Les députés de l’opposition annoncent la création d’une commission d’enquête parlementaire qui «révélera tout». En parallèle, Mohamed Abbou charge ses enquêteurs de mettre les points sur les i comme ils l’ont déjà fait avec Salah Ben Youssef, impliqué dans l’affaire des bavettes
Que reste-t-il de la grande journée du jeudi 25 juin et de la longue nuit du jeudi 25 au vendredi 26 juin 2020 au palais du Bardo, près de 26 heures au cours desquelles les députés de l’opposition et de la coalition gouvernementale ont vidé leur sac et ont dit au chef du gouvernement, Elyes Fakhfakh, ce qu’ils pensent des présomptions de corruption qui pèsent sur sa personne, l’accusant d’être impliqué dans une affaire de conflit d’intérêts mettant en cause sa crédibilité et son image de défenseur zélé de la lutte anticorruption, voire le chef de gouvernement qui a fait de l’éradication de la corruption la raison d’être de son gouvernement, qu’il désigne comme étant «le gouvernement de la transparence et de la restauration de la confiance», la confiance précisément en la capacité à mettre un terme définitif à la corruption sous toutes ses formes.
Tout le monde a parlé et a dit tout ce qu’il avait sur le cœur et les Tunisiens ont suivi sur le petit écran un débat qui restera gravé dans leur mémoire, surtout grâce aux résultats auxquels il a abouti.
On s’attendait à des échanges chauds, à des accusations mutuelles et, à des insultes et à des invectives le moins qu’on puisse qualifier d’intolérables et d’inacceptables.
Les Tunisiens ont été servis à satiété en matière de déclarations incendiaires et les députés se sont ingéniés à faire découvrir leur talent de polémistes et leurs énormes capacités de «bagarreurs attachés à s’impliquer dans les faux combats».
Il reste cependant à souligner que la grande journée du jeudi 25 juin a accouché de deux événements qu’on pourrait qualifier d’importants en attendant les dividendes qu’ils engendreront.
D’abord, la création d’une commission parlementaire sur la situation de conflit d’intérêts et de suspicion de corruption visant le chef du gouvernement, Elyes Fakhfakh. Ladite commission, composée majoritairement de l’opposition (cette dernière a droit en vertu du règlement intérieur du Parlement de demander, d’obtenir et de diriger, une fois par an, une commission d’enquête parlementaire sur une affaire quelconque) aura à investiguer sur les griefs portés contre le chef du gouvernement et à déterminer dans un rapport à soumettre à une séance plénière du Parlement si Elyes Fakhfakh a fauté ou si les accusations qui lui sont portées sont nulles et non avenues.
Sauf que les commissions d’enquête créées auparavant par la défunte Assemblée nationale constituante (ANC) (événements de violence survenus le 9 avril 2012) et par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) à l’instar de la commission d’investigation sur l’envoi des jeunes dans les foyers dits jihadistes et terroristes n’ont abouti à aucun résultat tangible.
Les initiateurs de la création de la commission parlementaire promettent déjà que tous les secrets de l’affaire seront révélés à l’opinion publique.
Ensuite, l’annonce faite par Mohamed Abbou, ministre d’Etat chargé de la Lutte anticorruption, qui a révélé qu’il a ordonné au comité de contrôle général des services publics (dépendant auparavant des services de la présidence du gouvernement et agissant aujourd’hui sous les ordres de Mohamed Abbou à la suite de l’élargissement par Fakhfakh des compétences de son ministère) «d’enquêter sur deux marchés octroyés à un groupement d’entreprises qui traite avec l’Etat et dans lequel le chef du gouvernement est actionnaire».
La décision de Mohamed Abbou constitue une première historique dans la mesure où jamais auparavant une enquête de présomption d’implication dans une affaire de corruption n’a été ouverte suite aux ordres d’un ministre à l’encontre de son chef hiérarchique, c’est-à-dire le Premier ministre ou le chef ou président du gouvernement, comme c’est le cas aujourd’hui.
Pour être plus clair et comme l’affirment plusieurs observateurs convaincus déjà que la commission d’enquête parlementaire n’apportera rien d’intéressant (si par hasard elle est constituée), l’on peut avancer que les enquêteurs du comité de contrôle général des services publics (c’est-à-dire les lieutenants de Abbou) décideront du sort du chef du gouvernement, que leur rapport qui sera révélé dans les prochains jours comme promis par Abbou lui-même au palais du Bardo lors de son annonce d’avoir diligenté l’enquête mettra les points sur les i et clôtuerera peut-être l’affaire comme ce fut le cas pour Salah Ben Youssef dans l’affaire des bavettes.