Durant près de 14 saisons, Faouzi Chtara a joué le gardien du temple. Et ce temple-là, c’est le Sfax Railways Sport, la mythique formation qui apporta le premier trophée à la capitale du Sud, à savoir le championnat de Tunisie 1967-1968, assurément un des plus grands clubs de notre football dans les années 1960 et 1970. Celui qui se prédestinait à une carrière de défenseur a vite mordu à l’hameçon. Depuis, entre les bois, il a fait honneur aux couleurs jaune et noir que ce soit comme keeper, que ce soit en qualité d’entraîneur d’une belle lignée de portiers.
Faouzi Chtara, commençons par le début de la romance. Comment êtes-vous venu au football ?
C’est Hamadi Ketat qui m’a découvert. Je n’habitais pas très loin du quartier général du SRS, le stade Ceccaldi. Au départ, je comptais faire carrière au poste de défenseur. Mais un jour, le gardien s’absente et je le remplace. Ma taille et mon courage ont convaincu notre entraîneur de me choisir pour cet intérim. Depuis, je n’ai plus quitté la cage. J’ai connu d’ailleurs toutes les sélections des jeunes où j’étais régulièrement convoqué.
Quels furent vos entraîneurs ?
Outre Hamadi Ketat qui veilla à la formation des Ahmed Zayani, Bouraoui Chaâri, Ahmed Trabelsi… il y eut également Habib Masmoudi et Mekki Jerbi. Chez les seniors, je citerai Faouzi Benzarti, Mokhtar Tlili, Larbi Zouaoui, Habib Masmoudi, Stéphane Gamboz, Moncef Melliti, Mabrouk Samet, Mrad Hamza, Mohamed Harzallah, Ivan Klotchev, Ezeddine Lejmi, Abderrahmane Rahmouni, Ryadh Charfi et Ahmed Ammar.
Le meilleur parmi tous ces techniciens ?
Ahmed Ammar a marqué de son empreinte l’histoire du SRS. Du matin au soir, il était au stade à veiller aux moindres détails de la préparation et des entraînements. Il répétait souvent à nos dirigeants : «Chtara fera parler de lui». Je lui dois beaucoup.
De qui se composait alors le SRS?
Ahmed Zayani, Belgaroui, Hafedh Soudani, Ridha Ellouze, Mabrouk Hasnaoui, Jerbi, Lejmi… En fait, les Sami Trabelsi, Sami Daou et Mehrez Rekik débarqueront chez les seniors alors que je me préparais à prendre ma retraite sportive.
Que vous a donné le football ?
La chose la plus précieuse et qui ne s’achète pas: l’amour des gens. Partout à Sfax, je suis respecté pour la petite carrière de quatorze ou quinze ans que j’ai faite. Je n’ai jamais triché. Et c’est précisément ce qu’apprécient non seulement les supporters jaune et noir, mais les sportifs de tout bord.
Autrement, les primes qu’on recevait n’avaient strictement rien à voir avec les celles, faramineuses, d’aujourd’hui. Pour une victoire à l’extérieur contre un grand club, nous percevions cent dinars, c’est tout.
Si les primes étaient symboliques, en revanche, les clubs embauchaient les joueurs à des postes de travail fixes, non ?
Oui, une fois mes études interrompues au niveau du secondaire, j’ai tout de suite intégré la Compagnie des chemins de fer.
Au SRS, nous étions considérés des professionnels avant l’heure en ce sens que chaque joueur se trouve à la disposition du club à n’importe quel moment de la journée. Le club disposait de sa cantine, de son dortoir…
Vos parents vous ont-ils encouragé à épouser une carrière de footballeur ?
Lui-même cheminot, mon père Habib était tout content de me voir fréquenter le SRS, le club relevant de l’entreprise qui l’employait. Ma mère Chedlia n’était pas moins rassurée à l’idée de me voir faire du sport au lieu de me livrer à quelque occupation malsaine.
Nous étions huit enfants dans une famille kerkenienne de la classe moyenne.
A quelle occasion avez-vous livré vos meilleures productions ?
Ma meilleure rencontre, je l’ai jouée à Hammam-Lif dans le cadre des barrages pour le maintien en D1. Nous avons remporté le match aller chez nous (1-0). Au retour, un grand public nous a suivis jusqu’à la banlieue Sud. Face au CSHL, j’ai sorti le grand jeu malgré la défaite (2-1) qui nous assurait de toute façon le maintien grâce au but inscrit à l’extérieur. Sans les parades que j’ai réussies, nous aurions sans doute pris une belle raclée.
Et votre plus mauvais souvenir ?
Notre relégation en D2 en 1990 pour la première fois de l’histoire du club. En fait, le SRS voyait progressivement cette issue arriver au fur et à mesure que les autres clubs se renforçaient et prenaient une autre dimension, surtout point de vue financier. Les écarts s’étaient creusés de façon inéluctable. Nous ne pouvions plus suivre le rythme, et n’avions plus les moyens de jouer d’égal à égal avec les plus riches.
Quelles sont les qualités d’un bon gardien ?
Souplesse, courage et réflexe. Par exemple, le Hammamlifois Sahbi Sebai possédait un réflexe étonnant. La taille n’est pas toujours décisive.
Quel est le meilleur gardien tunisien ?
Attouga, sans conteste. C’était mon idole. A chaque fois où le CA se produisait au stade Mhiri de Sfax, j’allais le voir, et c’était un régal. Pourtant, Abdallah Trabelsi (ST), Ferjani Derouiche (ASM), Moncef Tabka (USM, puis ESS) et Mokhtar Ben Hamida (SG) étaient eux aussi très forts. En tout cas, c’était l’âge d’or des keepers dans notre championnat. De mon temps, les choses n’étaient pas mal non plus : il y avait Slim Ben Othmane, Naceur Chouchène, Ahmed Bourchada, Sahbi Sebai, Slah Fessi, Mondher Ben Jaballah… Face à autant de grands portiers, il était naturellement difficile pour moi de trouver une place de titulaire en sélection où j’ai souvent été troisième gardien.
Actuellement, quels sont les meilleurs gardiens ?
Aymen Mathlouthi, très expérimenté, Farouk Ben Mustapha, Moez Ben Cherifia et Rami Jeridi.
A votre avis, quels sont les meilleurs joueurs de l’histoire du SRS ?
Romdhane Toumi, Amor Madhi et Ezeddine Chakroun dont la détente phénoménale lui permettait de placer le ballon de la tête là où il voulait. C’est comme s’il tirait de la main, et non de la tête.
Et les meilleurs joueurs de notre football ?
Hamadi Agrebi, l’attraction du public sfaxien, et plus généralement de tous les sportifs du pays. Il y a également Tarek Dhiab et Temime Lahzami. La génération du Mondial argentin reste en tout cas au-dessus du lot. Rien qu’à écouter et voir le reportage radiophonique ou télévisé de feu Nejib Khattab lors de l’épopée du Mondial 1978, cela me donne la chair de poule. Cette génération illustre parfaitement les vertus du patriotisme, du sens du sacrifice et de la générosité. J’aurais bien aimé être de cette génération-là.
Au lieu de quoi, vous avez dû vous contenter de quelques apparitions avec la sélection nationale…
Oui, et je ne m’en porte pas plus mal, car je crois avoir tout donné. En fait, j’ai été titularisé aux Jeux africains de Nairobi contre Madagascar le 3 août 1987 (défaite des nôtres 0-3), et en amical contre la Pologne le 8 décembre 1985 à El Menzah (victoire de la Tunisie 1-0, but de Bassem Jeridi) et contre le Cameroun le 26 février 1986 (1-1, but de Salem Jaziri).
En tant que gardien de but, de quels joueurs vous méfiiez-vous le plus ?
Lotfi Sanhaji (CSS), Abdelhamid Hergal et Abdelkader Rakbaoui (ST).
Vous, qui êtes enfant du club, croyez-vous que le SRS soit définitivement rentré dans les rangs ?
Je crains fort que ce soit bel et bien le cas. Cela fait de longues décennies que mon club n’a pas goûté aux projecteurs de la division d’élite. Ses fans, ou plutôt ce qui en reste, se demandent: à quand le bout du tunnel ? La crise du Bureau directeur se répercute sur les performances de l’équipe seniors de football.
A chaque début de la saison, celle-ci part avec l’ambition de revenir en L1, sa place naturelle. Mais en fin de compte, soit elle échappe de justesse au purgatoire, soit, au meilleur des cas, elle rate le play-off d’accession en L1.
Longtemps, faisant preuve d’une assurance bluffante, des dirigeants s’amusent à faire n’importe quoi. Ils sèment le vent, puis se demandent de manière hypocrite d’où vient la tempête. On ne se soucie même plus de sauver les apparences. A présent, il faut un plan de sauvetage pour tirer le SRS de ce qui semble être une irréversible descente aux enfers. Seule une prise de conscience générale peut arrêter l’hémorragie.
En quoi consisterait ce plan de sauvetage ?
Face à ce sentiment d’impuissance, voire d’humiliation qui habite toutes les générations railwystes, la condition sine qua non de la renaissance consiste au retour du SRS dans le giron de la société marraine, la Sncft.
Or, on en est bien loin en ces temps de désengagement de plus en plus prononcé du secteur public vis-à-vis des associations sportives et du secteur des sports. En fait, le SRS paie les frais d’une grave décision, celle de le soustraire de la tutelle de la Société nationale des chemins de fer.
Depuis quelques années, sa gestion n’est plus assurée par des cadres issus de cette entreprise publique; ses ressources financières ne proviennent plus uniquement des subventions de la «Kobbania» (la Compagnie des chemins de fer).
A partir de là, tout s’enchaîne, les difficultés s’amoncellent dans un contexte de dépression économique. Pourtant, le sport à Sfax a fortement besoin du SRS pour nourrir la rivalité avec le CSS qui se sent; d’une certaine manière, orphelin, et au bout du compte perdant dans ce cavalier seul.
Orpheline de son derby, que perd au juste la capitale du Sud ?
Tout simplement un «must», le clou de la saison pour chaque Sfaxien qui se respecte. Un moment de bonheur attendu toute la saison par les fans des deux clubs. Le derby commence dès le début de semaine.
Toute la ville vit au rythme d’un match pas comme les autres.
Il n’est pas rare de trouver dans une même famille des Railwystes et des Clubistes qui se disputent, l’un chambrant l’autre, et cherchant à décrypter les secrets de ce match attendu avec impatience. De notre temps, le CSS a nettement établi sa suprématie.
Dès que les gars du SRS voyaient du noir et blanc, ils devenaient comme un taureau. Je me rappelle d’un derby où Rachid Bouaziz m’a inscrit un but dans le temps additionnel. Ce but m’a fait très très mal.
Pourtant, cette année-là, notre rival se trouvait sous la menace de la relégation, ce qui ne l’empêcha pas de «se payer notre tête».
Parlez-nous de votre petite famille
J’ai épousé Nabila en 1985. Nous avons trois enfants : Mohamed, 34 ans, conducteur de train, Firas, 32 ans, technicien en informatique, et Amir, 25 ans, technicien dans la climatisation et le froid industriel.
Enfin, comment passez-vous votre temps libre ?
Si je ne suis pas au stade, c’est que je me trouve près de ma mère. A la télé, je regarde les émissions sportives, et la sitcom «Choufli Hal». Une série indémodable, tout comme son immortel Sboui, Allah Yarhmou.