Cette pandémie a prouvé que la production alimentaire doit être locale et son objectif premier est nourrir les habitants de la région à partir de leurs semences d’origine
La Tunisie occupe la 69è place sur 113 pays évalués dans le rapport de l’Indice mondial de la sécurité alimentaire, le «Global Food Security Index» 2019. C’est une «bonne performance», selon cet indice, qui prend en compte les principaux problèmes d’accessibilité à la nourriture, de disponibilité et de la qualité de l’alimentation dans plus d’une centaine de pays. Mais, dans cette conjoncture de lutte contre l’épidémie du Covid-19 et de la perturbation de l’approvisionnement au niveau mondial, peut-on toujours considérer que notre pays est à l’abri du risque d’insécurité alimentaire? La plupart des pays, surtout ceux très dépendants de l’approvisionnement, en produits alimentaires, du marché international, ne le sont pas, selon les dirigeants de deux organisations onusiennes chargées de l’alimentation et de la santé (la FAO et l’OMS) et aussi l’OMC, chargée du commerce multilatéral.
Ces responsables ont mis en garde, dans un rare communiqué commun, le 1er avril 2020, contre un risque de crise alimentaire mondiale, à cause de la perturbation des marchés des denrées agricoles, le manque de bras dans les champs et la protection déficiente des salariés de l’agroalimentaire face au Covid-19? Qu’arrive-t-il aux pays importateurs nets de céréales de base si certains pays exportateurs étaient tentés de retenir leurs récoltes, par crainte de manquer ou pour faire baisser les prix? La réponse est la suivante: les pays les plus fragiles et ceux dont l’alimentation dépend le plus de l‘étranger risquent de traverser des pénuries graves. Ceci pourrait déclencher «une vague de restrictions à l’exportation», provoquant elle-même «une pénurie sur le marché mondial», souligne Qu Dongyu, premier responsable de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). C’est pour cette raison qu’il est temps de repenser la sécurité alimentaire, au plan national.
Il est temps de repenser la sécurité alimentaire.
Il est grand moment, dans cette conjoncture difficile, de revenir aux piliers de la production agricole dans la perspective de les consolider davantage et tirer les leçons de la conjoncture actuelle. Selon l’ONAGRI, les enjeux liés aux céréales, par exemple, sont considérables du fait de leur poids dans l’alimentation de la population en Tunisie et dans la production agricole et agroalimentaire dans l’ensemble de l’économie, d’une façon générale. Pourtant, sur quatre baguettes consommées par les Tunisiens, seulement une est produite localement, d’après une étude de l’ITES (Institut tunisien des études stratégiques). Ceci devrait pousser les autorités à réfléchir à la question de savoir si vraiment la sécurité alimentaire est garantie en Tunisie, d’autant plus que la pandémie actuelle vient de montrer, sur le plan mondial, qu’on ne doit jamais tenir celle-ci (sécurité alimentaire) pour acquise. Et si tout le monde participait à la production de la nourriture? Sur les pages des adeptes de la permaculture (agriculture durable), sur les réseaux sociaux, toutes les voix se sont élevées pour dire: «Nous avons eu bien raison de dire que la solution est dans l’autonomie alimentaire et la durabilité». Mercredi, 1er avril, François Rouillay, initiateur du mouvement participatif citoyen des «Incroyables comestibles en France», cofondateur de l’Université francophone de l’autonomie alimentaire, a lancé un appel sur Youtube, pour que chacun «s’engage à contribuer à la production de la nourriture». «Rue par rue, quartier par quartier, commune par commune, les habitants sont appelés à participer à la production de la nourriture dans le partage et le respect du vivant pour assurer la résilience alimentaire». Les familles pourraient, grâce aux apports de la permaculture urbaine, se mettre à des semis dans des bacs aux bords des fenêtres, sur les balcons, à aménager des potagers étagés sur les cours, terrasses et toits plats ainsi que dans les jardins de proximité des habitations, dans le respect des obligations sanitaires de confinement, estime l’activiste. Son mouvement «Les incroyables comestibles», lancé depuis 2012, avait déjà atteint 44 pays, dont la Tunisie.
Abdelhamid Amami, l’un des fondateurs de l’Association tunisienne de la permaculture (ATP) et formateur en permaculture, estime que «le moment est venu de développer des modèles d’agriculture durables à l’instar de la permaculture, l’agroécologie ou l’agroforesterie». «Les méthodes classiques de production alimentaire ont atteint leurs limites, et ont démontré qu’elles n’étaient ni durables, ni résilientes». Cette pandémie a prouvé que la production alimentaire doit être locale et son objectif premier est nourrir les habitants de la région à partir de leurs semences d’origine», a-t-il déclaré à l’agence TAP. Revenant sur cette conjoncture difficile engendrée par la pandémie du Covid-19, Amami a indiqué: «Nous ne savons pas encore combien de temps durera cette épidémie, mais près de la moitié de l’activité humaine sera en arrêt. Ceci conduira, inévitablement, à la faillite de nombreuses entreprises, et par conséquent à l’augmentation de l’armée de chômeurs et à la propagation de la pauvreté et de la famine». Cela conduira, d’après lui, à la rupture ou, dans le pire des cas, à l’effondrement des chaines d’approvisionnement et donc à la pénurie et à la flambée des prix des denrées alimentaires (hausse de 20 % déjà enregistrée en Chine). «Cette période de crise crée un terrain fertile pour semer les graines d’un système alimentaire plus résilient et écologique. Nous avons la possibilité de transformer cette crise en opportunité. Pour cela, il faut encourager et généraliser l’idée de produire notre nourriture dans nos jardins, nous nous attelons déjà à cette tache», affirme l’expert en permaculture.
(Meriem Khadhraoui/TAP)