D’une durée de 90 min, le documentaire de Mahmoud Jemni se tourne vers un sujet d’une brûlante actualité, et, à travers des témoignages, il revient sur la question du racisme, son rapport à l’esclavage, une marche et un combat vers l’équité et le changement des mentalités.
Dans ce pays qui est le nôtre qui ne cesse de se vanter d’être le premier pays à avoir aboli l’esclavage, le racisme a la peau dure. Bien sûr qu’il n’y a plus d’esclavage en Tunisie depuis le XIXe siècle avec le décret de Ahmed bey du 23 janvier 1846, mais le racisme est toujours là. Dans un pays où nous sommes tous égaux, un mot comme « Oussif » qui veut dire esclave ou servant existe encore dans notre langage familier et nous trouvons cela normal ! Le déni est une loi immuable et entre noirs et blancs, il vaut mieux ne pas trop s’approcher : «Chacun garde sa place ». Une mentalité de classe et de caste pas révélée au grand jour, latente, et souterraine : l’homme blanc donc libre et l’homme noir Oussif servant. Alors que nous semblons ignorer que tous les noirs n’ont pas forcement été esclaves un jour et il y a eu bel et bien des esclaves blancs. Drôle de confusion que la société semble refuser de voir avec clairvoyance. En un mot : se réconcilier avec son histoire, en assumer les torts et les réparer non seulement avec des textes de loi, mais surtout en agissant sur les mentalités sont une urgence et une nécessité.
C’est dans ce débat que se place le film de Mahmoud Jemni comme témoin d’une société qui tend à changer, à des voix qui s’élèvent pour dénoncer, revendiquer, pointer du doigt et bousculer les esprits laxistes. Même si le racisme en Tunisie n’a presque pas montré son visage violent, sa violence habite les remarques déplaisantes, réside dans le dénigrement, dans le langage familier avec ses mots incisifs et blessants, dans le regard et dans l’étonnement face à une réussite, la surprise à la vue d’une personne qui n’est pas à « sa place habituelle »…
Le voyage en bus vers la « zarda » de Omi Marzougua, une fête qui réunit les Tunisiens noirs pour célébrer cette figure fondatrice de leur identité et de leur appartenance à cette terre, est le point de départ que choisit le réalisateur pour présenter ses personnages. Activistes et artistes nous mènent au pied du mythe fondateur, de la femme qui arrive d’autres contrées pour s’y installer. Cette idée de la femme fondatrice est une idée récurrente qui nourrit la diversité de notre civilisation pour ne citer que Alyssa, El Ghriba, El Jazia et Omi Marzougua… Ce retour au mythe évoque les fondements de la différence, de l’étranger et c’est peut-être une manière qu’a choisie le réalisateur pour creuser, quoique d’une manière superficielle, les origines du racisme.
Outre son côté réquisitoire contre le racisme, l’acuité de la question, régulièrement remise au-devant de la scène suite à des actes de violence, devenus répétitifs, la pertinence des témoignages des personnages interviewés, la réalité vécue et dévoilée dans leurs paroles, le film se construit d’une manière classique sans réelle écriture cinématographique.
La succession des interviews entrecoupées de scènes de la zarda, de musique ou de gros plans sur des personnages que nous ne retrouvons pas dans les témoignages, nous frustrent ; des enfants, des parents, de vieilles personnes, tous sont restés silencieux dans ce film.
Par contre, le réalisateur a choisi de ne donner la parole qu’à quelques personnages dont la plupart sont des visages publics : le styliste Salah Barka, l’activiste et militante Saadia Mosbah, la députée Jamila Ksiksi,le comédien Farhat Debbech. Et bien que leur parole est poignante, le témoignage intense et convaincant, la démarche cinématographique ne nous a pas permis de partager des émotions, aller en profondeur dans le ressenti, découvrir ces personnages en dehors de leur activisme et de leur engagement. En somme, toucher l’humain et le sensible en eux, et pas uniquement le propos et la cause qu’ils défendent.
Dans de rares moments, le réalisateur est arrivé à toucher ce côté-là, dans ses personnages quand ils évoquaient leur enfance et leur première confrontation avec le racisme, mais il ne va pas plus loin et c’est bien dommage.
« Non oui » de Mahmoud Jemni a le mérite de toucher un sujet sensible et surtout mis sous silence par la société qui préfère le déni, il a aussi le mérite de faire des films en suivant son cœur d’indépendant, et surtout de s’inscrire dans ce genre de cinéma qui accompagne des combats et des luttes pour la dignité de l’humain.
« Non oui » fait partie de ces films utiles qui participent au débat, et éclaire les regards et les esprits de ceux qui le veulent bien, juste pour rappeler que le racisme n’est pas un point de vue ou une opinion, c’est une violence et un crime.