresseurs et des violeurs !», «Révolution, révolution féministe contre les forces passéistes !», «A bas le patriarcat !». Le hashtag EnaZeda (moi aussi), paru à la mi-octobre après la diffusion d’images «compromettantes» d’un député devant un lycée est porté par plusieurs manifestants à la devise suivante : «Le harceleur ne légifère pas !». Le hashtag Ena Zeda a permis à des milliers de femmes de libérer sur les réseaux sociaux une parole sur le viol et le harcèlement sexuel, longtemps prisonnière de la honte et du déni.
Pour Khadija Cherif, membre fondatrice des Femmes démocrates, les manifestants ont tellement raison de protester contre les lenteurs dans la mise en place d’une véritable stratégie contre la violence.
«La loi a été votée, mais il reste tant de choses : un budget dédié à ce combat, des décrets d’application, un observatoire et l’accompagnement des femmes victimes. Or, grâce à un tel événement, ce fléau devient une cause publique. Je suis particulièrement émue que des jeunes et des hommes l’adoptent», affirme Khadija Cherif.
Dalenda Larguèche, universitaire et ancienne directrice du Credif, partage le même optimisme : «Devant la sclérose des hommes politiques, la société civile paraît, à travers cette manifestation, si vivace, si créative et d’une si grande fraîcheur. Il faut d’ailleurs rappeler que c’est la société civile qui a proposé et défendu jusqu’au bout la Loi organique de juillet 2017. Je constate avec bonheur que les féministes aujourd’hui sont de plus en plus jeunes. Le flambeau est passé à la nouvelle génération».
Sortie des abords de la Porte de France, la manifestation s’est arrêtée pendant près d’une heure devant le Théâtre municipal, pour se disperser par la suite dans la ville. Elle laisse sur son passage les rumeurs de revendications de femmes portées à la mesure d’un acte de courage et de résistance. Un acte hautement politique.