Pour faire face à la pandémie, la mise en place d’un plan d’urgence solidaire entre les trois pays du Maghreb s’avère fondamentale. Des experts  tunisiens, marocains et algériens ont mis en exergue lors d’une e-conférence organisée récemment par le think thank Maghreb Economic Forum (MEF) des solutions et des approches innovantes pour faire face à l’impact de la pandémie de Covid-19 sur les secteurs économique et social, tout en jetant les bases d’une plus grande résilience de la région.

Le monde est surpris par une pandémie qui ne connaît ni les frontières des États, ni les différences culturelles, religieuses ou  linguistiques. Le futur de l’humanité est interpellé. Cette pandémie a remis nos pratiques quotidiennes en question, ainsi que les  rituels si ancrés dans nos société. C’est une crise existentielle qui a obligé les pays du monde entier à repenser la notion de solidarité entre les individus, les sociétés et les États. Elle a mis, également, à genoux les États avec leurs institutions et leurs structures, et est en train désormais de redéfinir leurs relations internationales. C’est une reconfiguration du monde et une  révision presque totale et complète de fonctionnement de la mondialisation.

La  crise sanitaire induite par le Covid-19, a dévoilé les capacités limitées des pays du Maghreb, leurs budgets restreints et leurs situations économiques et sociales très inquiétantes 

Pour faire face à la pandémie, la mise en place d’un plan d’urgence solidaire entre les trois pays du Maghreb s’avère fondamentale. Des experts de la Tunisie, du Maroc et de l’Algérie ont mis en exergue lors d’une e-conférence organisée récemment par le think thank Maghreb Economic Forum (MEF) des solutions et des approches innovantes pour faire face à l’impact de la pandémie de Covid-19 sur les secteurs économique et social, tout en jetant les bases d’une plus grande résilience de la région.

«Les mesures prises par les Etats du Maghreb face à cette pandémie dépendent essentiellement de leurs capacités financières publiques, des dons étrangers et des aides provenant majoritairement du secteur privé. Aujourd’hui plus que jamais, les pays du Maghreb doivent mettre de côté leurs différences, et regarder au-delà des frontières s’ils veulent réussir à répondre à cette menace mondiale», souligne M. Slim Bahrini, directeur du think tank le Maghreb Economic Forum.

D’après M. Rachid Ouaissa, professeur de sciences politiques à l’Université de Marburg, la réalité est la même face à cette crise mondiale : peu de tests, peu de moyens, des économies déjà fragiles qui «risquent sans aucun doute de s’aggraver dans les prochains mois et avec peut-être des perturbations sociales sans précédent». Le constat est là : seuls, ces pays ne peuvent pas affronter la crise sanitaire. «Les trois pays du Maghreb, la Tunisie, l’Algérie et le Maroc, sont en train de mobiliser d’énormes ressources et de déployer des efforts considérables pour faire face à cette crise. Mais la question qui se pose aujourd’hui consiste à savoir si ces pays auraient pu mieux gérer la crise s’il existait une solidarité maghrébine ? Nous pensons que oui, ces pays doivent penser à agir en dehors de leurs zones de confort et à prendre les devants pour faire face à cette crise et son impact socio-économique. L’identité des Maghrébins sera le socle qui leur permet de forger leurs visions, leurs politiques, leurs actions, leurs analyses et leurs recommandations afin d’aider les décideurs à faire les bons choix».

Utopie politique

L’expert estime que cette entité appelée Maghreb relève de l’utopie politique que de la réalité. Autrement dit, «le Maghreb est surtout un idéal politique des populations de la région, qui n’arrive pourtant pas à se concrétiser sur le terrain». Ainsi se pose la question : comment les pays du Maghreb peuvent-ils transformer la crise provoquée par le Covid-19 en une opportunité, comment faire de cette crise l’événement historique de redémarrage de la dynamique maghrébine, de la reconstruction du grand Maghreb en le recentrant dans l’échiquier international ?

D’emblée, les experts ont exposé les opportunités sur lesquelles on peut s’appuyer pour construire le Maghreb. Pour Amine Bouhassane, président du think tank Icem (Initiatives pour la communauté économique du Maghreb), «le Maghreb est pour nous tous une émotion, une force qui nous met en mouvement. La région possède une richesse qui est son capital humain, et j’espère qu’avec cette richesse, nous serons en mesure de mettre en avant une nouvelle vision».

Et d’ajouter qu’il faut miser sur les ressources humaines susceptibles de déclencher les innovations managériales, comme les start-up.

Pour Férid Belhaj, vice-président de la Banque mondiale pour la zone Mena, «la région du Maghreb comme celle du Moyen- Orient est la moins intégrée économiquement au monde.  Et pourtant c’est une région où il y a des facteurs d’intégration extrêmement solides, importants et historiques au niveau des peuples, des cultures, des langues et un potentiel fort qui n’est pas exploité….»

L’expert évoque, par ailleurs, le  rôle de l’État qui doit être revu et repensé «pour laisser aux jeunes libre cours à leur créativité. Le Maghreb doit avoir des ambitions avec une profondeur africaine».

Une opportunité à saisir 

Dans le même contexte, Hakim El Karoui, fondateur et gérant de Volentia, pense  qu’au niveau sanitaire, la crise n’est pas une opportunité. Car une crise sanitaire pour un pays se gère au niveau national. « On le voit bien partout, y compris dans des unités politiques. A aucun moment en Europe, il y a eu une politique sanitaire commune et une gestion commune de la crise. Les pays ont agi en fonction de la situation de la santé chez eux, ensuite il y a eu des tentatives de coordination mais très difficiles, parce qu’en fait chacun défend ses intérêts ».

De point de vue politique et économique, c’est complètement différent, «le Maghreb doit parler d’une seule voix, parler finances, endettement…», précise-t-il.

Sur le plan industriel, la crise est une excellente opportunité, parce que l’une de ses conséquences sera la volonté des États, notamment les États occidentaux, de se relocaliser dans un certain nombre de secteurs, qui aujourd’hui sont très dépendants de la Chine et de l’Asie.

Karim Elaynaoui, président du «Policy Center for the New South», estime que cette crise offre un momentum intéressant pour la construction du Maghreb. Les opportunités sont multiples et peuvent favoriser la diversité des échanges entre la communauté étudiante et les entrepreneurs. Ce Maghreb éclaté quelque part renvoie à la notion de notre rapport avec l’extérieur, le continent africain et la Méditerranée à laquelle nous apparentons fondamentalement, en particulier le Maghreb central, mais également avec d’autres blocs régionaux. Il ne faut pas oublier que le Maghreb est un bloc géopolitique dans le monde des relations internationales qui fait sens. Il faut multiplier les canaux de dialogue, intensifier les échanges pour bâtir ensemble le Maghreb».

Quel est le secteur qui serait le plus opportun pour commencer la construction du Maghreb ? De l’avis des  experts, l’urgence est économique et financière. Il faut que les trois gouvernements qui ont des situations différentes, mais des intérêts communs, soient capables de s’unir pour négocier avec les bailleurs de fonds internationaux du  rééchelonnement de leurs dettes d’une façon  ou d’une autre, et de la possibilité d’avoir d’autres dettes pour le financement et l’investissement dans les secteurs de  l’industrie et des services.

D’un autre côté,  ils préconisent que les acteurs de la santé, ou de la recherche et développement se rapprochent pour pouvoir créer  un pôle d’expertise qui peut être implanté dans l’un des trois pays du Maghreb. «La région du Maghreb possède une diaspora très active qui pourrait jouer un rôle fondamental dans le développement du secteur de la santé». Pour eux, ce n’est pas les secteurs qui manquent, ni les compétences. C’est le rôle de l’Etat et les politiques publiques qui doivent impérativement être repensés et redéfinis.

En définitive, le Maghreb de demain doit continuer à être jeune,  ambitieux et ne pas être pris dans une dynamique négative. Il est là, il fonctionne à petits pas et à petite échelle. «Il nous faut deux éléments fondamentaux : la conscience et la  résilience, car malheureusement, l’avenir est déjà derrière nous. Nous savons que les conséquences économiques du Covid-19  seront très douloureuses, mais avec de la résilience,  la confiance, l’entraide et la solidarité, nous pourrons agir pour rester toujours  prospères».

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