Accueil A la une La langue française en Tunisie : «Un statut colonial» à l’expression de la culture libertaire

La langue française en Tunisie : «Un statut colonial» à l’expression de la culture libertaire

C’est indéniable, le fait de parler plusieurs langues est un atout pour le pays et pour les gens qui l’habitent. La connaissance d’une langue étrangère n’implique pas seulement l’apprentissage d’un idiome, mais aussi la connaissance d’une culture, des mœurs et coutumes qui diffèrent des nôtres. La connaissance d’une langue outre que la langue maternelle est synonyme de richesse et d’ouverture sur un autre monde.

A travers l’apprentissage d’une langue, en général, on fait véhiculer le signe d’un peuple, son patrimoine, son histoire, sa culture. Nous avons tous besoin de connaître les langues étrangères, car « Qui connaît une langue va à Rome », dit un vieux adage, ce qui veut dire que si une personne connaît des langues, elle pourra mieux réussir dans sa vie.

Je conclus donc que personne ne peut nier le fait que la connaissance d’une ou plusieurs langues est désormais primordial et nécessaire à tout individu. Mais pourquoi alors dans certains pays et surtout les pays qui faisaient partie des empires coloniaux, la deuxième langue est souvent refusée et malmenée? La première réponse qui me vient à l’esprit est la plus simple et la plus plausible; même si nous sommes déjà loin du début de l’indépendance, la langue reste fortement liée à la présence coloniale et à la culture du colonisateur; tel est le cas du français, de l’anglais ou bien de l’espagnol et du portugais. Je trouve, de nos jours, tout cela, assez dépassé, illogique et irrationnel.

Si nous prenons le cas du français ou du portugais, par exemple, on se rend vite compte que certains pays francophones et lusophones ont fait de ces langues romanes, leurs langues nationales sans trop se soucier si cette langue appartenait ou pas au colonisateur. Je pense par exemple au Canada, ou bien au Brésil, pays qui ont connu, dans des époques assez lointaines, la présence française et portugaise. Mais que se passe-t-il pour les pays de « récente colonisation »? Prenons l’exemple de certains pays africains et maghrébins qui ont obtenu leur indépendance aux alentours des années 60 et notamment la Tunisie et l’Algérie, pays que je connais assez bien par rapport à d’autres.

Ce qui est curieux et qui fascine un linguiste comme moi, est le fait d’observer comment la vision d’une langue peut se modifier selon les changements historiques. Je m’explique mieux. Si nous prenons en examen la langue française en Algérie, le français est passé d’un statut de langue du colonisateur et d’oppression pendant l’époque coloniale et postcoloniale, à un statut de langue de la libération et de l’expression de la culture libertaire refusant toute sorte de contrainte et d’autorité sous la décennie noire de la guerre civile de 1991, qui opposa le gouvernement algérien aux différents groupes islamistes. En prenant cela comme exemple, je veux montrer comment la même langue peut subir des pressions et changer de perception vis-à-vis d’un peuple qui peut l’aimer ou la détester.

L’école en Algérie vers 1860

Pour la Tunisie, l’exemple algérien est très différent, d’abord de par le statut colonial, qui positionnait la Tunisie en tant que protectorat et non pas comme colonie, ensuite pour la durée de la présence française en Tunisie, nettement inférieure à celle de l’Algérie. Mais la Tunisie, malgré tout, souffre de deux complexes civilisationnels et linguistiques : l’un, lié à l’infériorité et l’autre, lié à la supériorité par rapport à tout ce qui est français ou bien lié à la langue et à la culture francophones. Il faudrait bien comprendre les causes de cet amour/haine du français et creuser encore plus profondément dans tout ce qui se cache dans l’inconscient du peuple tunisien. Compte tenu de la complexité du sujet, je trouve que cela ne relève plus des compétences d’un linguiste, mais plutôt d’un psycholinguiste qui peut en étudier les rapports entre les structures linguistiques et les processus psychologiques.

Si on revient à la réalité du quotidien, il faut qu’on analyse la problématique liée au français de façon différente et plus terre à terre par rapport aux problèmes psycholinguistiques. Il me semble que, pour la Tunisie, le moment est venu de se pencher sur sa politique linguistique et de décider une fois et pour toutes quel statut accorder au français EN et DE Tunisie. Je dis bien le français DE Tunisie, car il s’agit d’une langue propre à la Tunisie, avec des différences linguistiques propres au pays. Pour ceux qui voient encore la langue française liée à l’ancien protecteur, une solution pratique pourrait bien exister, celle-ci consisterait en la séparation idéologique du français lié uniquement à la France et de s’approprier cette langue comme une langue faisant partie du paysage linguistique tunisien: le français de Tunisie.

Ce concept pourrait sembler absurde ou irréel, mais, en effet, il ne l’est pas, et cela serait plutôt à l’image du français du Canada ou de l’Anglais d’Amérique, qui se caractérisent par des différences linguistiques ou sémantiques propres par rapport au français de France et à l’anglais du Royaume-Uni. Nous ne devons jamais oublier que chaque pays a ses spécificités culturelles et linguistiques et qu’une langue s’approprie toujours des spécificités culturelles du pays qui la parle, sans oublier que le français demeure une des langues les plus parlées et les plus étudiées au monde et avec une croissance exponentielle d’ici 2050, surtout sur le continent africain.

Je n’apprends rien à personne en disant que l’Afrique est un continent très riche et en voie de développement et qu’une bonne partie du continent est francophone, ayant le français comme langue officielle ou comme langue véhiculaire. La Tunisie, avec tous les autres pays du Maghreb, fait partie de cet espace francophone et la maîtrise du français s’impose davantage chaque jour. Il faudrait faire comprendre que cette maîtrise du français n’enlève rien à l’identité culturelle tunisienne ni du pays ni du parlant, par contre, elle la renforce davantage dans ses dimensions africaine et méditerranéenne.

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3 Commentaires

  1. Karim Mhadhbi

    16 décembre 2019 à 08:54

    La langue française doit demeurer en Tunisie, mais comme langue étrangère, à l’instar de toute autre langue étrangère. Si l’on veut être pragmatique, la langue de Molière et de Voltaire n’est plus un facteur de progrès dans cette période où même le français de l’hexagone baisse les bras devant la langue de Shakespeare : américanisme (O my God, checker, peanuts, etc.), transitivation de plusieurs verbes (acter, sourcer, etc.). Si la France perdure sur la scène européenne, et à l’ombre de l’Allemagne cœur industriel de ce continent, ce n’est que parce qu’elle a encore la mainmise sur les anciennes colonies de la zone du France CFA et sur le Maghreb. S’il fallait être réellement pragmatique, deux langues devraient être apprises par tous les jeunes tunisiens : évidemment la langue de Shakespeare, mais aussi celle de La Tseu.

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  2. Amir

    16 décembre 2019 à 17:23

    Ça ne nécessite pas vraiment un psycholinguiste, lol..
    Donner en français des réponses aussi simples que l’affirmation ou la négation c’est ça ce qui nécessite un sociologue..

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  3. Sihem

    17 décembre 2019 à 08:43

    Je ne comprends pas cette obsession à vouloir donner à la langue française un statut particulier, hors normes dirais-je même. Le français ou l’anglais au Canada sont les langues des personnes qui y ont émigré et qui ont colonisé ces terres, le parallèle avec la Tunisie est totalement hors sujet. Il faut évidemment encourager l’apprentissage de toutes les langues étrangères et proposer dès l’école primaire le choix de la première langue et non imposer le français comme c’est le cas actuellement.
    Je tiens d’ailleurs à faire remarquer qu’inversement l’enseignement de la langue arabe en France est totalement marginalisé et que cette langue bénéficie si je puis dire d’un grand mépris d’une grande partie des décideurs politiques et également au niveau de l’Education nationale.
    Alors un grand OUI à l’enseignement des langues vivantes qui sont un formidable moyen d’ouverture sur les autres cultures mais non à l’enfermement au sein du français. Il faudrait penser à développer l’enseignement de l’espagnol qui est une langue qui compte au niveau mondial, du portugais, du russe, de l’italien avec lequel nous avons aussi des liens historiques, bien sûr de l’anglais que les tunisiens maîtrisent mal mais aussi du chinois et proposer dans les cursus universitaires des langues moins parlées comme les langues d’Europe centrale (serbe, croate, hongrois…).

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