Dans la lignée des gardiens de but de légende ayant porté les couleurs du Club Africain, les Zarga, Ayachi, Attouga, Naili, Ben Othmane, Zitouni…, Khaled Fadhel a été un des rares gardiens tunisiens à savoir s’exporter, allant exercer durant trois bonnes saisons en D1 turque. Retenu en sélection nationale en Coupe des confédérations 2005, en plus de deux CAN, il dut pourtant payer le prix du non respect par certains dirigeants des règles du professionnalisme. «Trouvez-vous normal qu’un club puisse former patiemment un portier durant une bonne quinzaine d’années, pour ensuite le radier au prétexte qu’il réclame six mois de salaires impayés ? En tout cas, cette épreuve m’a rendu encore plus fort. Un an durant, je m’étais entraîné tout seul sans jouer le moindre match, avant de rebondir au CSS», se souvient-il. Avec beaucoup d’émotion, l’enfant des souks et du Port de France, à Tunis, raconte l’épopée de la CAN 2004 : «Nous étions tous des soldats, et Lemerre notre général».
Khaled Fadhel, tout d’abord, qui vous a fait signer au Club Africain?
Mon frère. Lui, il a réussi son test avec les cadets, et moi avec les Ecoles. Malheureusement, il n’a pas eu suffisamment de patience pour percer. Dès notre plus jeune enfance, nous étions des Clubistes invétérés. Nous habitions Rue Jamaâ Ezzitouna, des enfants des souks et du Port de France.
Vos parents vous ont-ils encouragé à jouer au football ?
Mon père Amor, qui tient un kiosque de journaux Place Pasteur, à Tunis, et ma mère Zina m’ont laissé la liberté de le faire à condition de réussir mes études. Ils viennent de Tataouine, et sont d’origine berbère. Nous sommes six dans la famille. Mon idole, c’est mon père.
A trois heures du matin, hiver comme été, vous le trouvez à son boulot, avec sa blouse qu’il n’a jamais quittée. J’ai longtemps travaillé avec lui dans la distribution des journaux. J’ai appris de lui la persévérance, le goût de l’effort et la générosité.
En juin 2001, vous partez au Club Sportif Sfaxien. Qui vous a convaincu de le faire ?
Les dirigeants sudistes s’étaient demandés : «Où était passé Khaled Fadhel ?». C’est Sami Trabelsi qui m’a contacté le premier. Mais il m’a fallu signer un engagement ferme afin que je ne réclame plus mon argent au CA : ni les dix-huit salaires en suspens, ni la prime de signature. Soit près de 280 mille dinars en tout. Je n’ai pas accepté au départ à renoncer à tout cet argent que j’ai gagné à la sueur du front. Conséquence : les contacts avec Trabelsi, Lotfi Abdennadher et Mohamed Sellimi furent interrompus. Mais le président du CSS, Abdennadher, a fini par me convaincre: «Vous êtes en train de gâcher votre carrière, déjà, une année d’arrêt, cela suffit ! Chaque fois que vous avez joué contre le CSS, vous nous aviez «arrêtés» par la qualité de vos prestations», m’a-t-il dit. J’étais toujours dans l’excès, dans le soin accordé au moindre détail, et cela a engendré un épuisement total. D’ailleurs, je conseille aux jeunes d’être constamment encadrés par un agent ou un grand footballeur.
Comment a été votre nouvelle vie au CSS ?
Après une première saison difficile et une seconde meilleure, le CSS a fini par récolter les fruits de son investissement. Lors de la troisième saison, nous avons remporté la coupe arabe à Beyrouth après avoir battu Ezzamalek en demi-finales et Al Ismaily en finale. J’ai été élu meilleur gardien de but du tournoi, alors que le Libyen Tarek Tayeb était élu meilleur joueur. J’arrivais donc au CSS pour succéder à Naceur Bedoui. Abdelkarim Ben Salem était mon remplaçant. L’entraîneur était l’Allemand Otto Pfister. Quant à l’entraîneur des gardiens, c’était l’Egyptien Tarek Abdelalim qui a officié en équipe nationale.
Quel genre de rapports avez-vous entretenu avec lui ?
Je lui dois beaucoup. Dans ma formation, Mokhtar Naili et lui furent décisifs. Techniquement, il m’a rendu meilleur, m’inculquant les ficelles propres à ce poste. En 1989, encore minime, Naili m’avait fait aimer ce métier. Je m’entraînais à 14h00 avec les Fessi, Ben Othmane… Trois semaines après avoir débarqué à Sfax, je formulais toujours des réserves à l’endroit d’Abdelalim. Je me disais qu’après Naili, il n’y aurait plus un autre entraîneur des gardiens de sa qualité. Le tournant s’est passé au stage d’Allemagne quand le technicien égyptien me prit seul au café. Il a commencé par parler de la tactique d’un portier. Il a fini par mettre de l’ordre dans mes idées de jeune gardien et par me convaincre. Cela a agi sur moi comme un magnétisme. Depuis, cela est devenu un grand plaisir de travailler avec Abdelalim qui, croyez-moi, constitue une école en lui-même.
Certains se disaient : un Egyptien dans le staff de la sélection. Notre football manque-t-il de compétences ?
Je leur rétorquerai qu’Abdelalim est plus Tunisien que beaucoup d’entre nous. Il s’est marié à une Keffoise, ses enfants sont Tunisiens.
Pourquoi avez-vous quitté le CSS ?
Un différend m’a opposé au président Slaheddine Zahaf. Il voulait que je prolonge mon contrat de deux ans alors que je tenais à ce que cela se fasse juste pour un an. J’ai privilégié le CSS. Mais, en fin de compte, le 28 août 2004, je signe pour un an avec le club turc de Dyarbakir. J’ai été élu troisième meilleur portier du championnat turc. J’ai ensuite rejoint pour deux ans Kayserispor qui était encore mieux structuré et plus ambitieux que mon premier club turc.
En rentrant à Tunis, ce fut l’Union Sportive Monastirienne…
L’EST et l’ESS m’avaient contacté. Toutefois, leur offre n’était pas intéressante. J’ai joué une moitié de saison pour le club usémiste.
Au bout du compte, il était très dur d’être joueur professionnel en votre temps en Tunisie, n’est-ce pas ?
Oui, le régime pro ne servait que les clubs, les dirigeants et la fédération. Les joueurs étaient tenus pour une marionnette. Nos clubs recrutent sans réfléchir suffisamment au profil recherché.
Quel est votre meilleur souvenir?
La Coupe d’Afrique des nations que nous avons remportée en 2004 devant notre public. Certes, je n’ai pas été aligné, mais j’ai vécu une expérience formidable au sein du groupe des 23 joueurs. Je n’ai jamais vécu pareille sensation: réussir à unifier tout un pays derrière une équipe.
Contre qui avez-vous joué votre match le plus difficile dans cette CAN ?
Devant le Sénégal. Nous espérions ne pas tomber sur le Cameroun qui était très fort physiquement, et nous avons eu cette chance-là. Mais rassurez-vous: même si nous étions tombés sur les Lions indomptables, nous les aurions battus. Rien de méchant ne pouvait plus nous arriver.
Nous étions des soldats, et Roger Lemerre notre général. Ce technicien, je le compare à un diamant. Il refusait catégoriquement qu’on se mêle de son travail. Malheureusement, comme toujours, celui qui réussit finit par sortir par la petite porte. La Tunisie l’a évincé parce qu’il percevait un salaire de 66 mille dinars. Il était champion du monde et d’Europe. Ne méritait-il pas un tel sacrifice financier ?
Pourtant, à la CAN 2006, il vous a ignoré superbement, alignant le troisième gardien Hamdi Kasraoui quand il dut faire son
turnover au troisième match contre la Guinée….
Lemerre m’appelait «l’Intellectuel». Je dois avouer que j’ai commis un impair par rapport à la vie du groupe en réclamant une explication sur cette mise à l’écart. Cela m’a valu de devoir m’entraîner en dehors du groupe. J’ai été également privé de Mondial, ce qui m’a empêché d’aller jouer à Besiktas qui voulait me prendre. C’était déjà le début de la fin.
Tout jeune, quelle était votre idole?
Le keeper danois de Manchester United, Peter Schmeichel.
Enfin, qu’auriez-vous fait si vous n’aviez pas épousé une carrière sportive ?
J’aurais fait une carrière militaire, pilote de chasse, voire général.