La pandémie Covid-19 sévit encore et personne ne peut ni en prédire la fin ni évaluer l’ampleur de son impact sur l’économie. Ce qui est sûr, c’est qu’elle entraînera inévitablement une récession encore plus grave que celle induite par la crise financière de 2008. L’heure est à la mobilisation et aux actions, en attendant que les nuages de la crise se dégagent et l’évaluation de l’ampleur de la perte se fasse.
L’étude réalisée conjointement par l’ancien ministre des Finances, Hakim Ben Hamouda, et Mohamed Hédi Bchir, suggère un programme de sauvetage pour résister à la crise d’aujourd’hui et anticiper la prochaine. En effet, après l’examen des conséquences économiques de cette crise sur notre pays, les deux experts économiques dessinent les grandes lignes de ce programme pouvant réduire les conséquences négatives à tous les niveaux de la pandémie du Covid-19. A ce propos, ils estiment que la réponse à une crise exige de l’audace, de la détermination dans les politiques publiques à mettre en place.
Trois dimensions
Ils ont mis l’accent sur trois dimensions importantes : les principes, les mesures et le contenu du programme et de ses possibles résultats. Concernant les principes, le programme obéit à une série de principes fondamentaux dont l’objectif est de mieux coordonner les politiques publiques et l’ensemble des intervenants dans sa conception et son exécution.
Le premier principe concerne la responsabilité de l’Etat dans la protection des citoyens dans les périodes de grandes crises sanitaires, sécuritaires, politiques ou économiques. « Il est nécessaire de rappeler ce principe lors de la crise actuelle et la primauté de l’action publique dans la protection de la santé des citoyens. Ce principe doit transgresser tous les engagements, y compris vis-à-vis des institutions internationales, car la protection des citoyens est un principe sacré pour tous les Etats ».
Cette crise sanitaire a montré dans le monde, comme chez nous, sa complexité et le fait que ses effets ne se limitent pas aux aspects sanitaires mais se prolongent aux aspects économiques et sociaux pour devenir une question de sécurité nationale. Pour l’ensemble de ces raisons, le programme national de sauvetage doit être global en comprenant toutes les dimensions sanitaires, économiques et sociales.
Le second principe concerne la dimension économique et la nécessité pour le gouvernement et la Banque centrale d’œuvrer en tandem et de multiplier les efforts pour réduire le poids de la récession à venir. Ceci exige du courage pour sortir des politiques économiques conventionnelles en œuvre jusqu’à aujourd’hui et de mettre en place de nouveaux choix audacieux et capables de relancer la croissance économique et de lui donner un nouveau souffle.
L’Etat doit accorder une importance accrue au secteur de la santé, de l’appuyer et le renforcer. « Cette crise sanitaire a démontré, s’il en fallait, dans notre pays comme dans le monde, l’état de destruction qui a touché ce secteur suite aux ravages des politiques néo-libérales et les appels à une réduction du rôle de l’Etat dans le fonctionnement de nos économies avec l’imposition de la logique du marché et du gain immédiat aux secteurs sociaux ».
Un autre principe concerne la dimension sociale de l’Etat. Ce programme de sauvetage de l’économie repose sur le principe de la solidarité et la responsabilité de l’Etat de soutenir les couches sociales les plus faibles et les plus défavorisées qui seront touchées de manière frontale par la crise économique et l’explosion du chômage. L’Etat devrait opérer des transferts sociaux d’une grande ampleur en faveur des familles les plus nécessiteuses pour les soutenir et réduire l’impact négatif de la crise.
D’autres principes non moins importants relatifs aux effets négatifs de cette crise sur nos entreprises et la nécessité de mettre en place les politiques et les mesures pour les sauver. « Tous les pays au monde ont mis en place des programmes et des initiatives majeures et audacieuses pour venir en aide à leurs entreprises en détresse. Nous devons sortir des initiatives ponctuelles de certains départements pour faire de l’appui à nos entreprises en difficulté une cause nationale ».
Par ailleurs, les experts insistent sur la nécessité de tirer profit de toutes les mesures prises par les grandes institutions financières internationales pour venir en aide aux pays en développement dans leur lutte contre le virus Covid-19.
L’étude propose une série de mesures immédiates, d’autres à long terme et des politiques économiques. S’agissant des mesures immédiates, elles se situent à quatre niveaux :
-Les premières sont des mesures d’urgence qui concernent le secteur de la santé et la mise à sa disposition de 300 millions dinars pour faire face à cette crise.
-Le second niveau concerne l’aspect social et la nécessité de venir en aide aux couches sociales les plus démunies qui seront touchées par cette crise. Les experts suggèrent des transferts sociaux de l’ordre de 200 millions de dinars.
– Le troisième niveau concerne les entreprises en détresse et touchées par cette crise. Selon leurs estimations, le trop perçu de TVA et d’impôt au profit de l’Etat se situe aujourd’hui autour de 6 milliards de dinars. Ils proposent le transfert de ce trop perçu en faveur des entreprises dans les secteurs les plus touchés à hauteur de 2 milliards de dinars sous forme de crédit d’impôt pour les trois prochaines années.
-Ils suggèrent, enfin, la réduction des charges patronales dans les secteurs les plus touchés par la crise de 50% au cours de cette année.
En outre, les deux économistes proposent des mesures touchant les politiques économiques, et particulièrement les politiques monétaires et budgétaires, ayant un rôle majeur à jouer dans ce programme de sauvetage de l’économie.
Ainsi, au niveau des politiques budgétaires, ils suggèrent un programme de relance moyennant 2 milliards de dinars, particulièrement dans les grands travaux. Pour les politiques monétaires, une réduction des taux directeurs de 200 points de base est fondamentale.
Ils proposent, également, que la Banque centrale et le gouvernement viennent en appui aux entreprises en difficulté dans leurs négociations avec les banques ainsi que la mise en circulation de la part de la Banque centrale de 500 millions de dinars en faveur du financement des entreprises.
Pour ce qui est des mesures à long terme, ils mettent l’accent sur la nécessité d’accorder un intérêt particulier au secteur de la santé et lui assurer des investissements publics de l’ordre de 1 milliard de dinars par an afin de le restructurer et de le mettre à niveau pour affronter les nouveaux défis épidémiologiques.
Résultats
De l’avis des deux économistes, les résultats de ce programme de sauvetage montrent que son impact sur la croissance sera important. En effet, dès cette année le taux de croissance pourrait atteindre un taux de 3,46%. Ce rythme sera encore plus marqué au cours des deux prochaines années.
Le retour de la croissance va avoir des effets positifs sur le chômage avec une baisse de -1,56% en 2021 et qui se poursuivra au cours de l’année 2022 avec un rythme plus élevé de -2,78%.
Ce programme sera également à l’origine du retour de la consommation interne à partir de 2021 avec une croissance de 1,52% et de 2,54% en 2022. Ce retour de la consommation interne sera à l’origine d’une hausse de l’inflation mais qui restera relativement mesurée. Mais, le plus important développement, suite à l’application de ce programme, concerne le retour de l’investissement qui connaîtra un développement rapide et entrainera dans sa dynamique les exportations et les importations.
« Notre pays va également connaitre une augmentation rapide des revenus de l’Etat suite à la progression des impôts sur les entreprises et sur les revenus. Mais cette augmentation ne sera pas suffisante pour faire face aux besoins de financement, ce qui engendrera une augmentation de l’endettement. Celui-ci commencera à s’estomper dès la seconde année de l’application du programme ».
« Les résultats de cette étude montrent qu’un programme ambitieux et volontaire qui rompt avec les politiques conventionnelles est capable de faire face à la crise provoquée par la pandémie du Covid-19. Mais ce programme exige beaucoup d’audace pour le définir, du courage pour le défendre, particulièrement devant les institutions internationales, et de la compétence pour l’exécuter et le mettre en œuvre », soulignent les experts.