L’équation est toute simple : les villes où il y a une forte employabilité sont celles où les habitations informelles poussent comme des champignons.
On entend par habitat spontané, l’habitat illégal construit sur des terrains achetés par les ménages. Bien que cette notion ait été définie pour la première fois en 1961 par le géographe français Pierre George, pour spécifier les quartiers insalubres de squatters construits avec des matériaux de récupération, l’habitat spontané est un terme utilisé en Tunisie pour définir la totalité du phénomène de l’habitat informel et illégal. Partant, cette notion fait référence à deux contradictions, à savoir l’achat du terrain pour y construire le logement et l’illégalité en raison de l’absence de l’aménagement territorial et de l’équipement adéquat.
Ce phénomène touche principalement les zones périurbaines dans les grandes villes, et il est à l’origine de la naissance de plusieurs quartiers populaires, à forte concentration urbaine à Tunis. Etroitement lié aux vagues d’exode rural qui surgissent par ricochet, selon les conjonctures socio-économiques par lesquelles passe le pays, l’habitat spontané n’est plus l’apanage des classes pauvres et ouvrières. Il constitue, désormais, un refuge pour une bonne partie de la classe moyenne. Les retombées, notamment sociales, de ce phénomène peuvent parfois s’avérer inquiétantes. On cite, principalement, une prolifération ingérable des quartiers anarchiques engendrant ainsi la perte de contrôle de l’extension et la planification des villes, le peuplement de zones inhabitables à l’instar de celles qui se situent à proximité des cours d’eau et la marginalisation sociale des habitants des quartiers anarchiques. «L’habitat spontané est une conséquence des politiques inégalitaires de l’aménagement territorial», nous a confié un ingénieur du ministère de l’Equipement, de l’Habitat et de l’Aménagement du territoire. L’équation est simple, les villes à forte employabilité sont les villes où les habitations informelles poussent comme des champignons.
45% de l’habitat est informel
Après 2011, il y a eu pratiquement une déferlante de constructions illégales. Le poids de l’informel dans le parc national des logements a dépassé, alors, les 45%. Il fluctue toujours à ces taux. Selon les statistiques officielles, le poids du logement informel est passé de 12% en 2010 à 48% en 2011. Par souci de relativiser les données dont nous disposons, il est à noter que durant la période qui s’étalait entre 2004 et 2009, le pourcentage de l’habitat informel fluctuait aux alentours de 30%. L’évolution du nombre d’autorisations de bâtir a connu un pic en 2010 engendrant ainsi une baisse notable du nombre de logements informels. A défaut de ressources financières et d’outils techniques, les municipalités, première autorité de conception, d’aménagement et de contrôle territorial, ne sont plus en mesure d’endiguer ce fléau.
L’Agence de réhabilitation et de rénovation urbaine (Arru), relevant du ministère de l’Equipement, de l’Habitat et de l’Aménagement du territoire et chargée de la rénovation des quartiers anarchiques, a recensé environ 1.440 quartiers informels sur tout le territoire du pays. Le Grand-Tunis compte 17 concentrations urbaines et périurbaines informelles, dont 14 ont vu le jour après les années 90. Selon le chercheur géographe Sami Ben Fguira, ces statistiques «mettent en évidence les limites des politiques du logement social. L’absence d’une politique ambitieuse en faveur de ces couches et des infrastructures sociales assurant leur intégration dans la vie urbaine menace d’amplifier les tensions sociales et d’aggraver les disparités», cite-t-il dans son ouvrage «Quel avenir pour le logement social en Tunisie ?». Le désengagement progressif de la Société nationale immobilière de Tunisie (Snit) de sa vocation sociale a aggravé la crise au niveau de l’habitat social. Le promoteur immobilier ne produit qu’une moyenne de 3.000 logements par an, contre 11 mille dans les années 90.
Pour ces raisons et pour d’autres, l’habitat spontané est devenu une nécessité absolue pour les couches sociales vulnérables et moins vulnérables. Quitte à construire des habitations sur des terrains inondables. Et même l’insalubrité de certaines zones périurbaines semble ne pas freiner la surenchère foncière, où les prix des terrains dans certains quartiers informels du Grand-Tunis peuvent dépasser largement les 250 dinars le m2, sensiblement inférieurs à l’offre foncière publique de l’AFH.