Les députés ayant refusé leur confiance à Habib Jemli et ses ministres, maintenant c’est au Président Kaïs Saïed de dénicher l’oiseau rare qui devrait avoir aussi l’aval de tous les partenaires du processus démocratique
Vendredi dernier, à l’hémicycle du Bardo, était pour Habib Jemli assez long comme un jour sans pain. Sa formation gouvernementale, fruit de négociations marathoniennes au bout d’un mois et demi, tenues dans son quartier général à Dar Dhiafa à Carthage, fut, hélas, rejetée en bloc. Elle n’a eu que la confiance des députés nahdhaouis et leurs alliés de la Coalition d’Al Karama, ainsi que certains indépendants au Parlement. Avec 72 voix pour, 134 contre et 3 abstentions. Un score qu’aucun gouvernement post-révolution n’a jamais obtenu. Même les tractations du dernier quart d’heure et les arrangements sous la table n’ont pas séduit les récalcitrants. Et c’est tant mieux pour la Tunisie, lance, en substance, la majorité des partis opposants, disant qu’un tel rejet catégorique évite au pays une nouvelle fuite en avant. Voire un saut dans l’inconnu.
Et maintenant que les dés sont jetés, l’on parle, désormais, de l’après-gouvernement Jemli. La balle est dans le camp du président Kaïs Saïed. Ce dernier est appelé, selon la Constitution, à choisir la personnalité la plus apte à conduire l’étape suivante. Selon l’article 89, « le Président de la République engage, dans un délai de dix jours, des consultations avec les partis, les coalitions et les groupes parlementaires, en vue de charger la personnalité la mieux à même de parvenir à former un gouvernement, dans un délai maximum d’un mois ». Cela dit, la quête de l’oiseau rare est relancée. Mais, le locataire de Carthage aura-t-il la latitude de faire son libre choix, dans la mesure où nul n’est censé lui proposer qui que ce soit ? Serait-il, encore, mieux de trancher après concertations qu’il devrait engager avec les partis concernés? Certes, M. Saïed ne va pas faire cavalier seul. L’on assistera, donc, à de nouveaux rounds de négociations qui auront, cette fois-ci, lieu au palais présidentiel de Carthage. En tout cas, le compte à rebours a commencé.
Nouveau front de négociation
L’on s’attend à ce que les non-votants pour le gouvernement Jemli (134 députés) resserrent les rangs pour écarter le camp nahdhaoui. Pas plus tard que vendredi soir, suite à la plénière de vote de confiance, une initiative partisane fut née, visant à créer « un front démocratique » qui réunit, jusque-là, plus de 90 députés. Soit un nouveau bloc parlementaire regroupant essentiellement Qalb Tounes, le Mouvement du peuple (Echaâb), celui de la Réforme et de l‘Avenir. Tous se veulent unis face à toutes les manœuvres d’Ennahdha et ses alliés. Ils veulent prendre le dessus et dans une large mesure faire passer leur choix du prochain gouvernement. Mais l’union fait-elle toujours la force ? Autant dire, cette nouvelle coalition aura-t-elle vécu ? Ses initiateurs, ses idées, ses visions font-ils, eux aussi, bon ménage ? Et si un tel mariage allait forcément durer ! Loin des émotions de l’instant et de cette volupté largement ressentie suite au rejet du gouvernement Jemli, ces partis coalisés, au nombre actuel, ne représentent guère une majorité absolue à l’ARP. D’où, il y aura besoin, du moins, d’autres sympathisants.
Supposé rassembleur, le président de la République prévoit de mener des négociations politiques à égale distance de tous les partis au Parlement. Ceci dit, Ennahdha en fera partie. Son chef Rached Ghannouchi ferait de son mieux pour revenir à la charge, afin qu’un ou plusieurs de ses disciples aient un pied dans la prochaine formation. L’on s’interroge, ainsi, quel gouvernement peut-on avoir prochainement ? On lui attribue plus d’un qualificatif. Le Mouvement du peuple (Echaâb) parlait d’un gouvernement du président. D’autres l’appelaient gouvernement d’union nationale, de technocrates politisés ou de salut national. Qu’entend on par le choix d’une personnalité la plus apte à former ce gouvernement ? L’article 89 de la Constitution n’en a pas identifié le profil exigé. Autre question qui paraît aussi conséquente : sur quel critère va-t-on choisir cette personnalité ?
Serait-elle apolitique ? Charismatique? Comment faire pour qu‘elle soit une figure d’union et non de division ?
Quoi qu’il en soit, il s’agira d’un gouvernement de la dernière chance. Avant qu’on ne refasse, précocement, les élections législatives. Dispositions constitutionnelles obligent. «Si dans les quatre mois suivant la première désignation, les membres de l’Assemblée des représentants du peuple n’ont pas accordé la confiance au gouvernement, le Président de la République peut dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple et convoquer de nouvelles élections législatives dans un délai de quarante-cinq jours au plus tôt et de quatre-vingt-dix jours au plus tard», lit-on dans le 4e alinéa de l’article 89 précité.