C’est donc chose faite : la télévision nationale renoue avec les concours de nouvelles voix. C’étaient de vraies constantes avant 2000, avant la grande interruption. Trois décennies pleines, durant lesquelles des émissions de grande audience ont régulièrement assuré le lien entre les générations de chanteurs «pros» et les futurs talents. En 70, d’abord, avec les premières «vedettes de demain»; bien faites et fécondes, on s’en souvient encore. Puis en 80 avec les secondes, de l’avis de tous, restées inégalées. En 90, enfin, avec (autre formule, autre succès) le tout aussi prolifique «Tariq Ennoujoum» de Raouf Kouka.
La reprise, aujourd’hui, est une production mi-classique, mi-«new», à sa troisième diffusion déjà : «Le trophée, chantes Tunisien». L’intitulé dit bien son propos. On compte bien célébrer des vainqueurs, on sacre, on remet des prix, c’est l’effet «audimat», c’est «le new». Mais on exige un contenu «à soi», du classique nôtre, du «tounssi», seulement.
Qu’en penser, en général ?Qu’en penser après ces trois premières diffusions ?
Un oui, d’abord, un grand oui, pour la reprise, pour l’idée, pour le projet. On le disait, en l’annonçant ici même le mois dernier, ce retour tombe à point, à un moment où la chanson toute entière, art et pratique, vit une régression. En 70, en 80 et en 90, les concours de nouvelles voix avaient relancé l’activité musicale, opéré même une véritable «renaissance chansonnière». Il y a pénurie, là, à l’orée de 2020 ; on manque de jeunes talents, de nouvelles voix. Le «trophée» peut (doit pouvoir) y aider.
Un oui encore pour le retour au bon jury. Au jury d’expérience, savant et compétent. On a omis de le dire partout, les «Stars Academys», nos Stars Academys arabes, du moins, les «The Voice», les «Arab Idol» et les «Got’s Talents, ne recrutent, de plus en plus, pour juges que des chanteurs de second plan. Souvent inférieurs aux candidats eux-mêmes. Comment bien distinguer dans ce cas ? Comment assurer la justice artistique, la bonne équité ?
Le jury affecté au «Trophée», au casting comme à l’audition, est de premier choix. Naceur Sammoud est un compositeur référence. Sid Ali Ouertani, un excellent parolier et critique affuté. Lassaâd Ben Abdallah est homme de scène et de goût. Et Fatma Ben Arfa une pionnière du chant. Ce groupe est une réelle garantie pour le niveau et la crédibilité de la compétition.
L’orchestre et l’image plaisent, aussi. Le volume, les sonorités, les percussions et les arrangements sont irréprochables. Compliments. Au décor, aux costumes et à la présentation, de même. Tout cela est frais, beau, à la fois racé et branché. Classique et new.
Des «oui», soit, mais des «mais», quelques «mais» à prendre en considération à notre avis.
Les voix proposées, d’abord. Justes, justes. Etrange impression. Avec l’interruption et le temps, le génie vocal tunisien a comme «fondu». On s’avérait bien meilleurs avant. On s’avère autrement dotés et doués à «The Voice» et à «Arab Idol». Pourquoi pas tant, ici ?
Le règlement, ensuite. Si l’on a bien compris, comme pour les «Stars Academys», le dernier mot reviendra au public. Dommage, dirons-nous. Les publics de la télévision sont orientés de nos jours, et «partisans». Les meilleurs ne gagneront probablement pas. Pourquoi alors se référer à un jury savant et compétent ?C’est une télévision publique qui produit «le trophée», pourquoi ce souci inutile de l’audimat et de l’argent ?
Notre pronostic : si on continue sur cette «ligne», si l’on s’acharne à imiter les satellitaires privées, si on copie systématiquement leurs manières comme leurs idées, il n’y aura probablement pas de voix nouvelles ni de vrais jeunes talents révélés par «le trophée». Les vainqueurs ne seront pas forcément les meilleurs comme pour toutes les «Stars Academys».
Non plus(et c’est le «mais» le moins négligeable) chez ceux que l’on «astreint» à chanter uniquement du tounssi. On finira, d’ailleurs, par le regretter. Qu’est-ce, en effet, que le tounssi ? Se définit-il par les modes? Par la langue? Par l’identité des auteurs? Personne, encore, ne peut fournir la réponse exacte.
Qu’est-ce, surtout, qu’exclure la musique charqui, que nous pratiquons et chantons assidûment et avec grand talent depuis l’avènement du siècle sonore? Un non-sens : plus d’un siècle maintenant !