Essaida-Carthage est une autre piste qu’ouvre Malek Gnaoui dans les sentiers de la mémoire, de l’archéologie, qui est une exploration des temps et des civilisations anciens vers une lecture des temps modernes, vers le chantier qui est un acte de devenir ou du domaine de l’inachevé. Son acte d’appropriation de la mémoire collective et ses interventions sur les particules les plus infimes rendent compte d’une acuité vivace qui questionne non seulement la matière qui est son point de départ mais aussi le collectif, le social et le politique.
Pour lui, tout est question de rencontre avec la matière, une matière des plus usuelles qui lui murmure des choses. Malek Gnaoui voit du beau dans ce que d’autres considèrent comme symbole de laideur et de mauvais goût. Sa pratique artistique se distingue par sa réflexion sur les corps, les éléments, les particules, les masses. Le gris du ciment et le rouge des briques racontent l’histoire d’une civilisation, de l’inachevé, du chantier toujours en cours, face à une autre plus distinguée, faite de noblesse des matériaux, l’élévation, de luxe et de raffinement.
Essaida- Carthage est d’abord ce trou dans le mur qui se présente au visiteur, une entrée par infraction comme dans une fouille. Des trésors emmurés dans des pièces aveugles s’agencent selon une scénographie de l’intime. On effeuille les pièces une à une, on découvre les œuvres dans la discrétion de leur cachette. De Vénus à Aphrodite, les repères mutent. Et le regard suit l’étrangeté des combinaisons, il en est saisi par la particularité de la vision. Le travail de Malek Gnaoui crée des passerelles ou des relais de Carthage antique et le faste de sa civilisation vers Essaida quartier populaire, vivant pleinement la contemporanéité de ses expressions sociales et politiques. Il raconte des tranches de vie et des fragments de rêves inachevés et des projets à réaliser.
Quand Aphrodite ou Vénus se placent sur une poutre, épousent la forme d’un poteau, font corps avec des briques rougeâtres et du ciment grossièrement empâté, la matière référentielle du luxe et du faste s’exprime, alors dans ces matériaux de construction. Le ciment porte ses stigmates et les reliefs se dessinent dans la brique. La décomposition- recomposition s’installe comme un parti pris, un positionnement politique et social. Fouiller l’histoire, déplacer la pièce archéologique de son contexte, la projeter sur la réalité de l’usuel et du précaire, l’aplatir dans un travail de sérigraphie, la pixéliser avec poussière de ciment et poudre de brique, l’œuvre, ainsi, mute et propose une narration relative à son nouveau statut. Cet acte de dérogeance rend ces sculptures protagonistes d’un temps présent, témoin de sa nouvelle esthétique et porteuse de ses expressions.
Le parcours se poursuit dans une démarche inversée. Les détritus des chantiers de Essaida s’y invitent, les barres de fer, des clous ou plafonds en tôle, objets trouvés au hasard des visites, constituent à leur tour, des résultats de fouille, qui pourront, plus tard, faire partie d’un patrimoine archéologique dans les siècles à venir. Ces éléments abandonnés pour leur « inutilité », Malek Gnaoui les revêt d’une patine brillante, et les rehausse dans cette même dynamique réflective d’anoblir et de déroger. Le livre blanc, livre des reliefs. Il porte l’empreinte des murs, ces murs sur lesquels s’adossent les laissés pour compte. Dans ce blanc immaculé se racontent une multitude d’histoires. Celles qui finissent bien, d’autres qui finissent mal, celles de l’espoir et celles des illusions. En feuilletant ce livre, vide de mots, se dessinent des traces, une continuité et une suite. Les moins perceptibles sont les plus bavardes, le blanc qui les entoure parle de néant, donne la réplique à la série d’en face : des images en sérigraphie en poudre de brique, de sculptures castrées par l’altération et le poids du temps.
Essaida-Carthage est une autre piste qu’ouvre Malek Gnaoui dans les sentiers de la mémoire, de l’archéologie, qui est une exploration des temps et civilisations anciennes vers une lecture des temps modernes, vers le chantier qui est un acte du devenir ou du domaine de l’inachevé. Son acte d’appropriation de la mémoire collective et ses interventions sur les particules les plus infimes rendent compte d’une acuité vivace qui questionne non seulement la matière qui est son point de départ mais aussi le collectif, le social et le politique.