Accueil A la une Comportement des hommes pendant le Ramadan Apprendre à apprécier: « les loisirs en famille d’abord, avec les amis ensuite »

Comportement des hommes pendant le Ramadan Apprendre à apprécier: « les loisirs en famille d’abord, avec les amis ensuite »


Si le mois de Ramadan est synonyme de sorties nocturnes, exceptionnellement, cette année, le mois saint est vécu autrement. Situation oblige ! La pandémie nous pousse tous à rester cloîtrés chez soi. Un mode de vie difficile à accepter par certains hommes qui ont l’habitude de sortir chaque soir…

Comment devraient-ils s’adapter à cette situation inédite, l’accepter et en profiter pour mieux se découvrir et apprécier le partage des loisirs en famille… Docteur Sofiane Zribi, psychiatre, répond à nos questions et nous donne des conseils pour bien vivre cette expérience inédite.


Pendant le mois saint, certains hommes ont l’habitude de sortir après la rupture du jeûne pour aller aux cafés et aux salons de thé. Avec le confinement, ils sont obligés de changer leurs habitudes et de rester chez eux (en famille). Quels sont les impacts de ce nouveau mode de vie sur leur psychologie et leur comportement?

Albert Bandura, spécialiste du comportement à l’université de Stanford, dans son fameux livre « L’apprentissage Social », a bien montré qu’une grande partie des comportements qui nous semblent émaner de notre bon vouloir ne sont en fait que des reproductions en miroir de comportements d’autres personnes. L’homme suit et agit en reproduisant le comportement de personnes prises comme modèles au sein de son groupe. Ce que nous appelons habitude n’est autre chose qu’un ensemble de comportements ritualisés et reproduits de manière automatique lors d’occasions bien précises et façonnés par les personnes prises comme modèles tout au long de la vie. Ainsi en est-il chez beaucoup d’hommes tunisiens de l’habitude de sortir lors des soirées ramadanesques, de se regrouper, de boire un thé ou un café avec des amis et passer une longue partie de la nuit à discuter. S’y est adjointe l’habitude très néfaste pour la santé de fumer la chicha (narguilé). Cette habitude permet aux amis de se retrouver après une journée éprouvante de jeûne, qui permet peu les rencontres en dehors de la famille ou du travail. C’est comme si de nuit on opérait une revanche sur le sacrifice qu’impose Ramadan pendant la journée. Ce comportement est bien évidemment socialement auto-renforcé mais surtout renforcé par la prolifération des cafés et des salons de thé dans tous les quartiers. Le confinement nous oblige à renoncer à cette habitude et à ce rituel de rencontre. Comme toujours en psychologie, la réaction se fait en trois phases : une phase de colère et de reproche lors des premiers jours qui peut se traduire par de la tension et de l’énervement au sein de la famille, suivie d’une phase de réorganisation où la personne cherche à combler le manque du rituel perdu par d’autres activités, et là internet et les réseaux sociaux offrent une multitude de possibilités et enfin une phase d’acceptation et de résignation qui sera observée les deux dernières semaines de Ramadan, avec l’approche de l’Aïd et le retour des enfants à l’école, une phase plus centrée sur la famille et les proches plutôt que sur les amis, loin du cercle familial.

Ce nouveau mode de vie aura-t-il également des impacts positifs ou négatifs sur toute la famille, notamment les enfants et la conjointe?

Il est difficile de donner une réponse qui conviendrait à tout le monde tant les situations sont différentes d’une personne à l’autre. En tout cas, nous pouvons espérer que cette situation de confinement surajoutée au Ramadan recentrera les préoccupations sur la famille et les enfants. Néanmoins, ce n’est malheureusement pas toujours le cas. On observe déjà dans les cabinets plusieurs cas de violence intrafamiliale et intraconjugale, beaucoup de réactions inappropriées, surtout de la part de certains hommes qui se retrouvent le soir en rage, tels des lions en cage. Par ailleurs, l’excès d’utilisation des réseaux sociaux peut être délétère et impacter fortement les relations intrafamiliales qui se retrouvent réduites uniquement à la satisfaction des besoins élémentaires. Les enfants, surtout en bas âge, ont besoin de la présence des parents et de communiquer fréquemment avec eux. Le fait d’être présent physiquement et non mentalement ou le fait de ne pas répondre à leur sollicitation de jeu et de dialogue peut avoir des conséquences notables sur le développement futur de leur personnalité. Regarder ensemble un spectacle, un film, une série, commenter ensemble, entendre les avis des uns et des autres avec la possibilité pour chacun de donner son avis et d’être respectueusement écouté est une expérience très mûrissante pour les enfants comme pour les parents et permet aux membres de la famille de se forger une identité commune. A l’inverse, si chacun reste dans son coin avec ses intérêts singuliers sans vraie communication avec le reste des membres de la famille, les relations familiales émotionnelles et affectives deviennent lâches et cela prépare le terrain à nombre de conflits et beaucoup de violence. La même analyse peut être appliquée à la relation du couple. En un mot, le partage crée du lien, l’égocentrisme de la distance !

Quels conseils donneriez-vous à ces hommes pour mieux vivre et s’adapter à cette situation qui s’avère frustrante pour certains et nouvelle pour d’autres?

L’homme qui reste prisonnier des rituels, de la routine et des traditions est prisonnier à la fois du temps et de l’espace. Il ne découvre rien, n’apprend rien, et sa vie se déroule sans surprises et sans enrichissement. Le meilleur de soi, on le découvre en compagnie de ses propres enfants et de la femme qu’on aime. On est alors surpris de se voir tantôt éducateur, tantôt professeur, tantôt joueur et tantôt refuge. Être un père ou un bon mari procure une joie immense et une sérénité extraordinaire. Passer sa vie dehors, loin des siens, est sans doute un lourd fardeau à supporter et une culpabilité que la personne traînera sa vie entière. Cela ne veut pas dire que l’homme n’a pas besoin de moments bien à lui en dehors du cercle familial. C’est pour cela qu’il faut qu’on apprenne à organiser les priorités : la famille d’abord, le travail ensuite, les amis enfin. Les loisirs obéissent à la même règle : les loisirs en famille d’abord, avec les amis ensuite. Beaucoup d’hommes traînent avec eux des schémas de pensée incorrecte : rester à la maison est dévalorisant pour l’homme, jouer avec les enfants ne se fait pas, aider sa femme et partager avec elle des moments intimes et de dialogue en dehors de la sexualité est une faiblesse. C’est pour cela que l’éducation est importante et apprendre dès le jeune âge aux deux sexes à se respecter est fondamental.

Pensez-vous que cette expérience vécue changera désormais les habitudes, valorisera et ravivera les relations familiales?

Il est malheureux que cette expérience du Ramadan en famille soit couplée à la nécessité du confinement et de la peur de la pandémie de Covid-19. En psychologie, quand une expérience est couplée à une autre négative et empreinte de peur, elle crée une situation de conditionnement classique, encore appelé pavlovien en référence au physiologiste russe Ivan Pavlov qui a démontré que le système nerveux autonome peut être conditionné avec certaines stimulations extérieures répétitives. La peur du coronavirus a toutes les chances de ne pas faire en sorte que le souvenir de ce Ramadan ne soit couplé uniquement à des émotions positives. Mais n’empêche, l’épidémie a été jusqu’ici peu sévère avec la Tunisie et nous avons eu plus de peur que de mal en fin de compte, pourvu que le déconfinement ne voie pas les courbes de l’épidémie se redresser. On peut toujours souhaiter que la famille tunisienne ait été la plus grande gagnante de cette expérience et qu’un changement positif dans l’attitude des hommes envers les relations avec leurs conjointes et leurs enfants ait commencé. Rappelons la célèbre phrase de Sigmund Freud dans son livre « Trois essais sur la théorie sexuelle » : « Si l’humanité était capable de s’instruire par l’observation directe des enfants, j’aurais pu m’épargner la peine d’écrire ce livre.”

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