Mohamed lamine pacha bey : Un bey à réhabiliter

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L’investiture du bey Mohamed Lamine le 14 mai 1943 avait un cachet spécial puisqu’il succéda à Mohamed Moncef Bey, souverain trop populaire, un nationaliste qui avait su tenir tête aux autorités coloniales pour défendre dignement la cause tunisienne…


Au début de son règne, Mohamed Lamine Pacha Bey était mal vu et mal accueilli par son peuple angoissé et ému par la perte de son bien-aimé «Sidi El Moncef».

Dilemme
En réalité, Mohamed Lamine Bey vivait un dilemme aussi : définir comment bénéficier de la popularité et de l’amour de ses sujets, à l’instar de son prédécesseur tout en se comportant convenablement et dignement avec les autorités coloniales.

Malmené et maltraité
Les quatorze ans (14) de règne de Mohamed Lamine Pacha Bey ont démontré que ce bey était courageux et digne de la succession de «Sidi El Moncef». Par ses décisions lucides et ses positions fermes et sans équivoque, ce bey avait bien contribué à la lutte pour l’indépendance du pays.
Pourtant, ce dernier monarque de la dynastie husseïnite a été sciemment maltraité et négligé et avait subi jusqu’à sa mort (le 1er octobre 1962) après sa déposition en juillet 1957… ainsi que sa femme les foudres, les tonneaux et les atrocités semés par divers caprices de Bourguiba!

Décisions fougueuses
L’Histoire reconnaît que ce bey était fidèle à son royaume et à sa patrie et pour cause : au cours de la célébration du 8e anniversaire de sa succession au trône, ce bey déclara publiquement le 15 mai 1951 que «le peuple tunisien a acquis le droit de vivre dans la paix et dans la dignité dans le cadre d’une souveraineté nationale intégrale».
Cette déclaration fut mal appréciée par les autorités coloniales… d’après eux, son Altesse a fait un écart de conduite!

Mais l’épreuve de force entre la Tunisie et la France s’est engagée à partir de décembre 1951 lorsque le front national guidé par le leader Habib Bourguiba s’associa avec le souverain Lamine Bey, qui ne tarda pas de donner le feu vert à son gouvernement pour dépêcher deux de ses membres à l’ONU et mobiliser les militants du néo-destour et les syndiqués de l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt).
Le 24 décembre 1951, fut nommé, à la tête de la résidence générale de France, Jean de Hautecloque, un homme rude, autoritaire et intransigeant dont l’attitude politique ressemblait à celle de Marcel Peyrouton, l’un des dépositaires de Moncef Bey.
Face à l’attitude du Bey Mohamed Lamine, et les revendications de l’autonomie interne, la réaction des autorités coloniales ne se faisait pas attendre.

Le souverain Lamine Bey devait assister passivement à l’éclatement de son cabinet ministériel présidé par le grand Vizir Mohamed Chenik, connu pour son attitude offensive à l’égard des autorités françaises, et lorsque furent déportés en exil forcé les ministres Chenik, Mzali, Materi et Ben Salem à Borj Kébili dans l’extrême sud du pays, une alliance stratégique entre le mouvement national et Mohamed Lamine Bey était donc bien scellée. Après cette alliance, le prestige de Lamine Bey monta en flèche.
L’Union nationale, issue du conseil des quarante (40) (conseil nouvellement créé sur instruction du bey et formé des représentants du peuple), se présenta en tant que bras de fer face aux colons.

Lamine Bey avait su se dérober derrière ce conseil sciemment «piloté» par deux leaders en la personne de Mongi Slim, du front national, et Farhat Hached, le leader syndical. Ce dernier avait réussi à s’imposer aux autorités françaises grâce aux encouragements du souverain et son aval à toutes ses démarches syndicales.

Farhat Hached entretenait des relations fréquentes avec le palais beylical. Lamine Pacha Bey était son principal interlocuteur, c’est grâce à cet appui que ce bey avait accaparé en fin de compte la sympathie de toute la classe ouvrière.
En revanche, le leader syndicaliste fut pointé du doigt et accusé d’influencer le souverain.
Pour l’administration coloniale, il était un élément perturbateur et irritant, ce qui fut prouvé par la tragédie de son assassinat le 5 décembre 1952.

Tentative d’empoisonnement du bey
Mais auparavant, c’était Lamine Bey qui allait être victime de cette oppression coloniale de haut niveau.
Il avait fait l’objet d’une tentative d’empoisonnement dont voici les faits relatés par l’historien analyste Mohamed Salah Mzali : au courant du mois d’avril 1952, une gouvernante cuisinière exerçant dans le palais beylical avait reconnu avoir reçu une poudre blanche d’un certain policier pour la mettre discrètement dans le repas du souverain.

Ayant eu des remords, vu la gravité de cet acte, cette gouvernante avait renoncé à la trahison et préféra dénoncer ce coup bas aux intéressés.
Qui était derrière cela? Etait-ce l’effet du hasard si la décision d’empoisonner le bey correspondait à cette période trouble où les autorités coloniales se confrontaient aux dirigeants tunisiens qui revendiquaient l’autonomie interne du pays?
Qui profiterait de la mort de Lamine Bey? Sûrement pas ses sujets — L’historien Mzali raconte aussi que le médecin traitant du bey avait goûté la poudre en question et était convaincu de la véracité des faits; selon ce toubib, la poudre en question était du poison !

Rapprochement des faits
Est-on en mesure de faire un rapprochement entre cette tentative de tuer Mohamed Lamine Bey et l’assassinat du leader syndicaliste Farhat Hached?
Ce qui revient clairement à l’esprit, c’est qu’il s’agit des mêmes auteurs de ce double crime.
Le rapprochement de ces deux événements politiques avait comme principale référence l’année 1952 caractérisée par les rebondissements entre nationalistes revendicatifs de leurs droits légitimes et l’autorité coloniale chargée de l’oppression et du ratissage.
Les auteurs de la tentative d’empoisonnement du bey — après leur échec — s’étaient contentés — a priori de blanchir l’acte pour se tourner vers le conseiller du bey, le leader nationaliste Farhat Hached et l’assassiner froidement un certain 5 décembre 1952 par le biais de l’organisation terroriste «La main rouge».

Dates historiques
Le royaume de Tunisie connaîtra par la suite des jours heureux : le 31 juillet 1954, le président du conseil français, Pierre Mendès France, prononça un discours au palais beylical de Carthage reconnaissant l’autonomie interne de la Tunisie.
Mohamed Lamine Pacha Bey avait eu l’honneur de signer au palais du Bardo les accords officiels organisant l’autonomie interne; de tels accords seront par la suite scellés en convention officielle par Habib Bourguiba.
— le 6 avril 1956, Habib Bourguiba fut nommé grand vizir de Lamine Pacha Bey et chargé de former le premier gouvernement indépendant.
Il était alors question de créer une assemblée constituante pour rédiger le destour.
— le 8 avril 1956, Mohamed Lamine Pacha Bey donna le coup d’envoi de la séance d’ouverture de cette assemblée.
— le 25 juillet 1957, le conseil constitutionnel avait décidé l’abolition du régime monarchique et son remplacement par un régime républicain—Habib Bourguiba, le leader du front national, fut nommé premier président de la République tunisienne.
Ainsi prend fin le règne de Mohamed Lamine Bey, le dernier monarque husseïnite.

Une fin houleuse
En dépit de son enthousiasme politique, sa bonne volonté et sa fidélité auprès de ses sujets, ce souverain avait reconnu stoïquement le passage du pays au régime républicain et s’est incliné dignement à la volonté de l’assemblée constituante.
Ce souverain patriotique a malheureusement connu une fin houleuse. Il fut maltraité (lui et sa femme) et humilié jusqu’à sa mort le 1er octobre 1962. A vrai dire, ce bey mérite tous les éloges.

Par Tarek ZARROUK
Sources : «Héritage du trône chez les Husseïnites» de Mohamed Salah Mzali «Histoire de la Tunisie» de Habib Boularès

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