Venus, mercredi, accompagner Bady Ben Naceur à sa dernière demeure.
Une poignée, on était.
La comparaison avec les funérailles nationales de Lina Ben Mhenni serait, peut-être, mal à propos. Mais qu’importe, on aimait Lina autant, sinon plus, que les milliers du Djellez, la veille, mais quand il y a des vérités à dire, on les dit. La défunte, elle-même, l’eut approuvé.
Première vérité : le militantisme politique est bien vu, respecté, adulé même, dans ce pays. Mais le militantisme culturel ? En pipe-t-on mot ?
50 ans de critique d’art au plus haut niveau, salué de partout, ailleurs comme ici : ce fut le parcours de Bady Ben Naceur. Des écrits qui ont valeur de documents historiques ; des écoles entières suivies, analysées, décryptées ; des carrières lancées, révélées, confirmées ; des générations de publics initiées. Des décennies d’efforts, de recherches, de réflexions, pour consacrer la beauté, pour transmettre le bon goût. N’est-ce pas militance que tout cela ? Ne sont-ce pas choses à retenir, à saluer, à respecter, à aduler ?
Les époques diffèrent, bien sûr. De ses premiers pas à «La Presse» jusqu’à début 2000, environ, le critique d’art Bady Ben Naceur irradiait la place. Etait vu, lu. La suite a «décliné» peu à peu. Les dernières années de la dictature, plutôt troubles, n’ont plus «fait bon ménage» avec la culture. Bady en a souffert. Il souffrira cependant plus à partir de la révolution. Il rêvait d’une Tunisie vite libérée, vite démocratisée, il s’employa même à la chronique politique. Ce ne furent, on le sait, que déceptions après déceptions. Les échecs successifs de la révolution ont comme «voué» l’artiste et le critique d’art, les arts même et la cuture, le militantisme culturel, le parcours du grand journaliste, à l’oubli.
Seconde vérité, plus douloureuse encore : les années de maladie de Bady ont sans aucun doute manqué de soutien. Les proches et les amis ont fait l’effort, lors des moments graves. Le journal, aussi, hélas, autant que faire se pouvait. Mais ce qui a fait le plus mal, c’est la quasi absence de l’Etat. Oui, de l’Etat. Cet Etat, paradoxalement, accourait au secours des artistes et des journalistes, les prenait en charge pendant leurs vieillesses difficiles et leurs maladies, du temps de la dictature. Visiblement, plus maintenant. Les communiqués officiels, les hommages posthumes que l’on a pu lire ces derniers jours, évoquent pourtant «le grand critique», «le journaliste historique», «le témoin des jeunes générations», «l’intellectuel exemplaire», «l’artiste militant». Soit pour les bons mots. Mais de contrepartie y a-t-il vraiment eu ?
Nous étions quelques-uns à son chevet, lundi, à l’hôpital Mongi-Slim. On ne vous dit pas l’état, on ne vous dit pas les conditions. Le grand critique, le journaliste historique, le patriote, le témoin des générations, agonisait presque, à l’abandon.
Dors tranquille, l’ami !Ta mémoire te survivra, à jamais.