Accueil Economie Supplément Economique L’entreprise autrement | Les bonnes intentions suffisent-elles ? (II)

L’entreprise autrement | Les bonnes intentions suffisent-elles ? (II)

Nécessaires mais pas suffisantes. Les bonnes intentions et les idées intéressantes formulées par Ilyès Fakhfakh, le nouveau chef du gouvernement, dans une longue interview accordée, dimanche dernier, à notre confrère «Al Maghreb» ne suffisent pas, à notre humble avis, à faire sortir le pays de sa profonde et longue crise.

Une situation, qui est le fruit d’accumulations de plusieurs types de dysfonctionnements et de bon nombre de contradictions qui, rappelons-le, plongent leurs racines dans le milieu des années 1950 et qui risquent de se poursuivre. Oui, le risque que ladite situation se poursuive est toujours là et elle pourrait être ponctuée de conflits et crises sociopolitiques profondes à l’instar de celles de 1955, 1978 et 2010-2011.

Idem pour les bonnes intentions et les idées intéressantes formulées par Fakhfakh lorsqu’il s’est adressé, il y a deux semaines, aux représentants du peuple dans le but d’obtenir leur confiance (Voir notre précédente chronique).

C’est que le nouveau chef du gouvernement donne toujours l’impression qu’il possède la potion magique pour sauver le pays alors que, comme nous l’avions expliqué, dans notre précédent article, les contraintes politiques, sociales, financières et autres sont très fortes et très urgentes, que les problèmes que son gouvernement doit affronter et essayer de résoudre sont très graves et très profonds, et que son équipe ne semble pas prête à relever de tels défis.

Nous avons attiré aussi son attention sur le fait que rien ne pourrait aboutir sans la mobilisation effective et ciblée de l’ensemble de la population apte à le devenir et que l’apport constitutionnel du président de la République sera ici décisif (Voir nos précédentes chroniques).

De plus, le responsable en question parle à plusieurs reprises de «son programme», «son projet», alors qu’il est censé se référer au contenu d’un document contractuel adopté par les différents partis ayant accepté de se faire représenter au sein de son équipe, ce qui paraît un peu prétentieux.

Il aurait ici gagné en légitimité et aurait été plus fédérateur s’il avait lancé l’idée de convoquer de grandes assises et consultations nationales à propos des grandes réformes vitales que l’ensemble des Tunisiens attendent avec impatience.

Là, ses messages, restés d’ailleurs évasifs quant à son idée d’impliquer toutes les forces vives du pays, auraient pu devenir plus clairs et auraient débouché sur des initiatives qui pourraient participer à créer une nouvelle dynamique générale, sachant qu’il a précisé que son équipe est en train de préparer un travail diagnostique sur la situation du pays qui devrait servir de fondements à «son programme».

Le chef du gouvernement parle, en effet, d’impliquer lesdites forces sans dire comment ni préciser pour quels objectifs. Il a, par ailleurs, insisté sur la nécessité de voir le capital mieux s’impliquer et être mieux impliqué dans le processus de sortie de crise et du remodelage du paysage économique du pays. Chose vivement souhaitée, lorsque l’on sait que l’investissement est le maître moteur de la croissance.

Il a aussi été très superficiel, et ce, malgré les questions de plus en plus précises de nos confrères lorsqu’on lui a demandé d’exposer sa vision à propos du nouveau modèle de développement dont la conception et la mise en œuvre sont d’une nécessité vitale.

Là, le responsable a donné l’impression qu’il n’a pas encore d’idée claire sur ce sujet brûlant et s’est perdu dans les généralités et après plusieurs questions, il a évoqué comme esquisse du futur projet de modèle de développement, d’un côté, la décentralisation et, de l’autre, la nécessité de s’orienter vers l’économie basée sur l’intelligence.

Il n’a, par ailleurs, pas évoqué un autre sujet brûlant, celui du rôle que l’administration est appelée à jouer à tous les niveaux du processus de sauvetage du pays sachant que la lourdeur de cet appareil a toujours constitué un frein pour le développement économique du pays.

Idem pour l’absence de référence à la nécessité d’une réforme globale de l’arsenal juridique relatif aux activités économiques et financières qui souffrent de plusieurs tares y compris celle de la quantité, de la complexité, et de bon nombre d’incohérences.

Mais comme nous l’avions écrit dans notre précédent billet , le gouvernement Fakhfakh pourrait-il avancer alors qu’il a, en face de lui, une opposition en majorité victime d’une overdose de populisme, qui peine à cacher l’appétit électoraliste de ses auteurs et dont une bonne partie semble décidée à le faire tomber coûte que coûte afin de prouver à l’«opinion publique» la justesse de ses thèses à elles, avec pour entre autres objectifs de se refaire une nouvelle virginité ? Wait and see.

Nous sommes, en effet, devant un gouvernement conçu à la hâte par un Parlement et un président de la République eux-mêmes hantés par la peur d’un peuple qui ne sait plus quoi faire. Il s’agit, rappelons-le, d’une équipe venue au monde après moult frictions et marchandages et surtout sous la menace constitutionnelle de la dissolution de l’institution représentant le pouvoir législatif.

Né au forceps après une longue période de flottement qui semble trouver un réel plaisir à s’étirer dans tous les sens, le nouveau gouvernement s’apprête à se mouvoir sur un terrain glissant, car n’ayant pas bénéficié, d’abord, d’une large et solide confiance, au sein du Parlement et ne jouissant pas, ensuite, d’une bonne marge de manœuvre.

Le nouveau gouvernement est aussi né dans une atmosphère explosive que nous n’avons pas hésité, l’autre jour, de qualifier, sur ces mêmes colonnes, de guerre civile verbale généralisée, extrêmement violente qui pourrait dégénérer, si rien n’est fait pour l’arrêter.

Il est aussi né alors que plusieurs organisations militant pour les droits sociaux et économiques du peuple exprimaient leur ras-le-bol face à des situations devenues extrêmement intolérables pour bon nombre de catégories sociales. Celles-ci continuent, en effet, de souffrir de l’absence d’un minimum de droits pouvant préserver un semblant de dignité, dont l’accès à l’eau potable.

Rappelons que la période de flottement, évoquée plus haut, dure depuis 2015, c’est-à-dire avec les pouvoirs issus des élections de 2014, les premières dans la vie de la deuxième République, naissante , celle censée concrétiser les objectifs de le révolution de la liberté et de la dignité.

Une période tumultueuse, car ayant débuté dans les contradictions et les conflits à l’image d’une société qui subit les affres d’une adolescence difficile, elle-même survenue après une très longue enfance malheureuse et chargée de frustrations qui s’est étalée sur un peu plus d’un demi-siècle.

Flottement qui s’est accentué avec le décès en exercice de l’ancien chef de l’Etat, le 25 juillet dernier, l’élection houleuse d’un président fort du point du vue popularité mais qui peine à convaincre sur le terrain, l’élection d’un Parlement en patchwork évoluant dans une atmosphère lourde et dont l’action est ponctuée de frictions et de clashes et un gouvernement mort-né celui qui a précédé l’actuel.

C‘est dire la misère politique et sociale d’une Tunisie, par ailleurs exsangue, sur le plan économique avec un peuple au moral à zéro, ne voyant que du flou et profondément atteint dans son amour-propre depuis une indépendance de façade et traité par tous les gouvernements nés après cette date comme un cobaye et depuis les élections de 2011 comme les arrivistes traitent un parent pauvre.

Or, c’est la misère politico-morale, intellectuelle et culturelle dans laquelle baigne notre pays, depuis des décennies et dont la facture est extrêmement salée, qui est à l’origine de sa misère économique. Sachant que des forces dépourvues de tout sentiment patriotique ont tout fait pour le maintenir dans cet état honteux et continuent de le faire.

Nous avions écrit, en avril dernier et sur ces mêmes colonnes, que le peuple était dans une telle situation de flou et de peur qu’il ne pourrait pas exercer convenablement sa souveraineté et qu’il sera totalement perdu lors des élections qui approchaient et qu’il faudrait, avant tout, rétablir la vérité que les forces réactionnaires, et elles sont nombreuses et bien armées, ont essayé et parfois réussi à voiler.

Comment Fakhfakh, qui a brandi l’arme de la clarté et du rétablissement de la confiance, pourrait-il tenir cette double promesse alors qu’il n’est pas question, selon le discours qu’il a prononcé, de rétablir la vérité puisque pour lui la transition politique a bien eu lieu ?

Comme tous ceux qui l’ont précédé à la tête du pouvoir exécutif aux côtés du chef de l’Etat, le gouvernement Fakhfakh, qui vient d’entrer en fonction il y a une semaine, a pris des engagements et formulé des promesses qu’il risque de ne pas pouvoir tenir, du moins pour une bonne partie d’entre elles.

Tout en s’étant visiblement efforcé de paraître rassurant, le nouveau chef du gouvernement sait, sans aucun doute, qu’il largue les amarres du navire Tunisie alors que la mer est houleuse, que l’embarcation est à bout et que l’équipage n’est réellement pas solidaire, contrairement à ce qu’il a prétendu, sur ce point précis, dans son discours devant les représentants du peuple.

Ressemblant plutôt au discours inaugural d’une campagne électorale, celui du nouveau chef du gouvernement s’est voulu rassembleur, positif, optimiste et rassurant. Voulant ratisser large, il a interpellé toutes les forces vives du pays et mis le doigt sur bon nombre de sujets brûlants.

Foued ALLANI

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